L'HISTORIOGRAPHIE DU SOCIALISME VRAI (CONTRE KARL GRÜN) [Dos Westphälische Damp

L'HISTORIOGRAPHIE DU SOCIALISME VRAI (CONTRE KARL GRÜN) [Dos Westphälische Dampfboot, août et septembre 1847.] « En vérité, s'il ne s'agissait ici de dépeindre aussi tout un ramassis... nous n'hésiterions pas à jeter la plume... Et voici qu'elle (L'Histoire de la société, de Mundt) se présente avec la même prétention devant le grand public, ce même public qui s'empare voracement de tout ce qui porte sur son front l'inscription " social ", car un sûr instinct lui dit combien ce petit mot recèle de secrets d'avenir. Doublement responsable, l'écrivain encourt un double châtiment, s'il s'est mis à l'ouvrage sans en avoir la vocation ! » « Au fait, nous n'allons pas faire grief à M. Mundt de ne connaître, des travaux réels de la littérature sociale en France et en Angleterre, rien d'autre que ce que M. L, Stein lui en a dévoilé dans un livre qui méritait quelque estime au moment où il parut... Mais aujourd'hui encore... faire des phrases sur Saint-Simon, appeler Bazard et Enfantin les deux rameaux du saint-simonisme, continuer par Fourier, colporter des futilités sur Proudhon, etc.!... Nous n'y regarderons pourtant pas de si près, si au moins la genèse des idées sociales était présentée de manière neuve et originale. » C'est par cette sentence altière, digne de Rhadamante, que M. Grün ouvre un compte rendu de l'ouvrage de Mundt, L'Histoire de la société (Neue Anekdota, p. 122, 123.). Quelle surprise, pour le lecteur, de découvrir, sous le masque de cette critique-là, l'art et le talent avec lesquels M. Grün sait dissimuler une simple autocritique de son propre livre, lequel n'était pas encore né à cette date. M. Grün nous offre le spectacle amusant d'un mélange réussi de socialiste vrai et de littérateur jeune-allemand. Le livre en question est écrit sous forme de lettres adressées à une dame : le lecteur peut donc imaginer sans peine que les dieux pensifs du socialisme vrai s'y pavanent couronnés des roses et des myrtes de la « jeune littérature ». Cueillons sans plus tarder quelques-unes de ces roses : « La Carmagnole chantait toute seule dans ma tête... mais, en tout cas, il est effrayant que la Carmagnole puisse, sinon se loger entièrement dans la tête d'un auteur allemand, du moins y prendre son petit déjeuner » (p. 3). « Si j'avais le vieux Hegel devant moi, je le prendrais par les oreilles : Quoi, la nature serait l'être autre de l'esprit ? Quoi, Lui, veilleur de nuit ? » (p. 11). « Bruxelles représente d'une certaine manière la Convention française : elle a un parti de la Montagne et un parti de la Plaine » (p. 24). « Les landes de Lüneburg de la politique » (p. 80). « Chrysalide bariolée, poétique, inconséquente, chimérique » (p. 82). « Le libéralisme de la Restauration, cactus sans racines qui s'enroulait, telle une plante parasite, autour des bancs de la Chambre des députés » (p. 87, 88). Un cactus « parasite » et « sans racines » n'existe pas ? L'image n'en est pas moins belle ; et la précédente n'est en rien diminuée du fait qu'il n'existe ni chrysalides ni cocons « bariolés », « poétiques » ou « inconséquents ». « Au milieu de cette houle » (des journaux et des journalistes du cabinet Montpensier) « je me fais l'effet d'un second Noé envoyant ses colombes pour reconnaître les lieux et savoir s'il est possible de construire des huttes, de planter des vignes, de conclure un accord raisonnable avec les dieux en courroux » (p. 259). M. Grün parle ici sans doute de son activité de correspondant de presse. « Camille Desmoulins, voilà un homme. La Constituante était composée de philistins. Robespierre était un vertueux magnétiseur. L'histoire moderne est, en un mot, un combat à mort contre les épiciers et les magnétiseurs !!! » (p. 311). « La chance est un plus, mais un plus à la puissance x » (p. 203). Donc, la chance = +x, formule qui ne figure que dans les mathématiques esthétiques de M. Grün. « L'organisation du travail, qu'est-ce donc ? Et les peuples de répondre au Sphinx avec les milliers de voix de la presse... La France chante la strophe, l'Allemagne l'antistrophe — cette vieille Allemagne mystique » (p. 259). « L'Amérique du Nord me répugne plus encore que le Vieux Monde parce que l'égoïsme de ces mercantis a le teint vermeil d'une santé impertinente... parce que tout y est si superficiel, si peu enraciné, je dirais presque si provincial... Vous appelez l'Amérique le Nouveau Monde ; c'est le plus vieux des vieux mondes qui parade avec nos vêtements usés » (p. 101, 324). Ce qu'on savait jusqu'ici c'est qu'on y porte les chaussettes allemandes non usées, bien qu'elles soient trop mauvaises pour « parader ». « Le garantisme logiquement solide de ces institutions » (p. 461). Wen solche Blüten nicht erfreun, Verdienet nicht, ein « Mensch » zu sein ! Quelle gracieuse pétulance ! Quelle naïveté espiègle ! Quel plongeon héroïque dans l'esthétique ! Quelle géniale nonchalance à la Heine ! Nous avons trompé le lecteur. Ce ne sont pas les belles-lettres de M. Grün qui embellissent la science du socialisme vrai, c'est au contraire la science qui ne sert qu'à boucher les trous entre ces bavardages maniérés. Elle en constitue, pour ainsi dire, l'« arrière-plan social ». Dans un essai de M. Grün : « Feuerbach et les socialistes » (Deutsches Bürgerbuch, p. 74.), on lit ces remarques : « Nommer Feuerbach, c'est nommer tout le travail de la philosophie, de Bacon de Verulam à nos jours ; c'est préciser en même temps le but et le sens ultime de la philosophie ; c'est aboutir à l'homme comme résultat ultime de l'histoire universelle. C'est un procédé plus sûr, parce que plus profond que mettre sur le tapis le salaire, la concurrence, la déficience des constitutions et des lois constitutionnelles... « Nous avons gagné l'homme, l'homme qui s'est débarrassé de la religion, des idées mortes, de tout caractère qui lui est étranger et qui s'exprime dans la pratique; nous avons gagné l'homme pur et véritable. » Ce passage, à lui seul, nous renseigne complètement sur le genre de « sûreté » et de « profondeur » que l'on peut trouver chez M. Grün. Il n'a cure des petits problèmes. Armé de la foi inaltérée dans les résultats de la philosophie allemande, tels qu'ils sont consignés dans Feuerbach, à savoir que « l'homme », l’« homme pur et véritable », est le but ultime de l'histoire universelle ; que la religion est l'essence aliénée de l'homme; que l'essence humaine est l'essence humaine et la mesure de toutes choses ; armé des autres vérités du socialisme vrai (voir plus haut), à savoir que l'argent, le travail salarié, etc., sont aussi des modes d'aliénation de l'être humain; que le socialisme allemand est la réalisation de la philosophie allemande et la vérité théorique du socialisme et du communisme des autres pays, etc. — M. Grün fait route vers Bruxelles et Paris avec toute la suffisance du socialisme vrai. Les grands coups de trompette de M. Grün à la gloire du socialisme vrai et de la science allemande surpassent tout ce que ses coreligionnaires ont fourni à cet égard. Pour ce qui est du socialisme vrai, ces louanges viennent manifestement du cœur. La modestie interdit à M. Grün de formuler une seule idée qu'un autre socialiste vrai n'ait déjà révélée avant lui dans les Einundzwanzig Bogen, le Bürgerbuch et les Neue Anekdota. En fait, tout son livre n'a d'autre but que de combler un plan de construction donné par Hess dans les Einundzwanzig Bogen (p. 74-88) à propos du mouvement social en France et de répondre ainsi à un besoin exprimé au même endroit (p. 88). Quant aux éloges qu'il décerne à la philosophie allemande, celle-ci devrait les apprécier d'autant plus qu'il la connaît moins. L'orgueil national des socialistes vrais, fiers de l'Allemagne, pays de l'« homme », de l'« essence de l'homme », face aux autres nations profanes, atteint chez lui son paroxysme. En voici quelques échantillons : « J'aimerais vraiment savoir s'ils ne devraient pas tous, Français et Anglais, Belges et Américains du Nord, se mettre d'abord à notre école » (p. 28). Et l'auteur de détailler la chose. Archives mlm « Les Nord-Américains me semblent foncièrement prosaïques et, malgré toutes leurs libertés légales, ils seraient bien avisés d'apprendre par nous ce qu'est le socialisme » (p. 101). D'autant plus que, depuis 1829, ils ont leur propre école socialiste-démocratique que Cooper, leur économiste, a combattue dès 1830. « Les démocrates belges. Crois-tu qu'ils aient fait la moitié du chemin parcouru par nous autres Allemands ? Tout récemment encore, j'ai dû me chamailler avec l'un d'eux, pour qui la réalisation d'une humanité libre n'est que chimère ! » (p. 22). Voilà la nationalité « de l'homme », de l'« essence de l'homme », de « l'humanité » qui se rengorge face à la nationalité belge. « Vous autres Français, laissez Hegel en paix, en attendant de le uploads/Litterature/ marx-1847-socialisme-vrai.pdf

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