ILCEA Revue de l’Institut des langues et cultures d'Europe, Amérique, Afrique,
ILCEA Revue de l’Institut des langues et cultures d'Europe, Amérique, Afrique, Asie et Australie 24 | 2015 Lire et écrire ensemble Des écritures en partage. Incorporation, hybridation, circularité dans Dear Patagonia Shared Writings. Incorporation, Hybridization, Circularity in Dear Patagonia Escrituras compartidas. Incorporación, hibridación, circularidad en Dear Patagonia Claire Latxague Édition électronique URL : http://ilcea.revues.org/3504 ISSN : 2101-0609 Éditeur Ellug / Éditions littéraires et linguistiques de l’université de Grenoble Édition imprimée ISBN : 978-2-84310-313-1 ISSN : 1639-6073 Référence électronique Claire Latxague, « Des écritures en partage. Incorporation, hybridation, circularité dans Dear Patagonia », ILCEA [En ligne], 24 | 2015, mis en ligne le 21 octobre 2015, consulté le 01 octobre 2016. URL : http://ilcea.revues.org/3504 Ce document a été généré automatiquement le 1 octobre 2016. © ILCEA Des écritures en partage. Incorporation, hybridation, circularité dans Dear Patagonia Shared Writings. Incorporation, Hybridization, Circularity in Dear Patagonia Escrituras compartidas. Incorporación, hibridación, circularidad en Dear Patagonia Claire Latxague Mes remerciements à Jorge González pour l’autorisation de publier ses planches et ses réponses à mes questions ; à Alejandro Aguado pour ses précisions sur la civilisation tehuelche. 1 Michel Lafon était un inconditionnel de la ligne claire. Cela vouait à l’échec mes tentatives de lui faire apprécier les auteurs du Río de la Plata qui suivent le chemin du sfumato, jouent avec le clair-obscur ou élaborent une esthétique de la tache. Jorge González est de ceux-là car son style se caractérise par une superposition de couches graphiques qui garde la trace des brouillons et des croquis préparatoires de ses planches. Il est un aspect, néanmoins, qui aurait pu intéresser le chercheur intrigué par l’écriture en collaboration, dont il a proposé, avec Benoît Peeters, des études de cas dans Nous est un autre (Lafon & Peeters, 2006). Dans ces pages, je propose donc une lecture de Dear Patagonia au prisme de la co-écriture. 2 Cette œuvre, parue en 2011 dans la maison d’éditions madrilène Sins Entido, porte la mention « Una novela gráfica de Jorge González » en couverture (fig. 1). Des écritures en partage. Incorporation, hybridation, circularité dans Dear P ... ILCEA, 24 | 2015 1 Figure 1. – Tapa (illustration 1, extraite de Dear Patagonia). © Jorge González, 2011. 3 Bien que l’ensemble des planches et des dessins des neuf chapitres qui composent le livre soient de la main du dessinateur, près de la moitié de l’œuvre est le fruit de sa collaboration avec différents scénaristes : Horacio Altuna (dix pages du chapitre 6), Hernán González (chapitres 7 et 8) et Alejandro Aguado (chapitre 9). Il s’agit donc d’une écriture en collaboration qui enchâsse, dans la trame narrative, des épisodes ou des chapitres scénarisés par des co-auteurs, et dont le liant, pour ainsi dire, est le dessin. Les huit premiers chapitres constituent un récit de fiction, qui retrace l’histoire de la Patagonie de 1888 à nos jours, à travers les épisodes de la vie de différents personnages. Julián Blumer, fils d’immigrés allemands installés dans la province du Chubut au début du XXe siècle, est la figure centrale autour de laquelle vont s’articuler des personnages secondaires qui croisent sa route au cours de sa vie. De sa naissance en 1915 dans le village, au nom très évocateur, de Facundo, à ses vieux jours comme propriétaire d’un hôtel à Comodoro Rivadavia, en 2002, il sert de point de rencontre entre différents archétypes de la mosaïque identitaire et sociale argentine : Isabel, son amie d’enfance, métisse de père espagnol et de mère indigène ; le cacique Maniqueque, grand-père d’Isabel ; l’Écossais Taylor, ancien chasseur d’Indigènes, qui ouvre un hôtel à Facundo ; Hermann Winsler, cinéaste allemand, envoyé en Argentine sous le nom de Roth par le Troisième Reich en 1939 et dont les certitudes volent en éclats au contact des Indigènes de la toldería de Facundo ; une jeune militante de gauche, hébergée une nuit de 1973 par Julián dans son hôtel ; une Française préparant une rétrospective sur Winsler ; Cuyul, boxeur d’origine indigène qui a quitté Buenos Aires pour retourner vivre sur la terre de ses ancêtres au moment où se met en place le mouvement de récupération des territoires Des écritures en partage. Incorporation, hybridation, circularité dans Dear P ... ILCEA, 24 | 2015 2 mapuche. Pour cette première partie, chaque scénariste incorpore de nouveaux personnages dans le récit tout en reprenant ceux de la trame initiale. 4 À cette traversée du XXe siècle sous forme d’entrelacs d’itinéraires personnels s’ajoute le neuvième chapitre, d’une autre nature graphique et narrative. Le lecteur y découvre que le personnage d’Isabel est directement inspiré de la grand-mère du scénariste de ce dernier chapitre, Alejandro Aguado, dont le témoignage et les travaux sur la Patagonie ont nourri l’écriture de González1. Ces pages, qui représentent un quart du livre, complètent le genre de la fresque historique par celui du reportage dessiné, dans un dispositif se rapprochant de l’esthétique du carnet de voyage. Jorge González offre ainsi un éclairage documenté du récit de fiction. Avec Dear Patagonia, nous avons donc affaire à un matériau hétéroclite très riche, tant du point de vue graphique que du point de vue générique et qui se met en scène comme tel, exposant au lecteur son assemblage de voix, de témoignages, d’écritures. 5 Si cette œuvre peut paraître déroutante au premier abord par son caractère composite, elle témoigne, en fait, du travail de mise au jour, par le dessinateur, de la mémoire collective patagonique. Celle-ci est transmise par la parole donnée à différents scénaristes et témoins, ainsi que grâce à une palette plastique variée. On peut établir un parallèle entre l’esthétique de ces planches, qui laissent affleurer les traces de croquis successifs, de brouillons et d’opérations de découpage de l’action, et la révélation d’un passé et d’une civilisation étouffés par les massacres perpétrés au XIXe siècle ainsi que par des décennies de dédain. Le résultat est un livre hybride, qui met en tension deux temporalités, l’une linéaire, l’autre cyclique, pour se confronter à la difficile construction de l’identité des Patagons. 6 Cette lecture au prisme de l’écriture en collaboration n’est malheureusement pas une étude précise des traces de la genèse du livre qui permettrait de rendre compte d’une ou de plusieurs pratiques de co-création. La possibilité d’accéder à des documents qui témoigneraient des échanges et de la mise en commun de réflexions (correspondance, brouillons) entre les différentes auteurs se réalisera peut-être ultérieurement. Pour l’heure, je propose d’analyser la signification et la portée de la co-écriture de cet ouvrage ainsi que les différents motifs qui la thématisent2. La mémoire par le trait 7 Le style des premiers albums de Jorge González est influencé par le trait et la palette de couleurs de Lorenzo Mattotti. À partir de Fuelle (Sins Entido, 2009), c’est-à-dire de sa première œuvre consacrée à la mémoire de l’identité culturelle argentine, le dessinateur affirme son originalité en adoptant une ligne vibrante, parfois indécise, et qui donne aux formes un caractère indéfini. Son trait, construit par couches, laisse transparaître les traces des esquisses successives et l’élaboration progressive du dessin. Ses planches sont ainsi travaillées par la réminiscence de leur genèse, dans une mise en évidence du processus d’ « engendrement des images » (Garric, 2013). 8 Dans Dear Patagonia, les planches conservent, non seulement, la trace de croquis préparatoires, mais également des brouillons sur lesquels figurent les annotations d’ordre scénaristique. Ces planches originelles, sur lesquelles s’est déroulé le travail préparatoire, servent de trame de fond à la disposition des cases. Elles conservent la sensualité des matériaux (crayon et papier) sur lesquels sont déposées les vignettes retravaillées à Des écritures en partage. Incorporation, hybridation, circularité dans Dear P ... ILCEA, 24 | 2015 3 l’ordinateur. L’acte de couper-coller est rendu tangible et dévoile l’opération de composition et de fabrication des planches. On peut parler d’un dédoublement en deux temporalités qui, d’une part, préserve la mémoire d’une pratique plastique et narrative et, de l’autre, met en évidence l’écriture du récit comme élaboration. Il s’agit également de révéler la beauté qui peut se dégager du processus créatif dans son inachèvement. 9 Cette esthétique est particulièrement productive dans cet ouvrage qui questionne la survivance de la culture indigène, la transmission de sa mémoire et la construction identitaire. Les personnages s’y dessinent presque comme des fantômes aux limites mouvantes. Leur silhouette est traversée par les traces du paysage en fond ou par les lignes d’objets à demi-effacés auxquels ils se superposent. Contrairement à la longue tradition de la bande dessinée qui figure le déplacement des personnages par ajout de traits de mouvement, cet affleurement par transparences met en tension l’éphémère et la persistance. Si le neuvième art s’est très tôt nourri de l’effet de vitesse3 — la fuite en avant des personnages accompagnant le mouvement de lecture et devenant moteur de l’aventure — le travail plastique de Jorge González cherche à donner une nouvelle dimension au binôme espace-temps. 10 Dans cette logique, le paysage est également protagoniste du récit. Le découpage de l’action ménage une large place aux planches purement contemplatives qui rassemblent les états successifs du ciel et des étendues uploads/Litterature/ latxague-des-ecritures-en-partage-incorporation-hybridation-circularite-dans-dear-patagonia.pdf
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- Publié le Mai 27, 2022
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