102 No 2 1980 Le caractère universel du jugement et la charité sans frontière e
102 No 2 1980 Le caractère universel du jugement et la charité sans frontière en Matthieu 25,31-46 André FEUILLET p. 179 - 196 https://www.nrt.be/en/articles/le-caractere-universel-du-jugement-et-la-charite-sans- frontiere-en-matthieu-25-31-46-1000 Tous droits réservés. © Nouvelle revue théologique 2021 Le caractère universel du jugement et la charité sans frontières en Mt 25.31-46 Propre à saint Matthieu, l'admirable scène de Mt 25,31-46 est un des textes les plus fréquemment cités de nos évangiles. Il est d'ordinaire regardé comme une description du jugement général de l'humanité entière à la fin des temps. De plus on y découvre souvent une recommandation particulièrement éloquente de cette charité sans frontières, ignorante des différences de nationalité, de race, voire de religion, que réclame ailleurs l'enseignement du Christ, notamment dans la parabole du bon Samaritain (Le 70,29-37), où il est demandé à tout homme d'aimer efficacement le malheureux qu'il côtoie sans se poser aucune question sur l'iden- tité de celui qui est aimé 1. R. Mehl nous apprend qu'au cours des discussions de la Conférence œcuménique « Eglise et Société », organisée à Genève en 1966, se manifesta une tendance très nette à regarder Mt 25, 31-46 comme « le sommaire de l'Evangile » 2. Cependant l'exégèse de ce passage célèbre préconisée par nombre de commentateurs modernes exprime des doutes, voire des négations, ou à tout le moins laisse dans l'indécision en ce qui regarde soit l'universalité du jugement, soit le caractère universel de l'amour qui est ici exalté. En effet, pour divers motifs d'ordre surtout doctrinal, on a voulu, sur l'un ou l'autre de ces deux points ou bien sur les deux à la fois, limiter la perspective universaliste. Que valent ces prises de position ? Ne faut-il pas au contraire maintenir sans aucune restriction l'universalité tant du jugement auquel pro- cède le Fils de l'homme que des actes de bienfaisance qu'il loue et récompense ? Telle est l'unique question que nous nous pro- posons d'examiner ; nous laisserons donc de côté tous les autres détails de ce tableau eschatologique, alors que pourtant certains d'entre eux appelleraient des explications. Pour remédier partiellement au caractère fragmentaire de cette recherche, dans une troisième partie qui nous servira de con- clusion, nous ferons quelques observations sur la signification géné- rale de la péricope de Mt 25,31 -46 remise elle-même dans le 1. Cf. L. RAMAROSON, Comme le bon Samaritain, ne chercher qu'à aimer, dans Biblica 56 (1975) 533-536. 1. Rfllltl! il'HiftnIw »< À» Dhilm^h^ J3flf^,r: 1068 Î<Û 180 A. FEUILLET contexte de cette grandiose synthèse eschatologique : les chapitres 24 et 25 du premier évangile. LES TENTATIVES DE LIMITATION DE LA PERSPECTIVE UNIVERSALISTE D'après quelques interprètes, le Fils de l'homme en Mt 25,31-46 ne juge pas en réalité l'humanité entière, mais seulement ses propres sujets, c'est-à-dire les chrétiens, dont les rapports mutuels doivent être commandés par la charité. A. Loisy cite trois auteurs anciens qui se sont prononcés en ce sens : Origène, Lactance, Jé- rôme 3. C'était là également le sentiment de J. Wellhausen4. Parmi les auteurs modernes, à la vérité peu nombreux, qui ont opté pour cette exégèse, citons A. Loisy (avec hésitation), M.J. La- grange, A. Descamps, L. Cerfaux5. Les principales raisons in- voquées sont à première vue contraignantes. L'expression du v. 40 : « l'un de ces petits, l'un de mes frères », dont l'authenticité n'est pas douteuse<i, ne doit-elle pas désigner des disciples du Christ ? Aussi bien la charité chrétienne authentique, qui certainement «n'est pas un vague sentiment d'humanité» (Lagrange), pourrait- elle être pratiquée par des non-chrétiens ? Que penser de cette exégèse ? Il est certain que la charité célébrée ici n'est pas la simple philanthropie ; elle est d'ordre surnaturel. Mais faut-il pour autant négliger l'indication formelle « toutes les nations » ? A quoi bon cette indication si seuls étaient visés les disciples du Christ ? En d'autres textes évangéliques il est question d'un jugement qui ne concerne qu'eux, et alors cela est dit très explicitement : par exemple en Mt 5,7 à propos des miséricordieux ; en Mt 10, 32-33 au sujet de ceux qui auront confessé ou au con- traire renié le Christ ; dans les trois paraboles de Mt 24, 45 - 25, 30, 3. Les Evangiles Synoptiques, Ceffonds, 1908, t. II, p. 483. 4. Das Evangelium Matthaei, Berlin, 1904. M.J. Lagrange cite ces lignes ca- ractéristiques de Wellhausen : le jugement universel « n'est que le fond grandiose du tableau, auquel il n'est plus fait allusion ; au premier plan se tiennent les membres de la communauté chrétienne, les disciples. Jésus les juge d'après la charité qu'ils lui ont témoignée ou non » {Evangile selon saint Matthieu, Paris, 1941, p. 486). 5. Voici ces références : A. LOISY, Les Evangiles Synoptiques, t. II, p. 483-484 ; M.J. LAGRANGE, Evangile selon saint Matthieu, p. 485 ; A. DESCAMPS, Les justes et la justice dans le christianisme primitif hormis la doctrine proprement pauli- nienne, Louvain-Gembloux, 1950, p. 255-258 ; L. CERFAUX, « La charité frater- nelle et le retour du Christ (Jn XIII, 31-38) », dans recueil Lucien Cerfaux. t. II, Gembloux, 1954, p. 32-33. 6. En général les commentateurs ne tiennent pas compte de l'omission par quelques manuscrits des trois mots ton adelphôn mou ; cette omission, très faible- ment attestée, peut s'expliquer sans peine par le désir d'aligner le v. 40 sur le v. 45 où ces trois mots, qu'on attendrait pourtant, ne sont pas répétés. LE CARACTÈRE UNIVERSEL DU,, JUGEMENT 181 etc. Il y a encore ceci. Il existe sans nul doute une ressemblance entre Mt 10,42 et Mt 25,40, puisque dans les deux cas sont loués et récompensés des services rendus aux plus petits, mais il y a cette différence entre ces deux passages : en Mt 10, 42 le secours a été apporté à l'un de ces petits en sa qualité de disciple (efs onoma mathètou} ; en Mt 25, 40 cette précision fait défaut. Certes très suggestive est la comparaison proposée par Cerfaux entre Jn 13, 33-34 : « Ce n'est plus que pour peu de temps que je suis avec vous. . . Aimez-vous les uns et les autres » et les trois paraboles de Mt 24. 45 • 25, 30, où, en l'absence du Christ, la principale occupation de ses disciples doit être l'exercice d'une charité active. Mais ce même rapprochement ne doit pas être étendu à Mt 25, 31-46, morceau tout à fait distinct, par sa forme littéraire, des paraboles qui précèdent et destiné à traduire un nouvel aspect du drame eschatologique. R. Maddox7 propose une nouvelle forme de l'explication que nous venons de critiquer. Il rappelle qu'en Mt 24, 3 le discours eschatologique ne s'adresse qu'à quelques apôtres qui d'après Me 13, 3 ne sont autres que Pierre, Jacques, Jean et André. Il pense en conséquence que les chrétiens qui comparaissent devant le Fils de l'homme seraient les seuls chefs de la communauté ; le discours de Mt 25,31-46 leur demanderait avec insistance de prendre conscience de leurs graves responsabilités à l'endroit des autres chrétiens, leurs subordonnés, qu'ils ont le devoir de nourrir, d'encourager et de protéger. Non seulement l'image de la séparation entre les brebis et les boucs au v. 33 doit provenir d'Ez 34, 17, mais tout ce passage évangélique serait à lire en dépendance du grand oracle d'Ez 34. qui est une condamnation des mauvais pasteurs 8. Il nous semble impossible d'adhérer à ce point de vue. S'il paraît déjà arbitraire de voir dans « toutes les nations » les seuls chrétiens, à combien plus forte raison est-il interdit de restreindre aux seuls chefs de l'Eglise les hommes jugés par le Fils de l'homme. 7. Who are thé Sheep and thé Goats ? A Studg of thé Purpose and Meaning of Matthew XXV,31-46. dans Australian Biblica! Review 13 (1965) 19-28. 8. Même si l'allusion de Mt 25, 32 à Ez 34, 17 peut être légitimement admise, le sens est différent de part et d'autre. Dans le texte assez difficile d'Ezéchiel la discrimination paraît être opérée à la fois entre brebis et brebis (les simples membres de la nation choisie) et entre béliers et boucs (les chefs). Dans le passage de saint Matthieu, le tri est fait, dit-on habituellement, entre brebis et boucs, bien que les termes grecs eriphoi et erip/iia ne désignent pas à proprement parler des boucs (appelés tragoi), mais des chevreaux. Aujourd'hui on préfère parler d'un tri entre brebis et chèvres. Voici comment J. Jeremias justifie cette imagerie : « En Palestine les troupeaux mêlés sont de règle : brebis et chèvres paissent ensemble, mais le soir le berger les sépare, car les chèvres ne doivent pas rester à la fraîcheur nocturne au contraire des brebis qui vivent la nuit au grand air... Les brebis sont des bêtes de plus grande valeur, dont du reste la couleur blanche (à la différence des chèvres qui sont noires) est un symbole des justes » (Les Paraboles de Jésus, Le Puy-Lyon, 1962, p. 196-197). 182 A. FEUILLET Pour rendre plus acceptable son hypothèse, Maddox suggère de mettre un point après la première uploads/Litterature/ le-caractere-universel-du-jugement-et-la-charite-sans-frontiere-en-matthieu-25-31-46.pdf
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- Publié le Aoû 03, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
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