Foucault - Le courage de la vérité (1984) "Le courage de la vérité" - Michel Fo
Foucault - Le courage de la vérité (1984) "Le courage de la vérité" - Michel Foucault Cours au Collège de France - 1984 Abrégé de César Valentine 1er février 1984 Je veux analyser le type d'acte par lequel le sujet, disant la vérité, se représente à lui-même, et est reconnu par les autres comme disant la vérité. En d'autres mots, sous quelle forme se présente celui qui dit vrai. Dans la culture grecque et romaine, le principe "il faut dire vrai sur soi- même" a été très important : examen de conscience, correspondances, carnets de notes sur soi-même. On a tendance à rapporter ces pratiques au principe socratique du "connais-toi toi-même", mais il serait intéressant de les replacer dans le contexte plus large de "soucis de soi" dont le "connais-toi toi-même" n'est qu'une implication. Ce précepte si ancien dans la culture grecque et romaine a donné lieu au développement d'une "culture de soi". La pratique du dire vrai sur soi-même a fait appel à la présence de l'autre, bien avant le christianisme et la confession. Cet autre est identifiable dans la culture chrétienne où il prend la forme institutionnelle du confesseur ou du directeur de conscience, mais on le retrouve aussi dans la culture moderne où il prend la forme du médecin, du psychiatre, du psychologue, du psychanalyste. En revanche, dans la culture antique, le statut de cet autre est beaucoup plus variable et moins institutionnalisé, mais quel que soit son profil, il doit avoir une certaine qualification. Ce n'est pas une qualification donnée par l'institution et se rapportant à la possession de pouvoir spirituel (confesseur), ni une qualification institutionnelle garantissant certains savoirs (psychologue, psychanalyste...). Cet autre un peu brumeux doit avoir comme qualification la parrêsia (le franc-parler). La parrêsia de l'Antiquité est une sorte de préhistoire des pratiques développées par la suite autour de couples célèbres : Le pénitent et son confesseur, le dirigeant et le directeur de conscience, le malade et le psychiatre, le patient et le psychanalyste. C'est cette préhistoire que j'ai essayé d'écrire. Cependant, l'origine de la notion de parrêsia n'est pas dans cette pratique du guidage spirituel. Elle est d'abord, fondamentalement, une notion politique, puis dérive dans la constitution du sujet moral. On peut donc à partir de la notion de parrêsia analyser les rapports entre : Modes de véridictions (les savoirs) Techniques de gouvernementalité (les procédures du pouvoir) Formes de pratiques de soi (les modes de constitution du sujet) Pour étudier les rapports entre vérité, pouvoir et sujet, il faut donc opérer ce triple déplacement théorique : Du thème de la connaissance vers le thème de la véridiction Du thème de la domination vers le thème de la gouvernementalité Du thème de l'individu vers le thème des pratiques de soi Rappel des éléments essentiels qui caractérisent la parrêsia La parrêsia c'est étymologiquement l'activité qui consiste à tout dire. Le parrèsiaste, c'est celui qui dit tout. De plus, le mot parrêsia peut être employé avec deux valeurs : Valeur péjorative : dire tout, en ce sens que l'on dit n'importe quoi. C'est le bavard, celui qui ne sait pas se retenir, celui qui n'est pas capable d'avoir un discours rationnel et vrai. Valeur positive : dire la vérité sans dissimulation, ni ornement rhétorique. Mais pour qu'on puisse parler de parrêsia au sens positif du terme, il faut, en plus de la règle du tout dire et la règle de la vérité, deux conditions supplémentaires : 1. Une opinion personnelle : Il faut que cette vérité constitue l'opinion personnelle de celui qui parle. Il faut qu'il la dise comme étant ce qu'il pense, et pas du bout des lèvres. 2. Un danger à parler : Il faut qu'en disant cette vérité, il affronte le risque de blesser l'autre, de le mettre en colère. C'est donc la vérité dans le risque de la violence. D'où ce nouveau trait de la parrêsia : elle implique une certaine forme de courage. Le parrèsiaste risque toujours de briser cette relation qui est la condition de possibilité de son discours. Exemple : la parrêsia guidage de conscience n'est possible que s'il y a amitié, mais l'usage de la vérité dans ce guidage de conscience risque de briser la relation d'amitié. Dernier trait à souligner, la parrêsia peut se stabiliser dans un jeu parrèsiastique : le peuple, le prince, l'individu doivent accepter le jeu de la parrêsia. Le pacte parrèsiastique, c'est donc un pacte entre celui qui prend le risque de dire la vérité, et celui qui accepte de l'entendre. Donc courage de la vérité chez celui qui dit et chez celui qui entend. Le rhéteur peut être un menteur qui contraint les autres, tandis que le parrèsiaste est le diseur courageux d'une vérité où il risque sa relation avec l'autre. La parrêsia n'est pas une technique comme l’est la rhétorique, la parrêsia est une modalité du dire vrai, c'est une manière d'être qui s'apparente à la vertu. C'est un rôle indispensable pour la cité et les individus. Les quatre modalités fondamentales du dire-vrai 1. Le dire-vrai du Prophète (dit le destin) Le Prophète est en posture de médiation. Il transmet la parole de Dieu, c'est-à-dire une vérité qui vient d'ailleurs. En tant qu'intermédiaire, il est entre le présent et le futur. Il montre ce qui est caché aux hommes : la prophétie ne donne jamais de prescription univoque et claire. La parole du prophète reste donc toujours à questionner et à interpréter. La parrêsia s'oppose au dire vrai prophétique : 1. Le prophète parle au nom de quelqu'un d'autre. Le parrèsiaste parle en son propre nom. 2. Le prophète dit l'avenir. Le parrèsiaste ne dit pas l'avenir, il lève le voile sur ce qui est. Il aide les hommes dans leur aveuglement, en leur disant ce qu'ils sont. 3. Le prophète parle par énigmes et ne donne jamais de prescription. Le parrèsiaste dit les choses clairement et sans déguisement, sans ornement rhétorique, de sorte que ses paroles reçoivent immédiatement une valeur prescriptive 4. Le prophète laisse à celui à qui il s'adresse le devoir difficile d'interpréter. Le parrèsiaste laisse à celui à qui il s'adresse la rude tâche d'avoir le courage d'accepter cette vérité et d'en faire un principe de conduite. 2. Le dire-vrai du sage (dit l'être et la nature) Le sage dit ce qui est, il est présent dans son dire-vrai car c'est sa propre sagesse qu'il formule. Il est par cette présence, beaucoup plus proche du parrèsiaste qu'il ne l'est du prophète. Cependant, le sage est sage pour lui-même, il n'a pas besoin de parler, il est structurellement silencieux : il ne parle que lorsqu'on le sollicite. Ses réponses énigmatiques font qu'il s'apparente au prophète. Son dire-vrai peut prendre valeur de prescription sous la forme d'un principe général de conduite, mais pas sous la forme d'un conseil lié à une conjecture (parrêsia). La parrêsia s'oppose au dire vrai du sage : 1. Le sage ne parle que quand il le veut bien. Le parrèsiaste a pour tâche de parler, il interpelle les gens. 2. Le sage parle par énigme. Le parrèsiaste parle aussi clairement que possible. 3. Le sage dit ce qui est, dans la forme de l'être même des choses et du monde. Le parrèsiaste dit ce qui est, mais dans la singularité des individus et des situations. Il ne dit pas l'être de la nature et des choses. Le parrèsiaste ne révèle pas à son interlocuteur ce qui est, il lui dévoile ce qu'il est. 3. Le dire-vrai du technicien (dit la technique) Médecins, musiciens, menuisiers, possèdent une technique, un savoir- faire. C'est-à-dire un ensemble de connaissances théoriques et pratiques. Le savoir du technicien est lié à une traditionnalité. Le technicien qui détient une technique l'a apprise et a le devoir de la transmettre aux autres, il a donc une obligation de parler. Il se différencie en cela du sage, et s'apparente au parrèsiaste. Cependant, en transmettant son dire-vrai, il ne prend aucun risque. Le dire vrai du technicien assure la survie du savoir. Le dire-vrai du technicien et du professeur unit et lie, alors que le dire-vrai du parrèsiaste prend le risque de l'hostilité. La parrêsia peut unir et réconcilier, mais qu'après avoir ouvert un moment structurellement nécessaire : la possibilité de la haine et du déchirement. 4. Le dire-vrai du parrèsiaste (dit l'ethos) Le parrèsiaste n'est pas le prophète qui dit au nom d'un autre le destin. Le parrèsiaste n'est pas le sage qui dit au nom de la sagesse l'être et la nature. Le parrèsiaste n'est pas l'homme du savoir-faire qui dit la technique au nom d'une tradition. Le parrèsiaste dit la vérité de ce qui est, en prenant le risque d'ouvrir la guerre en son propre nom. Il dit, au nom de son courage, l'ethos (manière d'être d'un individu). Donc quatre modes de véridictions qui impliquent des personnages différents appellent des modes de paroles différentes, se réfèrent à des domaines différents (destin, être, technique). Socrate est en relation avec les quatre formes de dire-vrai : La parrêsia : il interpelle les gens. uploads/Litterature/ le-courage-de-la-verite.pdf
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- Publié le Jan 01, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
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