61 Le fantastique dans les contes de Maupassant et de Poe Lect. dr. Alexandra V
61 Le fantastique dans les contes de Maupassant et de Poe Lect. dr. Alexandra Viorica Dulău Universitatea « Babeş-Bolyai », Cluj On présente les traits communs et les différences entre les œuvres fantastiques des deux écrivains. Ils se déclarent contre le romantisme et cherchent l’originalité tout en se basant sur la lucidité, mais tous les deux utilisent des symboles romantiques pour réaliser l’atmosphère surnaturelle. L’auteur français considère que le talent est dû au travail, que l’écrivain doit avoir un point de vue personnel. Si Maupassant se base sur l’auto-analyse, Poe place le point culminant à la fin de l’œuvre ; moraliste, il fait appel à Dieu. L’écrivain américain croit à la possibilité de l’homme de tout connaître, pendant que celui français considère que l’incapacité de savoir caractérise l’humanité. Le fantastique est le bizarre, le fait étrange qui dépasse la capacité de comprendre. Le travail présente aussi les thèmes fantastiques des écrits de Guy de Maupassant et les éléments qui contribuent à la création de celui-ci, tout comme de la science-fiction, car ils ont pour première source l’œuvre de Edgar Allan Poe. « Certes, mes bons amis, je ne sais rien de pire/Que de faire des vers quand on n’a rien à dire. »1 Guy de Maupassant a la même pensée que Mihai Eminescu avec qui il partage non seulement l’époque, mais aussi la maladie, et cela sans oublier leur penchant pour le fantastique. L’impossibilité d’une inter-influence est presque certaine, bien qu’ils aient des points communs. Les choses n’en restent pas là dans le cas de l’influence qu’Edgar Allan Poe a exercée sur l’écrivain français. Même dans le domaine théorique, Maupassant et Poe ont des points de vue souvent différents. Une comparaison y est possible, mais seulement si l’on tient compte du fait que l’écrivain français s’est occupé de la théorie du roman, tandis que Poe a traité de la poésie et du conte. Disciple de Flaubert, Maupassant trouve que le talent doit son existence surtout au travail, à la patience. Pour donner quelque chose de nouveau, il faut trouver partout ce qu’il y a d’inédit, « parce que nous sommes habitués à ne nous servir de nos yeux qu’avec le souvenir de ce qu’on a pensé avant nous sur ce que nous contemplons. La moindre chose contient un peu d’inconnu. Trouvons-le. […] C’est de cette façon qu’on devient original. »2 L’originalité d’un écrivain n’existera jamais s’il ne trouve pas la nouveauté de la chose la plus banale. Tout écrivain doit avoir son point de vue personnel, sans accepter l’influence de ses prédécesseurs ou contemporains. Pour être original, il faut travailler. On retrouve la même idée chez Poe, mais en d’autres termes : « The fact is, that originality (unless in minds of very unusual force) is by no means a matter, as some suppose, of impulse or intuition. »3 Lorsqu’il écrit, l’artiste ne doit jamais s’oublier. Si la lucidité intervient quand il observe, son œuvre sera meilleure4. Cette idée, qui domine la pensée esthétique de Poe, peut être retrouvée chez Maupassant aussi : « il faut discerner avec une extrême lucidité toutes les modifications de la valeur d’un mot suivant la place qu’il occupe »5. La lucidité de l’écrivain français se dirige, donc, vers l’acte de la création lui-même, tandis que l’Américain accorde plus d’importance à l’observation préalable. Revenire Cuprins 62 Mais une grande différence entre les deux auteurs réside dans le fait que, pour Maupassant, l’œuvre « est simplement l’expression généralisée d’un tempérament qui s’analyse »6. C’est pour cela que ses contes sont généralement écrits à la première personne. La vraie analyse d’un tempérament se fait de l’intérieur du héros. En s’analysant, le conteur se laisse pénétrer dans ses pensées les plus cachées, il révèle un monde à lui. Ce monde est aussi le nôtre, donc l’auteur doit nous connaître afin de pouvoir nous exprimer. Il n’en viendra jamais à cela s’il n’est pas libre. Pour être artiste, l’écrivain doit avoir la liberté d’observer, de comprendre et de concevoir. Les deux artistes ont la même idée : l’œuvre doit être quelque chose de beau. Pour Poe, il faut que l’œuvre soit courte parce qu’elle ne peut créer une unité d’impression si elle n’est pas lue tout entière, si l’on doit en interrompre la lecture7. C’est pour cela qu’il écrit des contes, que ses poèmes ont une certaine longueur. Comme Maupassant a créé aussi des romans, il est clair qu’il y a ici une différence entre eux. Poe, tout comme Maupassant, se lève contre le romantisme, soutenant l’idée de l’intelligence créatrice. Le conte a très souvent pour but la Vérité, parce qu’il est pratiquement impossible d’avoir comme thème d’un conte seulement le Beau. Dans son œuvre, le Français veut donner « la vision la plus complète, plus saisissante, plus probante que la réalité même » et non pas une photographie8. Il veut donc la vérité, tandis que Poe soutient l’art pour l’art, parce que : « The demands of Truth are severe. »9, parce que la vérité n’est pas toujours belle. Finalement, il accepte aussi la vérité qui impose à l’artiste d’être « simple, precise, terse. We must be cool, calm, unimpassioned »10. La lucidité intervient donc encore une fois. La plus grande différence entre Maupassant et Poe consiste dans leurs Pensées sur la fin de l’œuvre : « Au lieu de machiner une aventure et de la dérouler de façon à la rendre intéressante jusqu’au dénouement, [l’écrivain] prendra son ou ses personnages à une certaine période de leur existence et les conduira, par des transitions naturelles, jusqu’à la période suivante. »11 Il en résulte que, même dans les contes fantastiques, Maupassant est pour l’analyse des héros, de leurs caractères et actions, sans accorder de l’importance à l’intrigue, à l’événement raconté. Au contraire, Poe soutient que : « It is only with the dénouement constantly in view that we can give a plot its indispensable air of consequence, or causation, by making the incidents, and especially the tone at all points tend to the development of the intention. »12 Donc Poe prête attention à l’action, aux conséquences ou aux causes de l’aventure, étant convaincu que le point culminant de l’œuvre doit se trouver à la fin, fin vers laquelle tend chaque mot qu’il écrit. Trop rationnels, les Français sont plutôt contre le fantastique. Les écrivains qui s’en sont occupés constituent généralement des cas d’exception. Tout en évoluant entre le réalisme et le naturalisme, Guy de Maupassant, auteur de contes fantastiques, semble être non seulement une exception dans la littérature française, mais aussi en contradiction avec lui-même. Au fond, le réalisme de Maupassant n’entre pas en opposition avec son aspiration vers le fantastique. Plus le monde réel est solide, plus il sera ravagé au moment de l’irruption du fantastique13. En conséquence, ce n’est pas étonnant qu’un peintre de la vie quotidienne devienne l’un des maîtres du conte fantastique. Les règles du monde réel doivent être très claires, ses limites bien fixées pour que l’on puisse mieux remarquer l’insolite dans cet univers de l’habitude, du commun. Or, le mélange entre la réalité (dans la description de laquelle Maupassant excelle), et l’au-delà (qui l’attire) prouve justement que l’écrivain a réussi – dans ses contes fantastiques – à jeter un pont au-dessus du précipice qui séparait les deux univers réunis dans sa personnalité. Guy de Maupassant deviendra l’un des maîtres incontestés du conte fantastique français et universel. Bien qu’influencé par Edgar Allan Poe, l’écrivain gardera son originalité : il prend des thèmes à son prédécesseur américain, mais il ne s’agit que d’un emprunt parce que l’auteur français va toujours employer ses propres moyens artistiques. De plus, appliquant surtout la technique du conte dans le conte, il laisse entendre des récits pendant un voyage ou une promenade, à une soirée, et ainsi de suite. Cette technique de Maupassant est due à son ascendance littéraire française. Les contes de Poe semblent plutôt être des articles de journal, des contes de fées ou, tout simplement, des récits construits indépendamment. Maupassant emploie aussi sa technique à lui dans les contes 63 écrits à la manière de Poe (une sorte de plaidoyer – sur la peur, par exemple –, suivi par le récit proprement-dit ayant comme base les « faits », vient soutenir la théorie). L’influence de Poe est évidente. Il a plus d’un conte dont le thème sera repris par Guy de Maupassant, mais cela ne prouve rien à côté d’un argument très fort : dans ni plus ni moins que trois œuvres l’écrivain français fait appel au nom de l’Américain14, une fois même pour caractériser ses personnages : « Ils me firent l’effet, tout de suite, de personnages d’Edgar Poe […] »15. Il emprunte des thèmes poesques, mais les transforme, les adaptes à son époque, à son milieu. A son début, les contes de Maupassant étaient dominés par la technique de Poe même en ce qui concerne la localisation. L’Américain évite de donner la date ou l’endroit précis, rendant de cette façon, son récit plus proche du conte de fées. Maupassant changera de méthode parce qu’il comprend uploads/Litterature/ le-fantastique-dans-les-contes-de-maupassant-et-de-poe 1 .pdf
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- Publié le Fev 14, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
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