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Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l'Université de Montréal, l'Université Laval et l'Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. Érudit offre des services d'édition numérique de documents scientifiques depuis 1998. Pour communiquer avec les responsables d'Érudit : erudit@umontreal.ca Article Roland Le Huenen Études littéraires, vol. 20, n° 1, 1987, p. 45-61. Pour citer cet article, utiliser l'information suivante : URI: http://id.erudit.org/iderudit/500787ar DOI: 10.7202/500787ar Note : les règles d'écriture des références bibliographiques peuvent varier selon les différents domaines du savoir. Ce document est protégé par la loi sur le droit d'auteur. L'utilisation des services d'Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d'utilisation que vous pouvez consulter à l'URI http://www.erudit.org/apropos/utilisation.html Document téléchargé le 20 février 2015 11:22 « Le récit de voyage : l’entrée en littérature » ÉTUDES LITTÉRAIRES, VOL. 20 — N° 1, PRINTEMPS-ÉTÉ 1987, pp. 45-61 LE RÉCIT DE VOYAGE: L'ENTRÉE EN LITTÉRATURE roland le huenen Abstract: In the 19th century, travel narratives expérience important changes of form and content, due to a reversai in their relationship to literature: the narrative becomes the justification for the voyage, instead of just its resuit or one of its possible sequels. Therefore the object of the voyage is defined within the limits of literature while the part of the traveller becomes more and more commutable with that of the writer. Le récit de voyage est un genre fort ancien dont les Histoires d'Hérodote et YAnabase de Xénophon constituent peut-être les premières manifestations. Mais il s'agit aussi d'un genre ouvert, et si paradoxal que cela soit, ou semble être, d'un genre sans loi. Si la tradition en est bien établie, si sa vitalité est attestée au fil des siècles, si la distribution de ses lecteurs est vaste, il n'en reste pas moins que pendant très longtemps cette catégorie de récit ne relève pas de la chose littéraire et demeure par conséquent étrangère à ses débats théoriques. Sa versatilité lui assure certes une liberté formelle, une plasticité qui la rend à même de s'adapter aux différentes mutations esthétiques et idéologiques qui affectent le cours d'une société, mais en même temps en fait un genre fuyant qui 46 ÉTUDES LITTÉRAIRES - PRINTEMPS-ÉTÉ 1987 résiste à toute description soucieuse d'être autre chose qu'une simple taxinomie de ses contenus. Ce qui ajoute encore à la confusion c'est que le récit de voyage peut venir se fixer à l'intérieur de formes discursives autonomes, présentant un statut défini en même temps que réglé par un ensemble de codes spécifiques. On le retrouve intégré au contenu du journal (Montaigne, Journal de voyage), de l'autobiographie (Chateaubriand, Mémoires d'Outre-Tombe), du discours épistolaire (Sand, Lettres d'un voyageur), de l'essai ethnogra- phique (Lévi-Strauss, Tristes Tropiques), ou encore retranscrit dans une forme différente de celle de sa première occurrence (Voyages au Canada de Jacques Cartier dont le récit rétrospectif reprend la matière des différents journaux de bord). En même temps qu'il peut ainsi s'ajuster aux exigences d'une telle prise en charge, le récit de voyage se fait lieu d'accueil pour des discours d'origine diverse qui le parcourent et s'y articulent: les discours du géographe, du naturaliste et de l'ethnologue, de l'administrateur et du militaire, du missionnaire, du marchand et de l'économiste, de l'archéologue et de l'amateur d'œuvres d'art, chacun doté de son propre lexique et réitérant le préconstruit de son idéologie. Le résultat sera tantôt un texte à la vision fragmentaire, au point de vue étriqué, tantôt un tissu de voix éclaté que Chateaubriand, par exemple, recommandait à son lecteur d'effeuiller suivant ses goûts et ses intérêts1. L'on est donc forcé de reconnaître, face à cette variété de pratiques et de formes, l'extrême difficulté sinon l'impossibilité à considérer et à décrire le récit de voyage en termes de genre constitué, autonome, faisant l'objet de règles et de contraintes a priori, présentant un réseau de marques et de signes spécifiques. À y regarder de près on s'apercevrait que, dès l'origine, son champ d'action présente une double tangente et par là même une double postulation: celle du discours littéraire et celle du discours scientifique. Il est rare que le voyageur ne se prononce pas dans un sens ou dans l'autre, soit à l'occasion d'une préface, soit dans son récit, sur cette double virtualité qui, tout en particularisant celui-ci, en définit aussi le profil à la fois théorique et problématique. S'affiche ainsi volontiers un parti-pris de scientificité fondé sur le recours emphatique à l'expérience et qui pose une économie du réel représenté en termes d'observation, de LE RÉCIT DE VOYAGE: L'ENTRÉE EN LITTÉRATURE 47 témoignage et de vérité2. Une telle revendication, tout en s'exerçant à rencontre de la spéculation abstraite et des œuvres issues du seul travail de l'imagination, prend aussi position à l'égard du langage. Il est en effet symptomatique de constater que les voyageurs, de la Renaissance au Siècle des Lumières, capitalisant en quelque sorte sur leur incapacité première à manier le beau langage, font de nécessité vertu et établissent une relation apodictique entre la simplicité du style et l'expression de la vérité3. « Par ce refus de la rhétorique et des figures de l'éloquence, remarque J. Chupeau, le récit de voyage se place résolument en marge de la littérature et de ses mensonges»4. L'on sait en effet combien la littérature, depuis la Renaissance, trouve sa justification et l'exclusivité institutionnelle de son pouvoir dans la valorisation d'un certain langage — le langage littéraire — qu'il s'est agi d'abord de créer, d'épurer et de normaliser pour ensuite en faire une instance transcendantale, sélective et régulatrice5. Toutefois cet a priori d'exactitude dont témoignent les récits de voyages, et quelles qu'en soient d'autre part les limitations et les illusions réelles ou jouées, ne saurait faire oublier la recherche parallèle d'un effet de lecture qui est aussi un effet d'agrément6. Rares sont en effet les relations qui privilégient le document brut, la version originale pourtant plus proches de l'expérience vécue. Les récits les plus frustres sont encore des récits, c'est- à-dire procèdent d'une reconstitution après coup d'un itinéraire initialement représenté par le journal de route ou l'envoi de lettres. Si gauches que soient certaines de ces reconstitutions, elles témoignent néanmoins de la mise en place d'une finalité autre que celle qui se définit par la seule expression de la vérité simple et nue, et dévoilent le recours à la littérature et à ses modèles esthétiques, ce que conforte d'autre part la collaboration souvent recherchée d'un auteur professionnel ou d'un amateur averti7. Il faudrait aussi reconnaître que l'ambiguïté générique du récit de voyage peut soudain se voir accentuée et réorientée au sein de périodes de crise qui secouent la fiction et l'ordre du savoir. Ainsi lorsque autour des années 1660 l'attention du public se détourne du roman héroïco-galant, réglé sur l'épopée, et vient se fixer sur des formes neuves, historiettes et mémoires, l'économie de la relation de voyage se modifie afin de prendre en compte les valeurs nouvelles et de tirer profit de 48 ÉTUDES LITTÉRAIRES — PRINTEMPS-ÉTÉ 1987 leur actualité. Instruire certes, mais aussi plaire et divertir se constituent en règles d'écriture. Ce plaisir, si l'on en croit les avertissements des voyageurs ou de leurs éditeurs, c'est d'abord celui du voyage dans un fauteuil, de la découverte sans fatigue et sans risque de «choses estranges et prodigieuses»; c'est aussi la séduction qui procède de la diversité des matières, de la singularité des observations et des aventures, de la fidélité d'un récit qui séduit l'imagination sans recourir aux fictions trompeuses ; c'est enfin l'agrément d'un style simple et familier, dont le naturel contribue à l'impression d'authenticité8. Sans franchir totalement le pas et tout en respectant certaines limites (refus de la fiction et de l'inauthentique), ce programme réduit néanmoins très sensiblement les écarts entre la finalité littéraire et celle de la relation de voyage. Si la valorisation du document et de sa charge de vérité avait pour conséquence de rejeter la littérature et ses fables, en particulier sa langue aux figures élaborées qui en devenait l'image de marque, la production d'un effet de lecture, ayant pour contenu le plaisir et l'agrément, tendait a contrario à effacer les distances. Inversement, au siècle des Philosophes, le récit de voyage cherche pour une large part à se conformer aux exigences du discours scientifique. Ainsi est-il pris en charge à des degrés divers par la pensée des Lumières qui, tout en le soumettant à une sévère critique de sources, sait lui reconnaître ses mérites. Un voyageur comme La Condamine est traité en égal par les philosophes et c'est à lui d'ailleurs que l'on demandera de rédiger l'article «Guyane» pour L'Encyclopédie9. Sans doute cette plasticité générique du récit de voyage qui le fait s'adresser tantôt à un public de lecteurs de romans, tantôt à un publicsavant, etrecourirainsiapparemmentsanscontrainteà une double instance de légitimation, est-elle favorisée à l'époque par l'absence d'un principe de différenciation qui poserait comme exclusive la relation des lettres et des sciences. Si les pratiques et les finalités demeurent bien distinctes, les acteurs par contre sont souvent les mêmes10. Dans uploads/Litterature/ le-huenen-roland-le-recit-de-voyage.pdf

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