LE MISANTHROPE DE MOLIERE CONFERENCE DONNEE PAR NADINE SORET A L’IUTL DE REIMS

LE MISANTHROPE DE MOLIERE CONFERENCE DONNEE PAR NADINE SORET A L’IUTL DE REIMS le 26 mai 2005 Introduction On ne peut pas dire que la première représentation du Misanthrope, donnée le 4 juin 1666 au Théâtre du Palais Royal fut un grand succès, pas plus que celles qui suivirent d’ailleurs… Le public avait pris l’habitude de voir Molière sous les traits d’un bouffon : il avait porté, dans les rôles de Sganarelle et d’Arnolphe, des moustaches épaisses et tombantes, une barbe noire, il avait une espèce de démarche saccadée, des yeux égarés, bref, il avait créé un type de personnage comique. Le rire devait éclater dès son entrée en scène. Or, avec la création du Le Misanthrope, tout changea : Costume anglais du XIX ème pour le Misanthrope Molière y jouait le rôle d’un grand seigneur, et s’il portait encore des rubans verts (le vert était la couleur des bouffons), son costume était cependant de bon goût, et Molière ne portait plus ses célèbres moustaches. Le public fut déçu. Il s’attendait à rire sans réserve, et la pièce faisait seulement « rire dans l’âme », comme l’écrivit Donneau de Visé, contemporain de Molière. Ce n’est qu’après la mort de son célèbre auteur que le Misanthrope devint, après Tartuffe, la pièce la plus jouée à la Comédie Française. De nouveau boudée au XVIII ème siècle, la pièce fut remise à l’honneur au XIX ème puis au XX ème siècles. Mais d’où vient ce personnage du misanthrope ? LE MISANTHROPE : UN TYPE DE PERSONNAGE HERITE DE L’ANTIQUITE « Le type du misanthrope est héritier au théâtre d’une longue tradition, depuis le Dyscolos de Ménandre jusqu’au Timon d’Athènes de Shakespeare (qui vient d’être joué récemment à la Comédie de Reims) en passant par Timon le misanthrope de Lucien de Samosate. Acteur grec déguisé en papposilène, II ème siècle av. J.C. Coléreux, provocateur, cynique, mélancolique, atrabilaire, asocial ou encore épris d’absolu, le misanthrope est un personnage qui n’a cessé d’inspirer les auteurs dramatiques. Humeur sombre et acariâtre, horreur de la conversation, goût naturel et prononcé pour la solitude, haine inexpiable pour tous les hommes, mais aussi envers les dieux, telle est, sommairement esquissée, la psychologie de « l’ennemi du genre humain », écrit Loïc Marcou.1 Né dans l’Antiquité, le type du misanthrope a sans doute été créé en souvenir d’un personnage historique : le philosophe athénien Timon, qui vécut au Vème siècle avant J.C. Apre et rude, ce personnage refusait tout commerce avec les hommes et, à en croire Aristophane, ne faisait d’exception que pour le jeune Alcibiade. Après sa mort, on l’enterra au bord de la mer, et son épitaphe, qu’il composa lui-même, voue à une fin misérable tous ceux qui approchent sa tombe. Timon, préfigurant les pensées d’Alceste, aurait dit un jour : « Je hais les méchants, parce qu’ils sont méchants, et les autres parce qu’ils ne haïssent pas les méchants. » Pompéi, fresque représentant Ménandre Dans le Dyscolos, une comédie récemment retrouvée sur un papyrus égyptien, Ménandre, poète comique grec (-342 –292) met en scène un personnage aigri et revêche, qui mène une vie recluse et solitaire. Le type du bourru (dyscolos) qui apparaît fréquemment dans la comédie antique annonce le type du misanthrope (misanthropos). Pompéi, fresque représentant une assemblée de philosophes, dont Lucien de Samosate 1 Molière, Le Misanthrope, GF Flammarion, sept 1997, présenté par Loïc Marcou Dans un dialogue dramatique intitulé Timon ou le misanthrope, Lucien (orateur et philosophe de l’Antiquité, né en 125, mort en 190) s’inspire de la vie du philosophe athénien Timon qui mourut abandonné par ses amis après avoir dissipé tout son bien. Shakespeare Shakespeare (1564 – 1616) reprend cette tradition dans sa tragédie Timon d’Athènes, composée vers 1606. Son personnage se présente comme un grand seigneur, bon, droit et munificent. Entouré d’une foule de quémandeurs et de parasites, il distribue sans compter l’or et les cadeaux. Mais, déjà, la ruine est proche. Son intendant, le fidèle Flavius, l’avertit que ses ressources touchent à leur fin. Qu’à cela ne tienne ! Timon, confiant en ses amis, leur fait demander de l’argent, mais ceux-ci se dérobent. Désabusé, le héros dénonce le pouvoir corrupteur de l’or et rêve de la destruction du genre humain. D’un acte à l’autre, l’homme le plus sociable du monde est devenu un misanthrope endurci. Molière connaissait-il la pièce de Shakespeare ainsi que le dialogue de Lucien ? Rien ne nous permet de l’affirmer. Avait-il vu ou entendu parler du tableau de Bruegel et de son distique : « Le monde est si perfide que je mets un costume de deuil » ? Nous ne le savons pas davantage. La Perfidie du monde de Pieter Bruegel, 1568 Toujours est-il que le personnage de Molière se différencie de ses prédécesseurs par sa psychologie plus profonde et plus nuancée, ainsi que le fait remarquer dans Molière et le misanthrope, le critique René Jazinski , en mettant l’accent sur l’originalité de la contribution apportée par Molière au mythe du misanthrope. QUI EST ALCESTE ? Qu’on l’admire ou qu’on le haïsse, Alceste, le personnage principal du Misanthrope, ne laisse jamais indifférent, comme en témoignent les jugements qui se sont succédés à son sujet au fil des siècles, de Rousseau à André Gide, en passant par Sainte-Beuve, Voltaire ou Musset. • Un révolté ? Le misanthrope, gravure du XVIIIème Le succès de la pièce repose en grande partie sur le rôle du personnage principal, Alceste, qui est un personnage ambigu, écrit Laurent Tiesset2, C’est en effet avant tout par vertu et dignité qu’Alceste le misanthrope s’affranchit des valeurs courtisanes, des normes et des usages du XVIIIème siècle imposés par la vie sociale d’un milieu avec lequel il ne veut pas être confondu : « Je veux qu’on me distingue »(Acte I, scène 1, vers 63) affirme-t-il en effet. Cependant cette attitude l’entraîne dans une escalade qui devient assez vite ridicule. Une « méchante affaire » l’oppose à Oronte, puis une autre, tout aussi pitoyable, l’oppose à celui qu’il désigne comme « un franc scélérat »(v. 124) ,affaire qui le mène jusqu’au tribunal. Ayant perdu son procès, Alceste refuse par principe de faire appel pour faire taire les accusations portées contre lui, préférant, avec une résolution ridicule, démontrer la méchanceté des hommes que gagner son procès : « Quelque sensible tort qu’un tel arrêt me fasse, Je me garderais bien de vouloir qu’on le casse On y voit trop à plein le bon droit maltraité, Et je veux qu’il demeure à la postérité Comme une marque insigne, un fameux témoignage De la méchanceté des hommes de notre âge. Ce sont vingt mille francs qu’il m’en pourra coûter, Mais pour vingt mille francs j’aurai le droit de pester Contre l’iniquité de la nature humaine Et de nourrir pour elle une immortelle haine. » (Acte V, scène 1, vers 1541 – 1550) Alceste souhaite que triomphe l’iniquité de la Justice, pour que triomphe le bien-fondé de sa rébellion morale. Mais lorsque le misanthrope se révolte, Molière n’hésite pas à se moquer de lui en le faisant apparaître comme un être fantasque, conscient de son ridicule : « Par la sangbleu ! Messieurs, je ne croyais pas être Si plaisant que je suis. » (Acte II, scène 6, v. 773 – 774) A travers ce personnage acariâtre, Molière se moque très certainement des individualistes, et peut-être aussi des anciens Frondeurs. 2 Le Misanthrope de Molière, Classiques Hatier, mars 2004, dossier réalisé par Laurent Tiesset Louis XIV enfant avec sa nourrice Il est possible de voir dans ce travers du personnage une allusion aux Frondeurs (révolte d’une coalition hétéroclite de milieux parlementaires, du peuple et des « grands » contre la monarchie et la régente Anne d’Autriche à la mort de Louis XIII, soit de 1643 à 1661). Portrait d’Anne d’Autriche par Rubens (1577 – 1640) Bien que cette période troublée soit révolue au moment où est joué Le Misanthrope (1666), il n’est pas impossible que Molière ait voulu recommander ici, de façon implicite, de faire allégeance à un ordre royal du monde. En effet, refuser de participer à cet ordre royal peut apparaître comme un vice, au XVIII ème siècle, et mérite d’être exclu de la bonne société. C’est d’ailleurs ce qui arrive à Alceste, obligé de se retirer du monde à la fin de la pièce. Molière, pour sa part, participe activement à l’organisation des divertissements royaux et fastueux de Versailles, dès 1659 : Molière devant Louis XIV, tableau de Gerome • Alceste, un déséquilibré ? Le déséquilibre du personnage du misanthrope est sensible à travers ses sentiments amoureux, ou plutôt à travers la passion qu’il éprouve pour Célimène. Cet amour voué à l’échec semble d’ailleurs incompréhensible aux yeux de son ami Philinte, qui ne saisit guère, dès le premier acte, « l’étrange choix »(v. 214) qu’a fait Alceste. La « sincère Eliante »(v. 215), lui dit-il, était « mieux son affaire » (v. 246). Cela dit, Alceste est parfaitement conscient du fait que son désir ne puisse être satisfait par Célimène : « Ma raison me le dit uploads/Litterature/ le-misanthrope-de-moliere.pdf

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