01.12.2009 Journal de route Abdelkader MANA LE PRINTEMPS DES REGRAGA La fiancée

01.12.2009 Journal de route Abdelkader MANA LE PRINTEMPS DES REGRAGA La fiancée de l’eau et les gens de la caverne Dans la solitude du rêve Une voie aspire à naître, Au royaume des mots. Elle aura pour monture Les horizons intérieurs Et la fiancée de l’eau... A.M. LA FIANCEE DE L’EAU ET LES GENS DE LA CAVERNE Remerciements Les témoins essentiels de cette en - quête furent les Regraga eux-mêmes qui m’ont initié à la clé des champs et dont j’ai été le scribe émerveillé. Ce livre est dédié à leur hospitalité exemplaire. Il est également dédié à ma famille qui a consentit tant de sacrifices pour me permettre d’aller jusqu’au bout de mon rêve. Je n’oublierai jamais les nombreux été passés à Essaouira en compagnie du Dr Georges Lapassade, à parcourir inlassablement le beau rivage, questionnant les monuments, les manuscrits et les rites locaux pour déchiffrer le message de ceux qui nous ont quitté. C’est aussi à eux et à cette ville bâtie entre les eaux et le sable que ce livre est dédié. J’exprime ici mon immense gratitude au Dr René Duchac chef du département de sociologie à Aix-en-Provence, au Dr Georges Lapassade, du département des Sciences de l’Education à Paris VIII et à madame Louise Riou qui a revu et corrigé toutes les épreuves. Je tiens ici à les remercier, eux, et tant d’autres, sans oublier les Hamadcha et leur quête d’absolue, les artistes, les artisans et les paysans dont la mémoire est un message d’amour. Fait à Casablanca, le vendredi 21 novembre 2008 Abdelkader Mana P R E F A C E Un voyage initiatique Au court de l’hiver 1984, Abdelkader Mana est à Essaouira, sa ville natale, où dit-il, il tourne en rond sans occupation et sans projet. Il devrait écrire une thèse sur l’activité musicale locale mais il a l’impression d’avoir déjà tout dit. En même temps, il est « chômeur » et l’hiver lui pèse. Et c’est à ce moment là que vient l’idée de partir en « pèlerinage » avec les Regraga au printemps qui vient. « L’idée » ? Le mot est faible, probablement inadéquat pour dire qu’il ressent ce projet de partir comme un choix existentiel qui vient du plus profond même si, en tant qu’ethnologue, il a aussi la volonté de trouver là un possible sujet de thèse – un beau sujet d’ailleurs, car il reste quasiment inexploré, en dépit de quelques articles assez brefs dans Hespéris, surtout d’ordre historique. On peut y apprendre, bien sûr, que ces Regraga tournent dans le pays des Chiadma depuis déjà longtemps, remémorant dit- on, la visite que firent les sept saints au Prophète qui leur donna comme mission d’islamiser le sud marocain... Mana (comme les gens d’Essaouira) connaît ces Regraga, et leur daour, tournée annuelle et printanière, parce qu’ils font chaque année étape dans la ville aux premiers jours d’avril et aussi parce qu’ils y sont continuellement présents. Mana décide donc de partir, pour effectuer une « enquête », il écrit volontairement « en – quête », pour indiquer sa volonté de s’initier. Confirmation éclatante de ceci : une voyante de la ville a annoncé à sa mère, mais c’est bien sûr à lui que le message s’adresse, que ce voyage au pays des Regraga va changer sa vie. Or, nous savons que dans la tradition maghrébine, comme en d’autres cultures bien sûr, l’annonce faite par une voyante est essentielle, ou même indispensable, aux premiers temps d’une initiation. Le voici donc entrant dans un univers initiatique, marqué par une longue marche parsemée de mystères et d’embûches et par cette obligation qui lui est faite de n’y entrer que progressivement, de dépouiller en quelque sorte « le vieil homme » pour « renaître », comme la campagne renaît à la vie et retrouve ses forces par l’intercession fécondante des Regraga porteurs de baraka. Une initiation est comme un déchiffrement. Mana l’a effectuée jour après jour et, devenu initié, il veut nous initier par son journal, qu’il montre et cache en même temps : on est d’abord tenté d’y voir une quête matérielle d’informations, de « data » pour une théorie positiviste de la « chose » puis l’on découvre que l’on a mal lu, il s’agit au contraire d’une quête spirituelle comme la firent les héros d’apprentissage. Mana nous invite à entrer progressivement avec lui dans l’univers de la magie agraire, non pas à la manière des ethnologues conventionnels, toujours en dehors de ce qu’ils étudient, mis par un parcours du dedans. C’est pourquoi, tout au long des pages et du voyage, des gens – le porteur d’eau, le chamelier, d’autres qui sont anonymes – parlent et ce qu’ils disent est toujours de l’ordre du mythe. Ou bien encore le narrateur assiste à des scènes étranges, apparemment banales pour qui regarde de loin et du dehors, comme la danse des travestis, couplée, d’une manière inversée, avec une grande scène de transe au sommet de la montagne sacrée. Il y assiste comme le personnage – écrivain du Grand Meaulnes assiste à une noce de campagne, émerveillé, ébloui, comme si cela se passait hors de la vie quotidienne, dans un autre monde, comme dans une vision. Le « matériel recueilli » ( pour employer le jargon de la sociologie conventionnelle) n’est pas une accumulation de détails informatifs et ne concerne pas la légende de chacun des saints visités. C’est comme une longue rapsodie de paroles étranges quand on les écoute avec justement l’attitude classique de l’observateur. Mais tous ces récits – souvent fantastiques – toujours hors de l’expérience ordinaire du monde, ont une tonalité commune et se répondent d’un bout à l’autre de la chaîne mystique des marabouts visités. Elles sont comme les morceaux d’un puzzle qui ne se laisse pas reconstruire facilement. Cette initiation est une thérapeutique de l’âme et c’est bien de cela qu’il s’agissait dès le départ : l’annonce de la voyante était que cette thérapie était nécessaire, inévitable et devait réussir. La thérapie initiatique de l’âme commence, selon Abdelkader Mana, à Lalla Chafia la guérisseuse, qui veille sur le marais salant. Elle se termine à Sidi Ali Maâchou, Seigneur de la rage. « C’est, dit Mana, comme une immense polyclinique » de guérisseurs, qu’il va parcourir lui aussi, à la recherche de sa propre guérison, et de l’initiation spirituelle. Tel est finalement le fin mot de cet étonnant récit : il va droit à l’essentiel et montre à qui sait lire le secret magique des Regraga. Essaouira, le 13 juillet 1987 Georges Lapassade AVANT – PROPOS « La première méthode de travail consistera à ouvrir un journal de route où l’on notera chaque soir le travail accompli dans la journée. » Marcel MAUSS Depuis des siècles, du 21 mars au 28 avril, les Regraga effectuent un vaste périple dans l’espace sacré des Chiadma au nord d’Essaouira. Pour y voir clair nous avons pris notre bâton de pèlerin et nous les avons suivis dans leurs pérégrinations. Dés le début de notre enquête, nous avons été emporté dans un vaste tourbillon de symboles et de mythes ; d’emblée nous étions plongés dans la symbolique mystique des nombres ; c’est un pèlerinage circulaire effectué par treize zaouia, descendants ou affiliés des sept saints qui se déroule en quarante quatre étapes et trente huit jours. Voilà donc qui nous fait penser aux sept Dormants d’Ephèse, aux treize épées d’or, aux quarante jours du déluge et aux quarante saints cachés apotropaïques qui se relaient pour supporter mystiquement le fardeau du monde. Actuellement la mythologie recouvre l’histoire, comme le culte des saints recouvre l’Islam des premiers khalifes et de leurs émissaires, les moines – guerriers. Mais dans la mesure où les mythes sont au fondement des rites, ils sont aussi vrais parce qu’ils vivent dans la conscience des hommes et structurent leur action. « Le témoignage le plus sûr d’un discours, écrit J. Berque, c’est celui qu’il tient sur lui-même. » J’ai vécu ce pèlerinage comme un évènement enivrant ;sa mythologie hante encore ma conscience comme un rêve insaisissable.. C’est un évènement riche de significations et d’interrogations sans réponse. Tout au moins une réponse qui satisfasse la raison, puisqu’en guise de réponse « historique » je rencontrais à chaque pas une interprétation mythique. Il aurait fallu tout démythifier pour retrouver « l’histoire » mais nous avons préféré garder à cette aventure le charme, la poésie d’une rencontre et ses mystères. Voici donc le récit de mon voyage chez les Regraga sous la forme d’un journal de route. C’est une démarche déambulatoire qui relie les jalons à chacun des horizons pour unifier symboliquement l’espace parcouru. Cette dérive suppose comme méthode d’exposition, coïncidant avec la recherche, un « journal de route » et ses deux éléments : la route à parcourir (l’itinéraire) et le journal. Celui-ci apparaît double mouvement en son essence puisqu’il se meut dans l’espace et dans le temps : les inter-étapes sont aussi importantes que les étapes, la nuit est aussi importante que le jour. Il s’agit d’être constamment vigilant : une phrase au bord de uploads/Litterature/ le-printemps-des-regraga.pdf

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