2 Satire littéraire et critique sociale Chez Ahmadou Kourouma Auteur de la préf

2 Satire littéraire et critique sociale Chez Ahmadou Kourouma Auteur de la préface : Adama COULIBALY Maître de conférences - Université Félix Houphouët Boigny Côte d’Ivoire Gyno Noël Mikala Essai critique 2 2 2 3 Préface En 2013, la communauté littéraire commémore le dixième anniversaire de la disparition de l’auteur des Soleils des indépendances. Le Malinké, Ahmadou Kourouma avait fini… son chemin terrestre un matin d’harmattan en 2003. Depuis cette date, et même bien avant, en fait depuis bientôt vingt ans, il n’est d’année où ne paraît une monographie consacrée à tel ou tel aspect de la riche production d’Ahmadou Kourouma1. Et nul doute que la récente mise à disposition de ses archives à l’IMEC (Institut des Mémoires de l’Édition Contemporaine) à Caen contribuera à relancer cette dynamique, en lui imprimant une autre vitalité. 1 Pour avoir un aperçu de cette production scientifique foisonnante, on pourra se référer, à titre indicatif, à l’important effort de synthèse proposé par Bernadette Kassi-Krécoum dans le dossier spécial que la NEF a consacré à Kourouma, Cf., Nouvelles Écritures francophones, Lafayette, Vol.22, n°.2, pp.79-91 2 4 De Kourouma, pour parler comme Christiane Ndiaye2, l’une des rhétoriques des lieux communs du discours critique est cette malinkéisation du français dont on continue de se demander si elle n’a pas été surtout mise en avant par le contexte de production des Soleils des indépendances plus qu’un travail systématique, conscient, systématisé par l’auteur. En substance, reconnaissons que la langue de Kourouma est heureuse, savoureuse, malinkéisée ou comme le dit Makhily Gassama que Kourouma a su faire un enfant à la langue française ramenant « au domicile un bel enfant au nom sublime – puisque plein de promesses : le roman négro-africain de langue française »3. Mais l’historiographie littéraire enseigne que le motif social qui a conduit Kourouma à l’écriture est la crise politique de 1963 en Côte d’Ivoire au cours de laquelle bien de ses amis furent emprisonnés par le pouvoir de Félix Houphouët Boigny. De cet épisode, le colosse garde comme un lieu de naissance à l’écriture, un trauma qui semble contaminer tous ses romans d’un sceau politique, historique. « L’humanité barbare mettait Kourouma en appétit. Et c’est la littérature qui lui rendit justice de sa gourmandise. »4 Mais parce que tous les déçus des systèmes ne se sont pas transformés en écrivain de génie qu’il y a 2 Christiane Ndiaye, « Kourouma, le mythe : la rhétorique des lieux communs du discours critique », L’imaginaire d’Ahmadou Kourouma, Paris, Karthala, 2010, pp.17-39 3 Makhily Gassama, La langue d’Ahmadou Kourouma ou le français sous le soleil d’Afrique, Paris, ACCT-Karthala, 1995, p.118. 4 Jean-Michel Djian, Kourouma Ahmadou, Paris, Seuil, 2010, p.19 2 5 bien là la preuve que Kourouma est probablement passé de la volonté à l’écriture. On peut à son propos, rappeler la profonde remarque de Barthes selon laquelle « écrire est un verbe intransitif ». Dans cette formule, acceptons pour le malinké, la part du faiseur de monde, un monde de la bâtardise, de l’affadissement ou de l’affaiblissement du nerf essentiel de l’homme. À propos de l’Homme et de l’Afrique postcoloniale, Ahmadou Kourouma a écrit. Dans la grandeur et la profondeur de cette intransitivité de son écriture, existe surtout la part de la distance prise (peut-être dans un défi inconscient au canon). Une distance perceptible déjà dans la devise de Fama, dans son fasa5 déconstruit, comme le griotte le narrateur de son premier roman. Fama Doumbouya ! Vrai Doumbouya, père Doumbouya, mère Doumbouya dernier et légendaire descendant des princes du Horodougou, Totem panthère, était « vautour ». Un prince Doumbouya ! Totem panthère faisait bande avec les hyènes. Ah ! Les soleils des indépendances.6 Le voile levé par cette dévirilisation du fama va de pair avec un système de flonflons généalogiques insipides ou même avec les laudations désincarnées aux nouveaux maîtres dans toute sa production romanesque. Si pour de nombreux critiques, c’est l’annonce incipitale de la fin (entendez la mort) de 5 Chez les Bambara et les Malinké, ce mot charrie étymologiquement le sens de « nerf », culturellement la chanson généalogique rattachée à chaque grande famille du Manding. 6 Ahmadou Kourouma, Les soleils des indépendances, Paris, Seuil, 1970, p.11 2 6 Koné Ibrahima (Les soleils des indépendances) qui ouvre à l’univers des hardiesses de l’écriture de Kourouma, ce croc-en-jambe à la devise, au fasa, à l’univers des valeurs et le jeu de transfert induit semble résumer son programme d’écriture très postcoloniale. Faiseur de monde ? Disons-nous ! Mais ne devrait- on pas parler d’un défaiseur de monde, d’un désenchanteur qui annonce la société de l’Impureté7 dont parle Scarpetta ?… Aussi n’est-il pas surprenant que l’on lise souvent l’œuvre de Kourouma dans un rapport à la satire et à la critique : une pratique inscrite, à la fois, dans la trame de la littérature depuis au moins le 19ème siècle, mais aussi et surtout dans le rapport de l’Africain8 à l’art et dans le parcours spécifique, dans le trauma de l’émergence littéraire de Kourouma… C’est dans ce contexte de floraison d’ouvrages situant Kourouma dans le roman d’Afrique noire au sud du Sahara et plus globalement dans le roman francophone post-colonial que paraît l’essai de Gyno Noël Mikala9 : Satire et critique sociale. Vaste programme de persiflages, de mise à nu des mécanismes de corruption, d’endoctrinement, de détournement, en somme une analyse des travers sociaux… mais aussi de remise en question du canon littéraire. 7 Guy Scarpetta, L’impureté, Paris, Editions Grasset et Fasquelle, Paris, 1985, 389 p. 8 De façon générale, l’Art traditionnel africain est toujours utilitaire. 9 Gyno Noël Mikala, Stratégies discursives et Rhétorique de la honte chez Ahmadou Kourouma, Libreville, Odem, 2011, 236p. 2 7 Satire et critique sociale s’inscrit dans la lignée tracée par les différents travaux de Gyno Noël Mikala sur la satire et sa vulgarisation en tant que style de raillerie et mode de représentation du texte littéraire. Cet essai est la suite d’une monographie où le critique dévoile A. Kourouma : un écrivain intrinsèquement satirique dont les œuvres répondent à une communication triangulaire, une communication entre le satiriste, la cible et le destinataire. De même, les formes de la satire et les figures du comique particularisent l’écriture de cet écrivain ivoirien. À la suite de ce premier essai de Gyno Noël Mikala qui a le mérite de montrer que la satire nécessite tout un travail sur la représentation, le second, dans le sillon du premier, établit le motif politique (au sens comparatiste) comme l’un des termes d’affection de la satire. De fait, ce sont évidemment la société et l’histoire qui fournissent à Ahmadou Kourouma les sujets les plus piquants. Les sources significatives de la satire ne sont pas prioritairement d’essence littéraire ou philosophique ; mais bien sociales, anthropologqiues et économiques. Satire et critique sociale va à l’essentiel dans la production d’Ahmadou Kourouma. Bâti autour de quatre chapitre, ce texte, de lecture agréable, recourt à une métaphorisation heureuse dont on peut rappeler quelques formules : « la familiarisation du pouvoir politique » ; « l’État, une marmite publique ». En somme, le travail de ce critique campe bien « des pays foutus et barbares », une écriture, un programme de la dé-nationalisation10. 10 Bernard Mouralis « Pays réels, pays d’utopie », Notre Librairie, N° 84, juillet-septembre 1986, p. 52. 2 8 L’analyse présentée expérimente en littérature l’épaisseur sémantique du pouvoir politique dans la société textuelle, un appareil d’État qui engloutit les masses populaires par la gueule béante des régimes despotiques, liberticides, infanticides et autres. La lecture proposée relève un cheminement orchestré par un appareillage politique travesti, perverti et qui conduit à une déchéance de l’homme : aussi bien le peuple que son dirigeant. Le critique convoque ainsi des outils pertinents parmi lesquels cette actantialisation de la guerre. La guerre, selon la lecture satirique qu’en livre l’essai de Gyno Noël Mikala, devient un sujet, objet, destinateur, opposant, adjuvant. Cette poly- actantialité de l’excès, tous les pôles actantiels étant sollicités, confirme le fait qu’ailleurs le paradigme du roman de la guerre ou autour de la guerre soit déjà érigé en une sorte de point de flexion de l’historiographie littéraire africaine : le néologisme de la littérature post-génocidaire de Patrick Nganang11 et les travaux de Josias Semujanga12 vont dans ce sens. La guerre, voie royale d’accession au pouvoir, qui décline une litanie d’horreur autour des pratiques de magies et autres. Dans cette dynamique, le paradoxe satirique ou parodique, de cette situation est qu’elle est portée par 11 Patrice Nganang, Manifeste d’une nouvelle littérature africaine, pour une littérature préemptive, Paris, Editions Homnisphères, 2007, On lira surtout le chapitre 2 intitulé « Les écritures africaines nouvelles : prévisions » notamment le sous chapitre l’écriture post-génocide, pp.24-56 12 Josias Semujanga, Le génocide, sujet de fiction ? Analyse des récits du massacre des tutsi dans la littérature africaine, Montréal, Éditions Nota Bene, 2008, 306 p. 2 9 des personnages enfants-soldats (Allah n’est pas obligé) dont la narration bégaie entre l’innocence, l’horreur, le tragique et le ludique… Dans En attendant le vote des bêtes sauvages, la geste purificatoire de Koyaga, l’ancien combattant uploads/Litterature/ satire-litteraire-et-critique-sociale-chez-ahmadou-kourouma.pdf

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