LE PSYCHOTIQUE ET LE PSYCHANALYSTE Entretien avec Jacques Borie Entretien réali
LE PSYCHOTIQUE ET LE PSYCHANALYSTE Entretien avec Jacques Borie Entretien réalisé par Ariane Chottin, Pierre Zaoui Association Vacarme | « Vacarme » 2013/1 N° 62 | pages 206 à 227 ISSN 1253-2479 ISBN 9782350960630 DOI 10.3917/vaca.062.0206 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-vacarme-2013-1-page-206.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Association Vacarme. © Association Vacarme. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. 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Reste encore à savoir quel accueil concevoir à la mesure de ces sujets qui résistent à tout formatage normatif et sont sans cesse contraints à inventer pour traiter l’insupportable de leur vie. entretien avec Jacques Borie © Association Vacarme | Téléchargé le 07/02/2023 sur www.cairn.info (IP: 88.123.122.223) © Association Vacarme | Téléchargé le 07/02/2023 sur www.cairn.info (IP: 88.123.122.223) Vacarme 62 / cahier / page 207 La rencontre de Jacques Borie ouvre un premier volet sur l’accueil de la psychose, ici en cabinet. Jacques Borie est psychanalyste, membre de l’Ecole de la Cause Freudienne, coordinateur de la Section clinique de Lyon. Il a publié Le psychotique et le psychanalyste, aux Editions Michèle (2012). Membre actif du Centre Psychanalytique de Consultation et Traitement (centre qui reçoit gratuitement des personnes en situation de précarité souhaitant rencontrer un analyste, {http://cpct.lyon.online. fr}), il est aussi président de l’association qui gère le Centre thérapeutique et de recherche de Nonette, qui accueille et travaille avec des enfants et des adultes autistes ou psychotiques, et auquel sera consacré, dans le prochain numéro, le second volet de ce dossier sur l’accueil de la psychose en institution. Commençons par la question de votre désir : celui d’écrire Le psychotique et le psychanalyste, avec la mention du psychotique avant celle du psychana- lyste. Qu’est ce qui vous a poussé à écrire un tel livre ? C’est d’abord une raison personnelle, liée à mon expérience, à la rencontre avec des sujets psycho- tiques et au travail avec eux depuis plus de trente ans. Je désirais témoigner de cela. D’autant qu’il y a des publications sur le travail en institutions ou avec des enfants, mais peu de livres sur le fait que beaucoup de sujets psychotiques adultes viennent d’eux-mêmes trouver un psychanalyste dans le cadre classique du cabinet. © Association Vacarme | Téléchargé le 07/02/2023 sur www.cairn.info (IP: 88.123.122.223) © Association Vacarme | Téléchargé le 07/02/2023 sur www.cairn.info (IP: 88.123.122.223) Vacarme 62 / cahier / page 208 C’est aussi en lien avec ma propre expérience d’analysant, puisqu’on n’est analyste que parce qu’on est d’abord analysant. Quand je pensais avoir terminé mon analyse, j’avais bien entendu une sorte d’inquiétude sur le fait de passer à la pratique moi-même, et au moment de ces valses- hésitations c’est la rencontre avec un sujet psy- chotique qui m’a poussé à franchir le pas. Il est venu me trouver en disant qu’il avait entendu dire que j’étais psychanalyste, lacanien en plus, et qu’il avait entendu parler de Lacan comme de quelqu’un qui traitait du langage en premier. Et, disait -il, « moi je souffre du langage ». Donc je me suis dit, je n’ai pas le choix, je dois recevoir cette personne et voir quelles conséquences on en tire. C’est ce qui m’a décidé à m’installer pour pratiquer la psychanalyse à partir de cette ren- contre – à ce moment là. Pouvez-vous alors préciser ce que vous entendez par psychose ? Car, à un moment ou à un autre, chacun peut souffrir du langage, non ? Oui, il n’y a pas que dans la psychose, bien sûr, qu’on « souffre du langage » ! Les névrosés obses- sionnels aussi parlent de cela : être pris dans des ruminations mentales, des pensées récurrentes, le doute éternel, l’empêchement d’agir… Mais les sujets psychotiques le disent de façon plus radi- cale parce qu’ils ont affaire au langage non pas sur le mode du doute mais du commandement, ce qui est différent. Ainsi ce premier analysant © Association Vacarme | Téléchargé le 07/02/2023 sur www.cairn.info (IP: 88.123.122.223) © Association Vacarme | Téléchargé le 07/02/2023 sur www.cairn.info (IP: 88.123.122.223) Vacarme 62 / cahier / page 209 avait la sensation que son père le commandait de l’intérieur de son cerveau en quelque sorte, qu’il lui disait « fais-ci, fais-ça ». Pour lui, le langage n’était pas de l’ordre de la représentation mais du commandement. Est-ce le cas de tous les psychotiques ? Cela varie selon la structure et la singularité de chaque psychose [paranoïa, schizophrénie, manie, mélancolie]. Le versant paranoïaque met cela spécialement en valeur : le sujet a la sensation d’être commandé par l’autre. Dans le transfert par exemple, quand je reçois un paranoïaque, je perçois tout de suite que je peux être pour lui un objet de persécution. Chez un schizophrène c’est beaucoup plus diffus, plus insaisissable. Le paranoïaque vise à reconstruire le monde avec un discours, alors que le schizophrène ne reconstruit pas le monde, il essaye de traiter son rapport au corps avec le peu de lien à la langue qu’il a. Dans la manie, il s’agit plutôt d’un langage sans objet, métonymique, qui coule tout seul, n’accroche rien, va du coq à l’âne, alors que dans la mélancolie le sujet ne peut plus parler, il se trouve réduit à son être d’objet, de déchet. Dans ces différentes formes de psychose, les sujets ont affaire à un « défaut du Nom-du-Père », pour reprendre l’expression de Lacan, et c’est le traitement de ce défaut qui diffère et affecte singulièrement le rapport au langage. © Association Vacarme | Téléchargé le 07/02/2023 sur www.cairn.info (IP: 88.123.122.223) © Association Vacarme | Téléchargé le 07/02/2023 sur www.cairn.info (IP: 88.123.122.223) Vacarme 62 / cahier / page 210 Pouvez-vous déplier ce vocabulaire ? Traduire ici « jouissance », « Nom-du-Père » ? En quoi cela per- met-il d’éclairer l’abord de la psychose ? Lacan a proposé un abord structural de la clinique. La psychose et la névrose sont deux grandes structures cliniques. Ce qui les distingue tient à la façon dont elles s’articulent ou pas à ce qu’il a appelé « Nom-du-Père ». Qu’est ce que le Nom-du-Père ? C’est une fonction logique de séparation et de limitation. Lacan a choisi de l’appeler ainsi pour indiquer que le sujet se struc- ture généralement à partir d’une règle qui veut que la fonction paternelle limite la jouissance maternelle – sans quoi on aurait affaire à une logique quasi-incestueuse, la mère demeurant seule avec l’enfant comme son objet. Pour autant, le Nom-du-Père ne désigne pas forcément le père biologique, mais bien la variable qui occupe cette fonction logique ; c’est quelque chose qui struc- ture les relations humaines, on peut trouver des tas de noms à cela : c’est aussi bien l’interdit de l’inceste, que tout ce qui fonde la culture. Chez le psychotique le rapport à cette règle n’apparaît pas comme une évidence et donc le sujet se trouve aux prises avec une jouissance dérégulée, sans limite. Il n’y a pas de bords. On le voit très bien dans le rapport à la langue : le sujet peut partir à l’infini dans des discours sans liens – le coté sans queue ni tête du discours schizoïde ou maniaque – ou se construire un système de suppléance comme dans la paranoïa – © Association Vacarme | Téléchargé le 07/02/2023 sur www.cairn.info (IP: 88.123.122.223) © Association Vacarme | Téléchargé le 07/02/2023 sur www.cairn.info (IP: 88.123.122.223) Vacarme 62 / cahier / page 211 ce qui peut prendre la forme de grands délires comme dans le cas de Schreber. Concrètement qu’est-ce qui distingue psychose et névrose ? Est-ce que ce sont des catégories étanches ? Y a-t-il des passerelles à l’intérieur de la psychose entre schizophrénie, manie, mélancolie, paranoïa ? Nous pensons de moins en moins qu’il y ait des choses étanches. Les repérages classiques conservent toute leur pertinence pour la direc- tion de la cure mais dans la pratique, depuis Lacan, ce n’est pas à cela que nous nous référons, mais à la singularité. Je ne reçois pas des psychotiques. Je reçois d’abord un sujet qui souffre et qui uploads/Litterature/ le-psychotique-et-la-psychanalyse.pdf
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- Publié le Oct 22, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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