LE RÉALISME Au sens le plus stricte du terme, le réalisme est un mouvement litt

LE RÉALISME Au sens le plus stricte du terme, le réalisme est un mouvement littéraire qui se manifeste en France vers les années 1848-1850 et qui se prolonge jusqu’à la fin du siècle à travers le naturalisme, dont il est indissociable. Il se présente tout d’abord comme une réaction contre le lyrisme et l’idéalisation romantique, tout comme contre la doctrine de l’Art pour l’art des poètes parnassiens. Comme tous les courants littéraires, il a été l’objet d’interprétations multiples, selon le sens que l’on accordait à l’idée de réalité. Le réalisme a considérablement favorisé le renouvellement des thèmes et des écritures, en conduisant les écrivains à prendre conscience de leur tâche, de l’importance de l’objectivité dans l’œuvre et de leur rôle dans la société. L’héritage du réalisme ne peut se mesurer en fonction des seuls écrivains qui se réclamaient de lui; en fait, le réalisme annonce le naturalisme des frères Goncourt, de Zola et de Maupassant. Les circonstances historiques tiennent une large place dans l’éclosion du courant: la foi romantique dans la force des idées et dans les pouvoirs d’une sensibilité renouvelée se trouve mise à rude épreuve lors de l’écrasement des partis ouvriers en juin 1848 et de l’avènement du second Empire; il faut y ajouter aussi, comme facteurs déterminants, l’essor des sciences et de la presse, tout comme la Révolution industrielle. D’autre part, le mouvement réaliste est intimement lié à l’esprit positif du XIXe siècle (Auguste Comte, Cours de philosophie positive) et au goût pour les sciences. La science est vue comme salvatrice, on lui voue un véritable culte. Il y a de nombreuses propositions socialistes (Pierre Leroux) au moment où la France découvre les réalités sociales de l’ère industrielle. La société transformée en masse anonyme par l’urbanisation, la vie traversée par des conflits violents à cause du machinisme constituent des données dont la littérature s’efforce de rendre compte, avec exactitude et sans idéalisation. Le terme « réalisme » est étendu au domaine des arts plastiques et de la littérature et dénote des choses existantes face au rêve et au fantasme, au romanesque et à l’immaturité, voire au plaisir. Il retrouve son étymologie (« res » = la chose) et voit la réalité du côté des objets appréhendés par les sens, donc matériels et concrets. Ce mot a été employé pour la première fois comme désignation esthétique en 1835 pour indiquer « la vérité humaine » de Rembrandt en opposition à « l’idéalité poétique » de la peinture néo-classique (on employait donc « réalisme » comme contraire d’« idéalisme»). Il a été ensuite consacré comme terme spécifiquement littéraire par la création en 1856 du journal édité par Duranty, Le réalisme. Les précurseurs du réalisme Le courant réaliste se retrouve à toutes les époques de la littérature française: il existe au XVIIe siècle – du Roman comique de Scarron aux Caractères de La Bruyère-, tout comme au XVIIIe siècle dans le roman picaresque ou dans certaines pages de Diderot. La tendance à l’observation réaliste revient sans cesse dans la littérature française, montre Erich Auerbach, qui considère que la littérature a eu depuis toujours une tendance mimétique, Homère étant le premier romancier réaliste. Certains écrivains du XVIIIe siècle (période considérée comme le creuset du réalisme) anticipent le grand mouvement réaliste en inscrivant leurs œuvres dans la réalité connue de leurs lecteurs; dans les Souffrances du jeune Werther (1774) de Goethe, le récit se présente comme une enquête rassemblant tous les documents laissés par le personnage principal ainsi que les témoignages de ceux qu’il a pu fréquenter. Ce roman annonce le développement du genre réaliste, car il aborde tous les problèmes de l’individu face à une société en pleine mutation et dans laquelle l’homme cherche sa place. D’autres précurseurs en sont: -D’Alembert, Discours préliminaire de l’Encyclopédie: « Toutes nos connaissances directes se réduisent à celles que nous recevons par les sens ». -Denis Diderot, Essais sur la peinture: « Dans les rues, dans les jardins, dans les marchés, vous prendrez des idées justes du vrai mouvement dans les actions de la vie ». Au sein même du romantisme, l’œuvre de Balzac constitue une peinture très réaliste de la société; d’autre part, le souci de l’observation, la recherche du vrai caractérisent aussi bien le roman stendhalien que les nouvelles de Mérimée. Philippe van Tieghem considère que le romantisme contient en germe le réalisme, car les théoriciens recommandaient d’introduire du concret dans l’art (la poésie devait faire appel à des objets familiers, exposés dans des circonstances réelles, le théâtre devait représenter la vie véritable et non son image schématisée, le roman historique devait multiplier les allusions aux mœurs et à la vie matérielle de l’époque considérée etc.). Les théoriciens du réalisme Le réalisme défini par une doctrine et par une esthétique propres s’impose dans la conscience littéraire grâce à une véritable «bataille» menée tout d’abord par le peintre Gustave Courbet qui ouvre une exposition sous l’enseigne Le Réalisme, en présentant la célèbre toile-manifeste L’enterrement à Ornans. Il y a ensuite toute une série de professions de foi appartenant à: - Jules Husson, dit Champfleury, qui publie en 1857 le volume d’essais Le Réalisme, où il se réclame de Diderot et de Balzac et où il pose les principes du réalisme. Le romancier « sérieux » (réaliste) est dans la conception de Champfleury un « être impersonnel », qui «ne juge pas, ne condamne pas, n’absout pas», puisqu’il expose «des faits». Il doit prendre du recul par rapport à ses personnages et doit devenir « une sorte d’encyclopédiste pour ne rien ignorer des tendances scientifiques et morales de son époque ». Il se limite à la réalité et à la vérité et doit être d’une sincérité absolue. - L. -E. Duranty, qui publie, en 1860, Le Malheur d’Henriette Gérard et la revue « Le réalisme » pour défendre la sincérité dans l’art, l’observation méticuleuse et l’étude attentive, objective, impartiale de la vie contemporaine ; - Désiré Nisard, Journal des débats (1828) ; - Henri Murger, Scènes de la Vie de Bohème (1849); - Antonio Watripon ; - Fernard Desnoyers, qui signe dans la revue L’Artiste un article intitulé «Du réalisme» ; il insiste sur la relation privilégiée avec le pictural et le visuel: « Le roman est la peinture des objets», «le droit des miroirs » etc. Tous ces manifestes littéraires marquent avec éclat l’affirmation de ces exigences mais c’est l’œuvre qui engage durablement le roman dans la voie du réalisme. Ce sont les romanciers eux-mêmes qui ont popularisé l’étiquette de «réalisme» et qui ont expliqué ce terme au grand public; la poétique réaliste est codifiée dans le métadiscours sur le roman, assumé en premier lieu par les préfaces. La préface de roman, au XIXe siècle, est un document capital sur la théorie du genre romanesque; le discours préfaciel est un réceptacle naturel de l’idéologie et vise à fournir un modèle de lecture et de compréhension de l’œuvre. Au XIXe siècle, il enseigne ce qu’est la littérature et se propose de persuader le public, de le convaincre à accepter les lois du genre, ce qui lui confère un caractère didactique. Les grandes préfaces des romans réalistes du XIXe siècle sont: - L’Avant-propos de La Comédie Humaine (1842) de Balzac, qui anticipe et inaugure la doctrine réaliste. Balzac y aborde sous de multiples aspects les problèmes du roman et de la création romanesque: référents et modèles, choix des sujets, principes de composition, traitement des personnages, disposition d’ensemble. Selon Balzac, l’homme est le produit de la société, du climat et des conditions matérielles diverses. Il transpose sa vie intérieure dans un aspect extérieur – habitat, vêtements, physionomie, paroles. L’écrivain est donc aidé dans son travail d’investigation de l’âme humaine par les documents extérieurs qui lui révèlent la vie intérieure de l’individu. Le roman conçu par Balzac doit être «l’histoire des mœurs» de son temps. Comme Walter Scott, son maître, il veut élever le roman « à la valeur philosophique de l’histoire», en donnant l’image complète d’une civilisation. - la préface du roman Pierre et Jean (1888) de Maupassant, intitulée Le Roman, est, elle aussi, destinée à établir une situation de communication adéquate, à faire comprendre et accepter les principes théoriques du réalisme et la poétique du roman. Elle a ainsi une fonction programmatique, justificative et persuasive de première importance. Maupassant y affirme que le romancier doit éliminer tout ce qui n’est pas utile à son sujet pour mettre en lumière, par l’adresse de la composition, ce qui est essentiel et caractéristique. Le texte théorique qui précède le court roman de Maupassant est donc une étude très importante pour l’histoire du réalisme. Maupassant y réfléchit sur les rapports entre l’écrivain et ses lecteurs, qu’ils soient critiques littéraires ou simples lecteurs, et sur la notion d’école littéraire. Au discours préfaciel s’ajoutent d’autres procédés d’autoréflexion: - le métadiscours du narrateur, intégré dans la substance du roman balzacien, par exemple, qui articule la narration, explicite le fonctionnement du texte, établit la communication avec les narrataires, relie le texte au hors-texte social et historique; - la correspondance de Flaubert, qui se constitue uploads/Litterature/ le-realisme-i.pdf

  • 34
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager