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HAL Id: halshs-01177878 https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-01177878 Submitted on 1 Apr 2017 HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of sci- entific research documents, whether they are pub- lished or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers. L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destinée au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, émanant des établissements d’enseignement et de recherche français ou étrangers, des laboratoires publics ou privés. Distributed under a Creative Commons Attribution - NonCommercial - NoDerivatives| 4.0 International License Le Rire d’Éros ou le libertinage de l’imagination Bruno Roche To cite this version: Bruno Roche. Le Rire d’Éros ou le libertinage de l’imagination. Vaillant, Alain. Esthétique du rire, Presses universitaires de Paris-Ouest, 2012, Orbis litterarum, 978-2-84016-117-2. halshs-01177878 89 Le rire d’éros ou le libertinage de l’imagination Bruno Roche D ans La Persécution et l’art d’écrire1, Leo Strauss préconise une méthode de lecture « entre les lignes » qui semble efficace pour rapprocher, en raison de sa composante ironique, le rire libertin du « comique significatif » tel que le définit Baudelaire. Il serait cependant réducteur de borner l’exégèse à la seule prise en compte d’un discours philosophique qu’il conviendrait de débusquer sous ses masques. Parce qu’il est d’abord un phénomène psycho-physiologique, le rire reste une passion. Rétif par sa nature corporelle à toute mise en ordre, il renvoie de manière souterraine à des réactions qui sont au-delà de l’expression rationnelle. Contre les mises au pas impo- sées par la poétique classique, visant à étouffer la voix de l’organisme et du physiolo- gique et liée au dualisme cartésien, qui considère le corps comme une machine, le rire libertin n’est jamais totalement réductible au statut d’instrument. Il refuse de jouer sim- plement les adjuvants rhétoriques et ne se cantonne pas non plus dans un rôle « pha- tique » pour véhiculer et, le cas échéant, masquer des doctrines impies. 1. Leo Strauss, La Persécution et l’art d’écrire, trad. par Olivier Berrichon-Sedeyn, Paris, Presses pocket, « Agora ; 30 », 1989. EsthetiqueRire.indb 89 08/10/12 14:54 90 Or la critique bien-pensante s’est appliquée à en minimiser les motivations corpo- relles, en particulier le tropisme érotique. Il ne s’agit pas ici de dénigrer cette approche qui fut en son temps nécessaire. Au milieu du siècle dernier, Antoine Adam ou René Pintard se sont, à juste titre, inscrits en faux contre les préjugés négatifs d’un Frédéric Lachèvre2, pour qui l’impiété des libertins ne pouvait provenir que de leur propension à la débauche. Ce qui a conduit ces deux chercheurs à restreindre le plus possible le corpus libertin et a même amené le second à forger l’expression de « libertins érudits » pour ne pas qu’on les confonde avec les autres, voluptueux donc crapuleux. Cependant, des études récentes ont rectifié ce portrait du libertin en pur esprit critique. Elles ont mis à l’honneur des œuvres hybrides dont le discours philosophique se fond dans les formes ouvertes de la fiction, du poème, de la lettre ou du dialogue qui, a priori, laissent place à la rêverie érotique et à la fantaisie. Si la fonction philosophique et contestataire du rire est encore privilégiée, on commence à prendre à compte la productivité poétique de cette passion forte dans la littérature libertine. Les auteurs ici commentés – par souci de variété seront convoqués des extraits des Œuvres poétiques de Théophile de Viau, des Confessions de Jean-Jacques Bouchard, de quelques Dialogues de La Mothe Le Vayer, et des fictions comiques de Cyrano de Bergerac – semblent vouloir renouveler l’antique alliance du rire et d’Éros. Depuis les Grecs, en effet, que ce soit dans les formes les plus archaïques du dialogue ou du récit comique, par les plaisanteries obscènes échangées lors du passage du cortège de Cômos ou dans le mythe de Baubô et de Déméter3, le rire est lié au sexe et à l’obscénité, c’est-à-dire à deux thématiques, la seconde impliquant l’affect dans un processus social de défi au système de valeurs en place, et la première, érotico-sexuelle, valorisant la fertilité. Nous avons montré ailleurs comment la promo- tion du « bas corporel » n’allait pas sans provoquer un mouvement symétrique de déva- lorisation du spirituel et du sacré. Il s’agira donc moins ici de faire entrer les « aperçus 2. Frédéric Lachèvre (1855-1943) a édité au début du xxe siècle les textes des « disciples et succes- seurs » de Théophile de Viau, tout en les condamnant sur le plan de la morale et de l’idéologie. 3. Sur ce mythe, voir Salomon Reinach, « Le rire rituel », in Cultes, mythes et religions, Hervé Duchêne (dir.), avant-propos par Pierre Brunel, Paris, Éditions Robert Laffont, « Bouquins », 1996, p. 145-158. Voir également Alain Balabriga, « Aspects du rire rituel en Grèce ancienne : L’Hymne homérique à Déméter et Les Grenouilles d’Aristophane » et Christine Kossaifi, « Le rire de Pan : entre mythe et psychanalyse », in Humoresques, no 24, textes réunis par Dominique Ber- trand, juin 2006, p. 23-33 et 34-54. EsthetiqueRire.indb 90 08/10/12 14:54 91 de cul4 » dans le champ d’une réflexion philosophique et polémique, que de partir à la recherche de cette fameuse fertilité : quelle « puissance d’imagination » recèle et libère le rire de l’Éros libertin, quelle est sa force régénératrice, son impact esthétique ? Théophile de Viau, du rire critique à la phantasia Dans une lettre à M. le baron de Bergerac, Théophile donne ce conseil prophylactique : « Puisque tu sais si bien tremper ton vin pour la santé du corps, apprends aussi, si tu peux, à modérer les appétits de ton âme. » Puis il renchérit : « Il faut suivre son désir, mais de loin quand il va trop vite, et froidement quand il court vers le feu5. » Au nom de l’éthique libertine, Théophile entend rester maître de ses affects. Il prévoit, le cas échéant, d’appliquer un correctif au déchaînement brutal des pulsions. Pour éviter que le désir ne s’emballe, il faut veiller à ce qu’aucune opinion surajoutée ne vienne perturber sa course. C’est pourquoi la majeure partie de son œuvre poétique peut se lire comme un culte jovial rendu à Éros débarrassé de toutes les fausses valeurs. Le poète commence par montrer l’inanité de l’orgueil, qui oblige la femme soucieuse de sa réputation à rejeter les premières invitations à l’amour : Ton orgueil peut durer au plus deux ou trois ans : Après cette beauté ne sera plus si vive, Tu verras que ta flamme alors sera tardive, Et que tu deviendras l’objet des médisants. Tu seras le refus de tous les courtisans, Les plus sots laisseront ta passion oisive, Et les désirs honteux d’une amitié lascive Tenteront un valet à force de présents. 4. Nous empruntons l’expression au médecin Laurent Joubert, Traité du ris contenant son essance, ses causes, et mervelheus effais, curieusemant recerchés, raisonnés & observés, Paris, Nicolas Chesneau, 1579. 5. Théophile de Viau, « Lettre XXI à M. le baron de Bergerac », in Œuvres complètes, t. III, Guido Sabon (dir.), Paris, Honoré Champion, 1999, p. 32. EsthetiqueRire.indb 91 08/10/12 14:54 92 Tu chercheras à qui te donner pour maîtresse, On craindra ton abord, on fuira ta caresse, Un chacun de partout te donnera congé. Tu reviendras à moi, je n’en ferai nul compte, Tu pleureras d’amour, je rirai de ta honte : Lors tu seras punie, et je serai vengé6. Le poème reprend sur un ton plus sarcastique le fameux sonnet de Ronsard à Hélène « Quand vous serez bien vieille, au soir à la chandelle7 » : mêmes rapports entre les sexes, même renversement ironique de situation. Toutefois, Théophile se garde d’évoquer l’im- mortalité que ses vers pourraient conférer à la femme aimée. Il ne se soucie que du temps présent et sanctionne d’un rire vengeur celle qui, en déclinant l’invitation au carpe diem, a accompli un déni de réalité. Elle a refusé de voir en Éros la source vitale de son être. Aussi l’orgueilleuse chasteté, dictée par un code social inique, a tôt fait – « au plus deux ou trois ans » quand Ronsard supposait un délai de quelques décennies – de se retourner en nymphomanie chronique qui pousse la femme à passer d’une attitude exis- tentielle foncièrement inauthentique à un comportement social ridicule. De même, dans le sonnet LVI (« Me dois-je taire encore, Amour, quelle apparence ? »), le poète se désespère de n’avoir pas déclaré sa flamme : Philis se rit d’un mal qu’elle me voit celer, Et me juge un enfant qui ne saurait rien faire, Puisque comme un enfant je ne saurais parler8. Quoique la femme aimée traite par la raillerie son amant muet, le poème n’est pas tant dirigé contre la cruauté féminine que contre la passivité du soupirant. Celui-ci régresse dans la situation de l’in-fans dont la castration linguistique semble attester l’impuissance sexuelle. En gardant son désir secret, il s’enferme dans une sorte de minorité contrainte. Sa timidité ne peut en effet uploads/Litterature/ le-rire-d-eros-ou-le-libertinage-de-l-im.pdf
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- Publié le Mai 29, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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