Littératures Le Romanesque (sous la direction de Gilles Declercq et Michel Mura

Littératures Le Romanesque (sous la direction de Gilles Declercq et Michel Murat), Presses Sorbonne Nouvelle, 2004 Yves Reboul Citer ce document / Cite this document : Reboul Yves. Le Romanesque (sous la direction de Gilles Declercq et Michel Murat), Presses Sorbonne Nouvelle, 2004. In: Littératures 55,2006. Pascal a-t-il écrit les Pensées ? pp. 260-264; https://www.persee.fr/doc/litts_0563-9751_2006_num_55_1_2024_t16_0260_0000_2 Fichier pdf généré le 19/12/2019 260 COMPTES RENDUS On ne saurait mieux mettre en place les données d’une poétique, dont les modalités sont définies dans la dernière partie de l’ouvrage, composée de quatre articles. Où l’on peut d’abord parler de deux poèmes allégoriques. Martine Cour- tois fait de Moment une allégorie du rapport entre nomination et désignation. La conscience que l’écriture ne fixe que des pensées mortes et que la pierre ne peut sauvegarder que l’inessentiel aboutit selon elle à une poétique de la pensée qui ne se laisse pas écrire, où le dehors à inscrire se dérobe au profit d’une réappropria- tion de l’expérience en substance du moi qui échappe lui-même à l’énonciation – mais où tout se retrouve dans la déixis. Mais cette négativité propre au moderne, tout le monde n’y voit pas une telle réfraction de vie. Jean-François Louette notamment, fait du poème Stèle du chemin de l’âme un auto-commentaire du genre stèle, où celle-ci, dans une optique blanchotienne inverse de celle de Bon- nefoy, se révélerait être un discours sur la lecture de poésie supposant une absence au monde et une plongée au tombeau. Tension interprétative évidente… Elle est due à ce que la poétique de Segalen, comme la question de la modernité et de la perte qui le nourrit, a des enjeux éthiques et politiques que Maxime Laurent sou- lève. Dans une perspective qu’on pourrait nommer de poéthique générique, ce der- nier montre comment Segalen, à l’instar de Callimaque et en témoin d’une époque où le genre est conscient de son divorce avec l’occasion qui le justifie, essaie d’assurer une présence au passé sans le répéter, se voit pour cela amener à réfléchir sur la virtualité infinie de l’occasion générique, achoppe sur l’insuffisance de cette tentative d’institution du littéraire en virtualité absolue, mais fonde au final et du coup la modernité comme oxymorique force d’indétermination du sujet. Nouvelle et vigoureuse lecture. Avec celles qui la précèdent, et par son côté décalé même, elle témoigne du moins d’une vitalité du texte segalenien, qui rend précieux, au bout du compte, l’appel de Claude-Pierre Pérez à une méthodologie circonspecte des lectures réflexives: soulignant, chez Baudelaire, la tension qui existe entre la poétique exposée ailleurs que dans les poèmes, dont il indique le caractère straté- gique, le discours métapoétique propre à un poème et la poétique qui se dégage d’un livre de poèmes, Claude-Pierre Pérez invite en effet à apprécier le rapport de Stèles aux autres propos réflexifs de Segalen en fonction de ce cadre, et assuré- ment, cette distinction de bon sens ouvre ce recueil d’articles denses autant que sti- mulants à un prolongement de la réflexion sur l’espace réflexif. Ce qui est sans doute un des meilleurs hommages qu’on puisse lui rendre. Jean-Pierre ZUBIATE ——————— Le Romanesque (sous la direction de Gilles Declercq et Michel Murat), Presses Sorbonne Nouvelle, 2004, 316 p. Immense sujet que celui-là et largement problématique, puisque roman et romanesque ne se recouvrent pas et que le romanesque est en somme, comme le remarquent les deux responsables du volume, « un objet disproportionné […] parce que dépourvu d’autonomie conceptuelle ». De là vient sans doute, ajoutent- COMPTES RENDUS 261 ils avec raison, qu’il s’agit d’un sujet que la recherche croit « prudent d’éviter ». Issu d’un séminaire dont il n’épuise pas les travaux, cet ouvrage tente donc, non sans courage, de s’abstraire de cette prudence. Tout commence évidemment dans l’Antiquité et le volume s’ouvre donc sur un article intitulé « La source grecque du romanesque », dû à Alain Billault. L’auteur y remarque d’emblée que l’apparition du roman est tardive dans l’Anti- quité, mais que dans la littérature grecque le romanesque existait depuis long- temps. Trois mots permettent de le définir: pathos (la souffrance), erôs (l’amour), mais aussi historia (ou syntagma), ces derniers mots désignant un récit développé et ordonné. S’il y avait donc des éléments romanesques dans l’épopée homérique ou dans la tragédie, l’historia manquait à leur propos, comme elle manque aussi dans l’idylle. Le surgissement du roman se marque en conséquence par « l’inscription de l’histoire dans le temps », mais aussi par l’apparition d’un schéma narratif s’articulant en « trois phases principales: la naissance de la pas- sion, l’aventure et la fin heureuse », ce schéma engendrant de nouveaux topoi (le premier regard!) promis à un riche avenir Moins directement centrée sur la question du romanesque, la contribution d’Anne Videau traite de l’épisode de Pyrame et Thisbé dans les Métamorphoses d’Ovide. Dans ce récit situé à Babylone, donc dans un espace mythique, elle met en valeur une paradoxale volonté réaliste qui ne l’empêche pas d’être aussi « une parabole symbolique sur l’identité dans l’amour ». De son côté Dominique Boutet (« Le lyrique comme moyen du romanesque aux XIIe-XIIIe siècles ») s’intéresse aux enfances plus immédiates du romanesque européen, c’est-à-dire au Moyen Âge. Il note que le roman médiéval n’est pas né du roman antique, qu’il est sou- vent tout autre chose que romanesque, mais que sa formule est fréquemment de conter ensemble « d’armes et d’amors », ce qui l’amène à assumer l’expression lyrique. Les écrivains médiévaux ont exploré plusieurs voies différentes pour par- venir à cette conjointure (notamment l’intégration de poèmes « censément com- posés par les héros eux-mêmes » – comme dans le Tristan en prose – ou la transposition de la topique de la fin’amor dans « un récit linéaire de type romanesque » – cas du Roman de la Rose) Laurence Plazenet (« Romanesque et roman baroque ») part de la remarque que le roman dit aujourd’hui baroque, né avec L’Astrée, règne en gros jusque vers 1660, mais que l’adjectif romanesque n’apparaît qu’à la fin du siècle. Qui plus est, le mot revêt alors un sens nettement critique, recoupant l’attaque contre le roman lui-même, développée notamment par Sorel dans Le Berger extravagant. Toute- fois, il ne faut pas se méprendre: cette dénonciation recouvre une satire antibour- geoise (le héros de Sorel est le fils d’un marchand). Aux origines du roman français moderne, la traduction des Éthiopiques d’Héliodore par Amyot (1548) visait à jouer son rôle dans la fondation d’un idiome politiquement fédérateur, mais à l’usage des honnêtes gens; et le genre est en fait goûté jusque vers 1670 comme un modèle de bien dire en même temps que de beaux sentiments par les gens de qualité. Ils le lisent comme ils lisent la littérature de Port-Royal, pour « la force et l’élévation » de ces sentiments. 262 COMPTES RENDUS Deux autres contributions traitent du XVIIe siècle. Catherine Costentin s’intéresse à Mme de Lafayette. Dans un travail qui n’évite pas toujours le jargon, elle situe l’auteur dans le genre de la « nouvelle historique et galante » qui préten- dait se substituer aux immenses romans baroques. De son côté, Delphine Denis traite de « Romanesque et galanterie au XVIIe siècle »: elle rappelle la porosité de la frontière entre romanesque et usages mondains, frontière qui se traverse d’ailleurs dans les deux sens. L’univers romanesque transcrit la galanterie aristo- cratique, mais il fournit aussi une clé de lecture pour les événements du monde réel, comme on le voit chez Mme de Sévigné. Avec Orla Smyth (« Du moralisme aux plaisirs de l’illusion romanesque »), nous sommes au XVIIIe siècle et plus précisément chez Sterne. L’auteur met en évi- dence dans Tristram Shandy le fait que l’ironie mine sournoisement un sentimen- talisme apparent: cette ironie étant fondée sur le style, il en naît un plaisir propre, légitimation du romanesque. Lui succédant dans le volume, Fabienne Bercegol, dans un travail qui est sans doute un des meilleurs du lot, traite quant à elle du romanesque selon Chateaubriand. Situant ses romans, du fait de leurs sujets, du côté du romance et non du novel, elle montre qu’ils recourent toutefois moins aux topoi du genre qu’à des schémas narratifs empruntés aux grands genres comme l’épopée et surtout la tragédie. Les protagonistes y font fréquemment un appren- tissage de l’héroïsme marqué par les valeurs aristocratiques, mais où il faut aussi reconnaître, dans un monde bouleversé par la Révolution, une « acceptation, dou- loureuse mais ferme, du devenir historique ». Restent cependant un style et des paysages fictionnels tout entiers investis par une logique du désir ou de la violence et à travers lesquels le romanesque prend toute sa revanche. Viennent ensuite des pages un peu rapides de Mariella di Maio sur un sujet, il est vrai, des plus rebattus (« La matière d’Italie: Stendhal, Balzac »). On aimera mieux la contribution de Myriam Roman, dont le titre à première vue paradoxal (« Un romancier non romanesque: Victor Hugo ») s’éclaire rapidement à la lec- ture de ses analyses: ce qu’elle entend souligner, c’est que l’horizon du romancier Hugo uploads/Litterature/ le-romanesque-compte-rendu.pdf

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