J. Lacan LE SAVOIR DU PSYCHANALYSTE Entretiens de sainte Anne 1971- 1972 VERSIO

J. Lacan LE SAVOIR DU PSYCHANALYSTE Entretiens de sainte Anne 1971- 1972 VERSION polycopiée, identique à la version AFI, à la pagination près Tables des matières, voir « explorateur de document » 4 Novembre 1971 En revenant parler à Ste Anne, ce que j'aurai espéré, c'est qu'il y eût là des internes, comme on appelle ça, qui s'appelaient de mon temps «les internes des asiles» ; ce sont maintenant «des hôpitaux psychiatriques», sans compter le reste. C'est ce public-là qu'en revenant à Ste Anne je visais. J'avais l'espoir que certains d'entre eux se dérangeraient. Est-ce que s'il y en a ici - je parle d'internes en exercice - ils me feraient le plaisir de lever la main ? C'est une écrasante minorité, mais enfin, ils me suffisent tout à fait. A partir de là - et pour autant que je pourrais soutenir ce souffle je vais essayer de vous dire quelques mots. Il est évident que ces mots, comme toujours, je les fais improvisés, ce qui ne veut pas dire que je n'aie pas là quelques petites notes, mais ils sont improvisés depuis ce matin, parce que je travaille beaucoup ... Mais il ne faut pas vous croire obligés 's d'en faire autant. Un point sur lequel j'ai insisté, c'est sur la distance qu'il y a entre le travail et le savoir, car n'oublions pas que ce soir, c'est du savoir que je vous promets, donc pas tellement besoin de vous fatiguer. Vous allez voir pourquoi, certains le soupçonnent déjà, pour avoir assisté à ce qu'on appelle mon séminaire. Pour en venir au savoir, j'ai fait remarquer, dans un temps déjà lointain, ceci, que l'ignorance puisse être considérée, dans le bouddhisme, comme une passion, c'est un fait qui se justifie avec un peu de méditation ; mais comme c'est pas notre fort, la méditation, il n'y a pour le faire connaître qu'une expérience. C'est une expérience que j'ai eue, marquante, il y a longtemps, justement, au niveau de la salle de garde. Parce que ça fait une paye que je fréquente ces murailles - par spécialement celles-là à cette époque - et ça devrait être, c'est inscrit quelque part, du côté de 25 - 26, et les internes à cette époque - je ne parle pas de ce qu'ils sont maintenant - les internes aussi bien des hôpitaux que de ce qu'on appelait les asiles, c'était sans doute un effet de groupe, mais pour ce qui est d'en tenir à l'ignorance, ils étaient un peu là, semble-t-il ! On peut considérer que c'est lié à un moment de la médecine, ce moment devait forcément être suivi de la vacillation présente. A cette époque, après tout, cette ignorance, n'oubliez pas que je parle d'ignorance, je viens de dire que c'est une passion, c'est pas pour moi une moins value, ce n'est pas non plus un déficit. C'est autre chose : l'ignorance est liée au savoir. 7 C'est une façon de l'établir, d'en faire un savoir établi. Par exemple, quand on voulait être médecin dans une époque qui, bien sûr, était la fin d'une époque, eh bien, c'est normal qu'on ait voulu bénéficier, montrer, manifester une ignorance, si je puis dire, consolidée. Ceci dit, après ce que je viens de vous dire de l'ignorance, vous ne vous étonnerez pas que je fasse remarquer que l'«ignorance docte», comme s'exprimait un certain cardinal, au temps où ce titre n'était pas un certificat d'ignorance, un certain cardinal appelait «ignorance docte» le savoir le plus élevé. C'était Nicolas de Cuez, pour le rappeler en passant. De sorte que la corrélation de l'ignorance et du savoir est quelque chose dont il nous faut partir essentiellement et voir qu'après tout, si l'ignorance, comme ça, à partir d'un certain moment, dans une certaine zone, porte le savoir à son niveau le plus bas, ce n'est pas la faute à l'ignorance, c'est même le contraire. Depuis quelques temps, dans la médecine, l'ignorance n'est plus assez docte pour que la médecine survive d'autre chose que de superstitions. Sur le sens de ce mot, et précisément en ce qui concerne à l'occasion la médecine, je reviendrai peut-être tout à l'heure, si j'ai le temps. Mais enfin, pour pointer quelque chose qui est de cette expérience avec laquelle je tiens beaucoup à nouer le fil après ces quelques 45 ans de fréquentation de ces murailles - c'est pas pour m'en vanter, mais depuis que j'ai livré quelques uns de mes Ecrits à la poubellication, tout le monde sait mon âge, c'est un des inconvénients ! - à ce moment, je dois dire que le degré d'ignorance passionnée qui régnait à la salle de garde de Ste Anne, je dois dire que c'est irrévocable. C'est vrai que c'étaient des gens qui avaient la vocation et, à ce moment-là, avoir la vocation des asiles, c'étaie quelque chose d'assez particulier. Dans cette même salle de garde arrivèrent en même temps quatre personnes dont je ne trouve pas à dédaigner de réévoquer les noms, puisque je suis l'un d'entre eux. L'autre que je me plairais à faire resurgir ce soir, c'était Henri Ey. On peut bien dire, n'est-ce pas, avec l'espace de temps parcouru, que cette ignorance , Ey en fut le civilisateur. Et je dois dire que je salue son travail. La civilisation, enfin, ça ne débarrasse d'aucun malaise, comme l'a fait remarquer Freud, bien au contraire, Unbehagen, le pas-bon aise, mais enfin, ça a un côté précieux. Si vous croyez qu'il devait y avoir le moindre degré d'ironie dans ce que je viens de dire, vous vous tromperiez lourdement, mais vous ne pouvez que vous tromper, parce que vous ne pouvez pas imaginer ce que c'était dans le milieu des asiles, avant que Ey y ait eu mis la main. C'était quelque chose d'absolument fabuleux. Maintenant l'histoire a avancé et je viens de recevoir une circulaire marquant l'alarme qu'on a dans une certaine zone du dit milieu, en égard à ce mouvement prometteur de toutes sortes de flammèches qu'on appelle l'anti-psychiatrie. On voudrait bien que je prenne position là-dessus, comme si on pouvait prendre position sur quelque chose qui est déjà une opposition. Car, à vrai dire, je ne sais pas s'il conviendrait de faire là-dessus quelques remarques, quelques remarques inspirées de ma vieille expérience, celle que je viens d'évoquer précisément, 8 et de distinguer, à cette occasion entre la Psychiatrie et la psychiatrerie. La question des malades mentaux ou de ce qu'on appelle, pour mieux dire les psychoses, c'est une question pas du tout résolue par l'anti-psychiatrie, quelles que puissent être là-dessus les illusions qu'entretiennent quelques entreprises locales. L'anti-psychiatrie est un mouvement dont le sens est la libération du psychiatre, si j'ose m'exprimer ainsi. Et il est bien certain que ça n'en prend pas le chemin. Ça n'en prend pas le chemin parce qu'il y a une caractéristique qu'il ne faudrait quand même pas oublier dans ce qu'on appelle les révolutions, c'est que ce mot est admirablement choisi de vouloir dire : retour au point de départ. Le cercle de tout ceci était déjà connu, mais est amplement démontré dans le livre qui s'appelle «Naissance de la Folie», de Michel Foucault : le psychiatre a en effet un service social. Il est la création d'un certain tournant historique. Celui que nous traversons n'est pas près d'alléger cette charge, ni de réduire sa place, c'est le moins qu'on puisse en dire. De sorte que ça laisse les questions de l'antipsychiatrie un peu à porte à faux. Enfin, ceci est une indication introductive, mais je voudrais faire remarquer que, pour ce qui est des salles de garde, il y a quelque chose tout de même de frappant qui fait à mes yeux leur continuité avec les plus récentes, c'est à quel point la psychanalyse n'a, au regard des biais qu'y prennent les savoirs, la psychanalyse n'a rien amélioré. Le psychanalyste, au sens où j'en ai posé la question, dans l'année 67-68, où j'avais introduit la notion « du psychanalyste», précédé de l'article défini, au temps où j'essayais devant un auditoire à ce moment-là assez large, de rappeler la valeur logique, celle de l'article défini, enfin passons, le psychanalyste ne semble pas avoir rien changé à une certaine assiette du savoir. Après tout, tout cela est régulier. C'est pas des choses qui arrivent d'un jour à l'autre, qu'on change l'assiette du savoir. L'avenir est à Dieu, comme on dit, c'est-à-dire à la bonne chance, à la bonne chance de ceux qui ont eut la bonne inspiration de me suivre. Quelque chose sortira d'eux si les petits cochons ne les mangent pas. C'est ce que j'appelle la bonne chance. Pour les autres il n'est pas question de bonne chance. Leur affaire sera réglée par l'automatisme, qui est tout à fait le contraire de la chance, bonne ou mauvaise. Ce que je voudrais ce soir, c'est ceci : c'est que ceux-là, ce que je voudrais, ce à quoi ils puissent se vouer, pour ce que la psychanalyse dont ils usent ne leur laisse aucune chance, je voudrais éviter pour uploads/Litterature/ le-savoir-du-psychanalyste-entretiens-de-ste-anne-1971-72.pdf

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