Introduction L’œuvre de Jodelle (1532-1573) présente des problèmes très particu
Introduction L’œuvre de Jodelle (1532-1573) présente des problèmes très particuliers pour un éditeur. Il est mort en 1573 sans n’avoir publié qu’un opuscule, Le Recueil des Inscriptions, figures, devises et masquarades, ordonnees en l’hostel de ville à Paris, le jeudi 17. de Fevrier. 1558 (André Wechel, 1558), vaine tentative de se justifier après l’échec retentissant de ce bal tenu par la ville de Paris pour fêter la reprise de Calais sur les Anglais par le duc de Guise. Faces à l’insouciance de l’auteur quant à la publication de ses propres œuvres, les éditeurs doivent relever le défi. L’histoire de l’édition de l’œuvre jodellienne montre bien et l’importance et les écueils du travail ecdotique. * Seul membre parisien de la Pléiade, né en 1532, Jodelle eut un succès immédiat à la cour et parmi ses frères poètes avec la première tragédie en langue française, Cléopâtre captive, jouée devant le roi en 15531. C’est à ce moment qu’est né le mythe disons « démoniaque » de Jodelle. Pour fêter son succès, on aurait sacrifié un bouc à Dionysos, rite dérivé de l’étymologie du mot tragédie (« chant du bouc »). Sa vie reste, dans une grande partie, méconnue. Condamné à mort dans des circonstances peu claires après l’échec de la fête à Hôtel de Ville, il écrit des poèmes pour ses mécènes et se lance dans la polémique, et peut-être dans l’action, des Guerres de Religion, un catholique virulent qui aurait, pourtant, pensé à se convertir au protestantisme. On peut dater son retour à Paris dans les années 1570 par comparaison avec la date supposée de la composition de l’album de poésies de la maréchale 1 Pour toute information biographique, nous renvoyons à la biographie d’E. Balmas, Un poeta del Rinascimento francese, Étienne Jodelle. La sua vita, il suo tempo, Florence, Olschki, 1962. ~ 1 ~ de Retz (manuscrit français 25455 de la BNF), où figurent quelques poèmes de Jodelle2. Il meurt dans la misère à Paris en 1573. * La première édition de ses œuvres a paru en 1574, édité par un groupe d’amis, dont Charles De la Mothe, qui a écrit la préface3. Il a signalé dans cette préface que d’autres volumes suivraient et que la production du poète était vaste : « Nous esperons faire mettre en lumiere encore quatre ou cinq aussi gros volumes que cestuy-ci » (sig e ii v°). Le nœud gordien de la correcte disposition des poèmes, pour laquelle l’auteur n’a laissé aucun indice, force chaque nouvel éditeur à son tour à se justifier. La Mothe a choisi de les classer par genre sous le titre d’ensemble, Les Amours. Sonnets, chapitres, chansons sont groupés ensemble ; s’ensuivent des élégies, des odes et deux épithalames, trois discours, des tombeaux et l’œuvre comique et tragique. Charles Marty-Laveaux, ce grand déterreur des œuvres tombées en obscurité du 16e siècle, a produit une édition de Jodelle en 1858 qui prend la première édition de La Mothe comme texte de base (une deuxième édition de La Mothe avec quelques additions a vu le jour en 1583)4. L’ordre établi par La Mothe est bouleversé pour des raisons premièrement esthétiques : « Jodelle étant surtout connu par ses œuvres dramatiques, nous avons cru devoir les placer les premières »5 mais également dans un souci chronologique : les premières mises en scène de Cléopâtre captive et Eugène peuvent être datées avec certitude à 1552-1553. Ajoutés aux pièces est le Recueil, d’une date certaine aussi (1557) et des vers de circonstance, composés pour une mascarade en 1571. Le second volume a « suivi rigoureusement » l’ordre des poèmes donné par La Mothe, sauf 2 On pense que cet album, créé autour du salon de Catherine de Clermont, la maréchale de Retz, s’est constitué (on ne peut avancer des opinions sûres quant aux dates de composition) à partir de 1573. Voir Catherine de Clermont - Album de poésies (Manuscrit français 25455 de la BNF), éd. citée. 3 Œuvres et Meslanges Poetiques, Paris, N. Chesneau et M. Patisson, 1574. 4 La Pléiade Françoise : Les Œuvres et Meslanges Poetiques d’Estienne Jodelle […], CH. Marty-Laveaux, éd., 2 vols., Paris, Alphonse Lemerre, 1858. 5 Ibid, n. 4, p. 311. ~ 2 ~ en en cas, qui constitue en effet une très juste critique de la méthode de La Mothe6. La voici : l’ordre générique ne prend pas en compte les conditions d’écriture et mélange des vers de circonstance avec un recueil des Amours tel qu’il a été compris à l’époque, chez Ronsard, par exemple. On trouve, alors, que l’épithalame à Madame Marguerite [Marguerite de France, duchesse de Berry], un poème de circonstance par définition, est placé entre les Amours et les Contr’Amours . Malgré cette perception de la faiblesse de la classification thématique de La Mothe, et à sa charge comme éditeur, Marty-Laveaux a toutefois suivi de près son modèle et préservé cet ordre patchwork in extremis, qui pour n’en donner encore qu’un exemple, juxtapose une querelle avec Ronsard avec les chapitres et chansons d’amour7. Toutefois, on ne saurait renier la diligence et le respect de l’œuvre de Marty-Laveaux. Il lamente la pauvreté des sources pour Jodelle et préserve la ponctuation telle qu’il l’a trouvée dans l’édition princeps : il ne compterait pas parmi les « dinosaures » identifiés par Cerquiglini8. C’est une édition honnête de son temps qui avait besoin d’être mise à jour pour l’ère plus exigeante des « sciences humaines ». Enea Balmas s’engage dans la brèche : il a produit l’édition encore aujourd’hui considérée la meilleure et a façonné une méthode d’après lui « logique et historique », thématique et générique, où dans le premier volume les poèmes sont groupés sous quatre rubriques thématiques : le poète chez les hommes, à la cour, de guerres de religion et chez les femmes. Le deuxième volume abrite le poète dramatique et le poète satirique. Cette structure semble tout à fait raisonnable et ne suscitera aucune controverse, si ce n’est qu’il a su attribué vingt-deux nouveaux poèmes à Jodelle, tirés d’un recueil en manuscrit du salon de Catherine de 6 Ibid, n. 1, p. 353. 7 Voir Marty-Laveaux, vol. 2, pp. 43-68. 8 Ainsi nomme-t-il les grands philologues médiévistes du XIXe, notamment Paris et Bédier : Cerquiglini, Bernard, L’Éloge de la variante, Paris, Seuil, 1989, pp. 73-84 ~ 3 ~ Clermont, une femme célèbre qui a réunit autour d’elle un salon poétique9. Cette attribution contestée se fond, pour Balmas, dans l’identification de thèmes et de topoi dans certains poèmes anonymes, qui lui autorise des les attribuer à Jodelle. Le contrepied de cette position aurait pour assise non la thématique mais la stylistique et la prosodie, que l’on espère exposer dans une prochaine étude. De toute façon, l’attribution reste très incertaine et n’est pas adéquatement justifiée. Non convaincus de la main de Jodelle dans les sonnets ajoutés aux Contr’Amours par Balmas, remarquable pour leur platitude rythmique et la régularité des césures relatives aux iambes des Contr’Amours, nous les excluons de cette édition10. Il sera injuste, pourtant, de trop critiquer la belle édition de Balmas : il travaillait dans le vide, pour ainsi dire, et par cette édition qu’il reconnaissait lui-même être « un instrument de travail »11, amorçait les travaux critique et philologique nécessaires pour comprendre et établir l’œuvre de cet écrivain longtemps méprisé. Les grands défauts de son édition, à part la prétention à la complétude d’une œuvre dont on reconnaît volontiers dès 1574 les lacunes, sont deux. Premièrement, la inexactitude de l’appareil critique et la pauvreté des notes explicatives, souvenir peut-être d’une époque où des connaissances de la culture antique étaient plus répandues, mais qui néanmoins empêchent la compréhension de cette poésie érudite et de nos jours, ésotérique. Secondement, l’attribution trop hâtive des poèmes de provenance peu sûre qui déforme notre appréciation et connaissance de l’œuvre. On peut donc voir que l’édition des œuvres de Jodelle, et plus particulièrement les Contr’Amours, a de faibles assises : une première 9 Œuvres Complètes, éd., E. Balmas, Paris, Gallimard, 2 vol., 1965-1968. Catherine de Clermont - Album de poésies (Manuscrit français 25455 de la BNF), édition critique par C. H. Winn et F. Rouget, Paris, Champion, 2004. Pour l’attribution controversée des poèmes à Jodelle, voir E. Balmas, « Poesie inedite di Etienne Jodelle. A proposito del ms. f. 25455 », dans Rivista di letturature moderne e comparate, XIV, 1961, pp. 45-104, et E. Buron, « Dessous un silence obstiné… » : Histoire des œuvres et théorie poétique d’Etienne Jodelle, Thèse (dir. M. Simonin), Tours, Centre d’Etudes Supérieures de la Renaissance, 1997, pp. 541 et suite. 10 Ils se retrouvent dans Annexe 2. 11 Balmas, op.cit., t. 1, p. 29. ~ 4 ~ édition posthume à la laquelle l’auteur n’a pas pris part ; un album de poésies d’auteurs différents, textes copiés à la main par quatre rédacteurs où foisonnent des « erreurs ou imprécisions rédactionnelles »12 ; et un témoin d’un sonnet rapporté dans un livre d’histoire paru en 1607, soit trente-quatre ans après la mort de l’auteur, que l’historien prétend avoir entendu de la bouche du poète lui-même13. uploads/Litterature/ introduction-to-the-contr-x27-amours-of-jodelle-french.pdf
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- Publié le Dec 05, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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