1 Bouvier, Pierre Le syndrome postcolonial hier et aujourd’hui Présence de Césa
1 Bouvier, Pierre Le syndrome postcolonial hier et aujourd’hui Présence de Césaire et de Fanon Les Damnés de la terre se présente, dans les années 1950-1970, comme l’une des références essentielles pour ce qui concerne le tiers- monde. Plusieurs facteurs en rendent compte, dont l’insistance mise par Fanon sur des thématiques telles que la violence, le rôle de la paysannerie, de la bourgeoisie et des intellectuels, mais plus encore sur les capacités de l’auteur à envisager un devenir sociétal à dimension universelle: « Ce qui fait la force extraordinaire du texte de Fanon, c’est qu’il se présente en contre-récit clandestin face à la puissance officielle du régime colonial, dont, dans sa téléologie, la défaite est certaine. […] Le discours de Fanon est celui d’un triomphe anticipé, la libération, qui marque le second moment de la décolonisation 1 . » Ces thèmes, il les a abordés sous un angle renouvelé, correspondant, alors, aux dynamiques associées aux libérations nationales. L’Occident Les échos rencontrés par les pensées fanonienne et césairienne, à travers leurs ramifications, sont multiples et plus que divers. S’agissant des années 1950-1970, l’œuvre de Fanon touche, de son vivant, en métropole, d’abord ceux qui mènent ou essaient d’engager, d’une façon conséquente, une solidarité active avec les colonisés. Ce ne sont pas les partis de gauche qui, pour les raisons analysées précédemment, s’intéressent à l’œuvre fanonienne, mais des démocrates et des progressistes désireux de montrer, par des actes, leur soutien aux peuples en lutte et plus spécialement au peuple algérien. Il s’agit d’adhérents ou de sympathisants appartenant ou ayant appartenu à la gauche de la SFIO, au PCF, de militantsproposant d’autres voies pour le socialisme en France: trotskistes, conseillistes, libertaires. À côté de ces militants politiques il y a le groupe d’intellectuels réunis autour de la revue Les Temps Modernes , fondée par Jean-Paul Sartre, ainsi que ceux regroupés par la revue Partisans dont le directeur, François Maspero, deviendra l’éditeur des ouvrages de Fanon. La préface de Francis Jeanson à Peau Noire, masques blancs souligne l’originalité du propos. Dans sa postface de 1965, il précise la trace indélébile laissée, en quelques années, par l’auteur des Damnés . Jeanson oppose la démarche « incarnée » de Fanon à l’irréalité, la vacuité des intellectuels occidentaux: « Un dialogue permanent avec soi-même, un narcissisme de plus en plus obscène n’ont cessé de faire le lit à un quasi-délire où le travail cérébral devient une souffrance, les réalités n’étant point celles de l’homme vivant, travaillant et se fabriquant, mais des mots, des assemblages divers de mots, les tensions nées des significations contenues dans les mots 2 . » Dans les années du début de la seconde moitié du X X e siècle, pour les intellectuels progressistes français, tout paraît, alors, impossible. Tout se résorberait en vains bavardages. François Maspero souligne cette atmosphère et replace, dans ce contexte, l’influence fanonienne: « Nombreux furent ceux qui, comme moi, trouvèrent dans le même 2 temps grâce à L’An V de la révolution algérienne les bases de leur engagement et ce “pourquoi nous combattons”, qui nous faisait si cruellement défaut 3 . » Il tient ces propos malgré les réseaux de soutien au FLN, le Manifeste des 121 (déclaration sur le droit à l’insoumission dans la guerre d’Algérie, à laquelle s’associe le Martiniquais Édouard Glissant), Jeune Résistance ainsi que d’autres initiatives. Jean-Paul Sartre, auteur de la préface des Damnés de la terre , fait référence à de mêmes désirs irréalisés. Il voit d’abord, dans l’œuvre fanonienne, la condamnation de l’Europe telle qu’elle prévaut et, en opposition, la voie qu’ouvre la violence, la révolution par les armes, images d’une époque antérieure telle celle de la Commune. Le philosophe dissèque l’« humanisme » libéral: « Aujourd’hui, nous sommes enchaînés, humiliés, malades de peur : au plus bas […] Peut-être alors, le dos au mur, débriderez-vous enfin cette violence nouvelle que suscitent en vous de vieux forfaits recuits 4 . » Il espèrewww.bibliovox.com 88808993 181.28.18.15 3D2A442A-C5E3-4805-8FB8-08DA5C54ED55 LE SyNDROME POSTCOLONIAL hIER ET AuJOuRD’huI 197 cette violence révolutionnaire qui s’exprimera en de nombreux points du globe et actualisera le combat de Fanon. Avec l’équipe des Temps Modernes se situe l’un des points de plus forte résonance de l’œuvre fanonienne. À côté, proches mais plus précis selon leur appartenance à une organisation politique, se trouvent des dissidents du PCF et de la SFIO, ainsi que divers tenants de tel ou tel courant trotskiste. Dans la revue Partisans (n° 3), Maurice Maschino salue celui qui a analysé le processus de la décolonisation, celui qui fut « d’abord un homme qui fait, un militant ». Dans la publication L’Internationale , organe du Parti communiste internationaliste, section française de la IV e Internationale, Michel Pablo souligne, à plusieurs reprises, l’apport de Fanon pour « la révolution algérienne en marche ». Dans les années 1960, des « pieds-rouges », ces Français ayant rejoint à un titre ou à un autre ce processus ainsi que leurs successeurs, proches de l’Algérie benbelliste (libertaires, trotskistes ou autogestionnaires), rendront hommage, autour de la revue Révolution africaine , à celui qui fut un de leurs modèles sinon l’un des leurs, peut-être le plus radical. Autour de ces points d’impact et se refroidissant au fur et à mesure qu’elle s’en éloigne, l’œuvre de Fanon subit les critiques de divers courants. François Maspero souligna la manière peu amène dont Les Damnés de la terre furent reçus. Confrontés à cet ouvrage, les démocrates lui reprochent son monde dichotomique, ses appels à un volontarisme dans lequel d’aucuns, tel Jean-Marie Domenach 5 , voient la marque d’un mysticisme rentré où la violence tiendrait lieu de grâce rédemptrice. On lui reproche ses « références » au terrorisme qui, pour Gilles Martinet 6 n’est qu’un archaïsme. À l’en croire, Fanon est proche des socialistes révolutionnaires de la Russie du début du siècle. Catholiques et progressistes de gauche, avec la revue Esprit ou Témoignage chrétien , démocrates avec France-Observateur , L’Express , partagent, peu ou prou, ces réserves. Dans « La Bataille des intellectuels français », Michel Crouzet 7 s’élève au nom de la gauche traditionnelle: « Pour certains Fanon allait apparaître, 3 en 1962, comme le Lénine du tiers-monde… Un tiers-monde mythique remplaçait le mythe du prolétariat » . Le tiers-monde, la conscience révolutionnaire du berger kabyle incarneraient, alors, cette mauvaise conscience de l’intellectuewww.bibliovox.com 88808993 181.28.18.15 3D2A442A-C5E3-4805-8FB8-08DA5C54ED55 198 AIMÉ CÉSAIRE, FRANTZ FANON d’extrême gauche incapable de mener une action effective sur son propre territoire. Déjà en 1957, les articles de Fanon parus dans El Moudjahid avaient valu, à leur auteur, de sérieuses mises en garde de la part des représentants de la gauche, partisans de la coexistence pacifique et de la non-violence. Ces critiques ne sont, le plus souvent, que l’autodéfense de personnalités, groupements ou partis politiques qui prônent, en Algérie, l’arrêt des hostilités, des négociations sinon une « paix des braves ». Plus construite car aussi plus consciente de la prégnance des thèses fanoniennes est la critique issue des partis communistes orthodoxes. Pour répondre à l’auteur des Damnés , le PCF oppose colonisé à colonisé. C’est un Vietnamien qui prend la plume. Au nom du rapport des forces en présence, au nom de la « nécessaire » coexistence pacifique, l’auteur critique l’exaltation de la lutte armée alors que la conjoncture ne serait pas propice à une telle démarche 8 . Depuis 1956, Aimé Césaire est confronté à d’autres enjeux. Il n’est plus membre du Parti communiste. Il ne jouit plus de son soutien. Il bénéficie d’un regard moins défavorable, toute chose égale par ailleurs, de la part des opposants à l’extrême gauche. Son statut de député et de maire tout comme sa notoriété ne font pas de l’anticolonialiste qu’il est un adversaire aussi intolérable que Fanon, celui qui a choisi de s’intégrer dans le mouvement de libération algérien. Aimé Césaire a témoigné d’une présence critique remarquable jusqu’à la veille de sa mort, en avril 2008. Il est l’un des députés, de 1945 à 1993, ayant eu l’une des plus longues carrières. Dans les années 1980-2000, il s’attache à poursuivre les aménagements nécessaires pour le bien-être de ses concitoyens, malgré les obstacles que les rivalités politiciennes soulèvent et que l’administration centrale à Paris et ses représentants locaux ne voient pas forcément d’un bon œil. Ceci s’inscrit parmi ses responsabilités en particulier de maire de Fort- de-France jusqu’en 2001 et de fondateur actif du PPM, dont, aujourd’hui, le secrétaire général est Serge Letchimy. Sa place dans le monde des lettres est incontestée comme le prouve, entre autres, l’attribution, en 1983, du Grand Prix national de poésie, un hommage au festival d’Avignon en 1990, la représentation, l’année suivante, à la Comédie-Française de La Tragédie du roi Christophe , deswww.bibliovox.com 88808993 181.28.18.15 3D2A442A-C5E3-4805-8FB8-08DA5C54ED55 LE SyNDROME POSTCOLONIAL hIER ET AuJOuRD’huI 199 4 entretiens à la radio, à la télévision et dans la presse écrite. En 1994, sous la direction de Daniel Maximin et de Gilles Carpentier, son œuvre poétique est publiée aux éditions du Seuil. Des numéros spéciaux de revue lui sont consacrés ainsi, par exemple, en 1995, de la revue Présence Africaine , sans compter uploads/Litterature/ le-syndrome-postcolonial-hier-et-aujourd-x27-hui.pdf
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- Publié le Sep 14, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
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