Lecture analytique Victor Hugo, Les Contemplations, Livre Premier, VII (1856) «

Lecture analytique Victor Hugo, Les Contemplations, Livre Premier, VII (1856) « Réponse à un acte d’accusation » Amorce : En 1856, il y a plus de vingt ans que s'est livrée la bataille d'Hernani à la Comédie-Française. Contre les tenants de la tradition qui regardaient derrière eux, vers le classicisme, se trouvaient en première ligne les ardents supporters du drame romantique, nouveau théâtre dont Hugo était le jeune chef de file. Présentation du texte : Dans sa « Réponse à un acte d'accusation », il se souvient du combat victorieux qu'il a mené à cette époque contre le classicisme. Annonce des axes : À l'évocation de ces souvenirs, Hugo retrouve toute sa verve : il transforme ce qui aurait pu être un simple manifeste poétique en une scène de drame romantique, cocasse, sublime et grotesque : les mots deviennent les personnages à part entière d'un spectacle épique dont Hugo est le protagoniste visionnaire. Mais le champ de bataille littéraire ne lui suffit pas car les enjeux de cette libération dépassent le cadre étroit de la littérature et englobent les luttes révolutionnaires pour l'égalité des hommes. I. Une scène de drame romantique Grâce aux images et à son imagination visionnaire, Hugo métamorphose la vie en théâtre (Shakespeare). Le lecteur assiste littéralement à une scène de drame romantique. 1. Une progression en deux temps C'est un drame en deux actes : le premier décrit le monde littéraire de l'« avant » Hugo et le second, celui de l'« après » Hugo. Le premier acte met en place le décor, la situation : c'est le monde d'avant Hugo, le monde du classicisme figé dans une immobilité que traduit l'imparfait de durée. Les « castes », chez les mots comme chez les hommes, ne se mélangent pas, vivant chacune de leur côté : le parallélisme « les uns... les autres... » rend compte de cet antagonisme. Trois vers suffisent pour évoquer les mots « nobles » mais Hugo en consacre quinze aux mots « mal nés ». Il évoque les mauvais lieux qu'ils fréquentent (c'est-à-dire ceux où on les prononce : « galères », « halle », « bagne ») ; puis il décrit leurs relations contrastées (affection ou mépris) avec les grands auteurs classiques. Le second acte débute par un coup de théâtre : le claironnant « alors, brigand, je vins » est sûrement un écho parodique du « Enfin, Malherbe vint », cri de soulagement par lequel Boileau, dans son Art poétique, salue l'arrivée de ce censeur sévère qui allait mettre au pas la création littéraire du XVIIe siècle, après les années débridée du baroque. C'est le début d'une vraie révolution, d'une succession endiablée de discours et d'actions au passé simple. 2. Un univers hétéroclite Hugo fait entrer le lecteur dans un univers hétéroclite, fantaisiste. Il fait défiler, comme dans un film documentaire, les lieux symboliques, les objets marquants de la réalité historique du XVIIe siècle. Il ressuscite l'époque de Louis XIV : la division de la société en « nobles » et « roturiers » ; les lieux, de « Versailles » au « bagne » et à la « halle » ; le « Carrosse », les « perruques » et les « bas » ou les « haillons ». Les mots vivent une véritable vie d'hommes : ils sont « bien » ou « mal » nés, selon qu'ils appartiennent à la « populace », au monde des « vilains » ou à la noblesse, ils peuvent être marqués du « F » des forçats et envoyés aux « galères ». Les accumulations, les énumérations les décrivent avec leur caractère, tels les personnages d'une pièce costumée. 3. Mais un univers cohérent Cependant Hugo veille à la cohérence de cet univers. Aux lieux historiques, il mêle des références littéraires, en accord avec la véritable nature de ces personnages : les mots habitent dans un « lexique », ou un « dictionnaire » qui à son tour devient un sans-culotte avec son « bonnet rouge », ou au fond d'un « encrier » ; ils appartiennent à des groupes lexicaux : « patois », « argot », fréquentent différents « genre[s] » de la littérature : la « farce », la « prose » ou les « vers ». Les figures de style, les institutions elles aussi deviennent vivantes : l'Académie s'effarouche comme une vieille « douairière », les idées butinent les mots comme un « essaim » d'abeilles. Paradoxalement, les hommes deviennent des choses : Aristote, le philosophe grec dont les ouvrages ont servi de référence depuis l'Antiquité jusqu'à la période classique en matière littéraire, sert de « borne ». Mais cette borne ne fixe plus les limites du bon goût : elle est devenue un marchepied du haut duquel le héraut Hugo fait sa proclamation. Au milieu de tous ces mots, les auteurs classiques sont ressuscités, avec leurs traits de caractère : Corneille le généreux et Molière l'indulgent, Racine le hautain et Vaugelas le tyrannique, Voltaire qui fait le délicat, alors que ses contes philosophiques sont plutôt lestes. Ils deviennent eux-mêmes des personnages du drame. II. Hugo, metteur en scène révolutionnaire Hugo ne se contente pas d'être le metteur en scène de ce spectacle, il s'y donne un rôle de premier plan où il peut exprimer sa personnalité. 1. « Ego, Hugo » : parole et action Hugo anime le texte d'un bout à l'autre et justifie la fière devise qu'il s'était donnée, « Moi, Hugo », en multipliant les énoncés à la première personne, les apostrophes, les exclamations éclatantes : « je m'écriai », « déclarai »... Il apparaît comme un Danton révolutionnaire, dont il partage les « audaces » qui font écho au célèbre discours « De l'audace, encore de l'audace, toujours de l'audace ». C'est aussi un chef militaire, qui, de son souffle épique, fait trembler les « bataillons d'alexandrins », déchaîne des « tempête(s) ». Sa parole de poète est action : il crée des réalités qu'il nomme par la force des images. Il joint le geste à la parole et ses mouvements vifs en font une espèce de Robin des Bois, bondissant sur « la borne Aristote », s'évadant « hors du cercle » dont on le croyait prisonnier. Il semble être partout à la fois, se dédouble, commente ironiquement ses propres déclarations en citant les réactions horrifiées de ses accusateurs qui lui reprochent ses « discours affreux », accomplit des exploits héroïques. C'est enfin un « brigand », mais plein de générosité, de sympathie pour les opprimés, les marginaux, compagnon d'Hernani ou de Don César-Zafari, frère des « gueux » et des « drôles », des « bandits » au grand cœur que l'on croise dans ses drames. 2. Un brin d'humour et de lyrisme La force des convictions littéraires ou idéologiques n'interdit pas l'humour. Il y a chez Hugo un côté juvénile qui met les rieurs de son côté pour donner plus de force à la satire : ainsi, il caricature l'Académie sous les traits d'une vieille douairière ridicule - on la dirait sortie d'Hernani ou de Ruy Blas - qui abrite sous ses jupons toute une marmaille de « tropes » apeurés. La richesse et l'humour des rimes manifestent l'extraordinaire vitalité du poète : avec une créativité sans pareille, il fait se répondre « dictionnaire » et « révolutionnaire », « litote » et « Aristote », « Jocastes » et « castes », et fait des rapprochements cocasses et provocateurs, d'un simple « F » avec « chef » et, plus irrespectueusement, de « douairière » avec « derrière ». Mais, au détour d'un vers, Hugo montre aussi le lyrisme délicat dont il est capable : il évoque, par quelques mots tout simples, la naissance d'une idée, à la fois oiseau léger et Vénus sortie de l'onde, entre ciel et mer, « tout[e] humide d'azur ». III. Art poétique en action et engagement idéologique Derrière cette mise en scène spectaculaire, Hugo propose un vrai cours d'histoire littéraire - et même d'histoire tout court. 1. Une prise de position en littérature : blâme et éloge Dans ce manifeste qui répond à « un acte d'accusation », Hugo énonce clairement ses préférences littéraires, rejetant en bloc le classicisme et décernant éloge et blâme. Il se limite au théâtre et ne fait référence qu'aux dramaturges (Corneille, Molière, Racine). Mais, dans sa partialité, il ne distingue pas le génie de Racine de l'influence réductrice de théoriciens comme « Vaugelas ». En mettant au pluriel les héroïnes tragiques, Hugo les dévalorise, il les banalise et feint de croire que les « Phèdres », les « Méropes » et autres « Jocastes » se ressemblent toutes et sont interchangeables. Corneille a droit à sa sympathie et à son admiration. Quand il le déclare « trop grand », Hugo fait allusion à la personnalité de Corneille, qui ne fait aucune concession aux puissants, mais aussi à la morale héroïque et généreuse de ses héros, qui plaît à Hugo. Au-delà de la contestation du classicisme, Hugo s'inscrit dans uploads/Litterature/ lecture-analytique-victor-hugo-reponse-a-un-acte-d-x27-accusation.pdf

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