LECTURE JUXTALINAIRE DE PHEDRE DE PLATON Avertissement : Lecture du Phèdre de P
LECTURE JUXTALINAIRE DE PHEDRE DE PLATON Avertissement : Lecture du Phèdre de Platon[1] Le lecteur pourra s'étonner d'entendre Platon parler de l'amour comme d'une relation entre deux hommes, ou même plus précisément entre un homme d'âge mur et un adolescent. Il faut savoir en effet que la Grèce antique, loin de condamner ce type de sentiment, le valorise. Certes les relations hétérosexuelles existent, mais elles renvoient à l'espace domestique privé, car elles sont directement subordonnées à la procréation. L'homosexualité au contraire est une version épurée de l'amour totalement libérée des contraintes matérielles de la reproduction, elle exprime pleinement la spiritualité de l'homme [2]. Qui plus est, la relation entre un homme fait et un adolescent peut avoir une valeur pédagogique et citoyenne. Par les tendres soins de l'amant à l'aimé, l'aîné guide le plus jeune sur la voie de la vie, il l'introduit dans la cité, en fait un homme accompli et un citoyen. C'est dans la chaude amitié du maître et de son disciple que l'adolescent devient homme. Plan de l'exposé Introduction I.Première partie : De l'amour 1 - Le discours de Lysias Premier intermède 2 - Le premier discours de Socrate Deuxième intermède 3 - Le deuxième discours de Socrate : la palinodie. a - Éloge de la folie b - La nature de l'âme - immortalité de l'âme - l'âme comme attelage ailé - les différentes sortes d'âmes Extension de l'analyse : les lignes de force de la philosophie platonicienne : 1) la partition du monde en monde sensible et monde intelligible 2) les Idées comme formes intelligibles 3) la connaissance comme réminiscence 4) un modèle de vie juste c - Retour sur l'amour : L'amour donne des ailes - L'amour est l'amour de la beauté - L'ambivalence de l'amour - La sublimation de l'amour - La dialectique de l'amour II. Deuxième partie : L'art de bien parler 1 - Faut- il savoir de quoi on parle pour bien parler ? 2 - Sans la connaissance, l'art oratoire n'est pas un art Exemple du discours de Lysias. Exemple des deux discours de Socrate. 3 - Dialectique et rhétorique. 4 - La parole et l'écriture. 5 - Fin de l'entretien Conclusion Introduction : de quoi parle-t-on ? Dans la campagne athénienne, sous la chaleur de midi, accompagnés par le chant des cigales, deux hommes cheminent : Socrate et le jeune Phèdre. Pieds nus, ils marchent dans le cours de l'Ilissos pour se rafraîchir tout en devisant plaisamment. Bientôt l'ombre d'un platane, le murmure d'une source fraîche consacrée aux Muses, le parfum d'un gattilier en fleurs leur paraissent propice au repos, et ils s'y étendent : « Vois s'il te plaît comme le bon air qu'on a ici est agréable, et vraiment plaisant. C'est le chant mélodieux de l'été, qui répond au chœur des cigales. Mais la chose la plus exquise de toutes c'est l'herbe : la douceur naturelle de la pente, permet en s'y étendant, d'avoir la tête parfaitement à l'aise » (230c). Mais loin de céder à la tentation de la sieste, ils en profitent pour continuer et approfondir leur discussion. Socrate plante le décor du discours avec tant de précision que les historiens ont tenté de localiser la scène[2][3]. Cette mise en situation du discours est constante chez Platon : les Dialogues ne se lisent comme aucun autre traité de philosophie. La philosophie platonicienne est une philosophie incarnée. On est davantage dans le domaine de la parole que dans celui de l'écriture. Et la parole c'est toujours la parole de quelqu'un, de quelqu'un qui parle avec ses désirs et ses craintes, avec sa faiblesse ou son arrogance. Ce sont les parents du Lachès inquiets pour l'éducation de leurs enfants, ce sont les joyeux fêtards du Banquet qui décident après une nuit d'ivresse de rester sobres et de parler sérieusement de l'amour, ce sont plus tragiquement dans le Criton les amis de Socrate qui l'accompagnent vers la mort. Et tant d'autres… Revenons donc à Socrate et Phèdre sous leur platane. De quoi parlent-ils donc ? Le sous-titre du dialogue en informe le lecteur : « Phèdre ou de la beauté ». Mais, à la lecture, les choses ne paraissent pas si simples. Ce qui apparaît au premier abord, c'est le manque d'unité du texte. Si en effet une première partie est consacrée à la beauté, ou plutôt à l'amour qui est amour du beau, la deuxième partie disserte sur l'art oratoire, et l'écriture. On ne voit pas bien ce qui articule ces deux parties ; à tel point que certains ont cru y voir soit la marque d'un manque de maitrise d'un écrivain encore jeune, soit au contraire celle d'une forme de sénilité[3][4]. Aimable divagation de la conversation qui de proche en proche, de dérive en dérive, conduit les interlocuteurs bien loin de leur point de départ ? Ce serait sans compter avec la forte charpente du texte qui n'est manifestement pas structuré au hasard. Tout commence par la lecture par Phèdre d'un discours de Lysias qui soutient qu'il vaut mieux choisir pour amant celui qui ne vous aime pas que celui qui vous aime. (230e–234c) À quoi Socrate oppose deux discours : Le premier porte sur la forme : s'il voulait démontrer qu'il faut préférer celui qui ne vous aime pas à celui qui vous aime, Lysias aurait dû s'y prendre autrement, et Socrate, reprenant les positions de Lysias produit un autre discours. (237a–241d) Le second porte sur le fond : prenant le contrepied de ce qui a été précédemment démontré, il développe sa propre vision de l'amour. (244a-257b) Suit un long développement sur l'art du discours et la manière de bien parler (259a-274b), terminé par une comparaison entre la parole et l'écriture. (274b – 279c) À la première lecture on peut donc penser que la question de l'amour et celle de la parole sont simplement juxtaposées, et selon que l'on privilégie l'un ou l'autre terme on pourra dire : — Soit que le thème de l'amour est le thème premier du dialogue, celui de la parole n'étant que l'auxiliaire permettant de bien en parler. — Soit que le thème est celui de la parole, le discours sur l'amour n'étant qu'un exemple permettant de définir le droit usage de la parole. La lecture du dialogue nous montrera que le lien entre l'amour et le discours est bien plus qu'une simple juxtaposition. Nous aurons à découvrir en quoi ce lien est un lien organique qui unit les deux faces d'une seule et même démarche, celle qui conduit l'âme vers la contemplation des Idées : la dialectique. I - De l'amour Quand Phèdre rencontre Socrate sous les murailles d'Athènes, il sort de chez Lysias où il a entendu celui-ci prononcer un discours paradoxal sur l'amour : Lysias soutient en effet que pour un jeune homme il vaut mieux choisir pour amant quelqu'un qui ne l'aime pas que quelqu'un qui l'aime. Après s'être longtemps fait prier avec beaucoup de coquetterie pour parler de ce discours, Phèdre reconnait qu'il cache le texte sous son manteau, et accepte d'en faire la lecture à Socrate. Le discours de Lysias 231a-234c Lysias annonce très clairement sa thèse dès le début de son discours : « J'estime que ce n'est pas une raison, parce que je ne suis pas amoureux de toi, pour que justement je ne doive pas avoir de succès dans ce que je t'ai demandé ». (230a) Notons au passage que Lysias personnalise sa position, c'est de son rapport à Phèdre qu'il est question. Ou plus précisément de son désir de voir Phèdre céder à ses avances et le prendre pour amant. L'argumentation de Lysias se situe clairement dans le cadre d'un projet de séduction. Ce qui peut peut-être engendrer quelques doutes sur son objectivité… Socrate insinuera d'ailleurs que le sujet du discours n'intéresse pas Lysias. « Sans doute son intérêt est-il ailleurs » ! (234a) Il est encore plus direct lorsque, dans l'histoire qu'il raconte dans son premier discours, il parle d'un amoureux « plus malin que les autres qui lui avait donné à croire qu'il ne l'aimait pas » (237b). L'allusion à Phèdre et Lysias est claire. Suit une série d'arguments pour étayer cette position : — Tout d'abord le fait que les bienfaits accordés par celui qui n'est pas amoureux n'ont aucune raison de disparaître avec le temps puisqu'ils sont accordés en toute raison et clarté, et non sous l'effet du désir qui, lui, risque toujours de s'éteindre. « Ce n'est pas poussés par la nécessité, mais de leur plein gré, après avoir délibéré le mieux possible sur leurs affaires personnelles, qu'ils sont bienfaisants » (231a). — Celui qui aime est capable, pour plaire à son aimé, de faire n'importe quoi et de se rendre odieux aux autres. Mais quand il n'aimera plus, ou qu'il en aimera un autre, c'est vis-à- vis du premier qu'il deviendra odieux pour plaire au suivant. — En réalité celui qui aime a perdu toute mesure et toute raison, il est malade : « Ils en conviennent eux-mêmes ; ils sont malades d'esprit uploads/Litterature/ lecture-juxtalineaire-phedre.pdf
Documents similaires










-
26
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Nov 11, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
- Taille du fichier 0.2956MB