Les Représentations de la transgression dans l’œuvre de Marguerite Duras sur l’

Les Représentations de la transgression dans l’œuvre de Marguerite Duras sur l’exemple des romans Un Barrage contre le Pacifique, Moderato cantabile et L’Amant UNIWERSYTET OPOLSKI STUDIA I MONOGRAFIE Nr 489 Anna Ledwina Les Représentations de la transgression dans l’œuvre de Marguerite Duras sur l’exemple des romans Un Barrage contre le Pacifique, Moderato cantabile et L’Amant OPOLE 2013 RECENZENCI Czes³aw Grzesiak, Micha³ Piotr Mrozowicki REDAKTOR TECHNICZNY Halina Szczegot SK£AD I £AMANIE Jolanta Brodziak KOREKTOR Fabrice Marsac PROJEKT OK£ADKI Jolanta Brodziak Na ok³adce wykorzystano fotografiê wykonan¹ przez Andrzeja S. Œluzka © Copyright by Uniwersytet Opolski Opole 2013 ISSN 1233-6408 ISBN 978-83-7395-557-8 Wydawnictwo Uniwersytetu Opolskiego, 45-037 Opole, ul. H. Sienkiewicza 33. Sk³adanie zamówieñ: tel. 77 441 27 14, 77 441 08 78; e-mail: wydawnictwo@uni.opole.pl Druk: ALNUS Sp. z o.o., 30-698 Kraków, ul. Wróblowicka 63, e-mail: biuro@alnus.pl « La femme [...] est beaucoup plus proche de toutes les transgressions ». Marguerite Duras, Xavière Gauthier, Les Parleuses Introduction Le XXe siècle, par le biais des changements perceptibles dus au mouvement féministe et aux bouleversements de l’ordre moral et sociologique, a facilité les transformations du statut d’artiste ainsi que la participation des femmes à la création. Il a également posé des questions que l’humanité n’avait jamais explorées avec autant de gravité, de risques et de promesses : qu’est-ce que la vie ? Que peuvent les mots ? À la réflexion sur la vie après la crise des valeurs et des idéologies, Marguerite Duras ajoute une autre expérience. Contre les frustrations de sa vie intime, contre les épreuves que lui imposent la réalité sociale et la guerre, l’écrivaine célèbre le plaisir des sens et du mot juste, et témoigne, d’après Julia Kristeva, que « le génie [féminin] est, tout simplement, sa créativité »1. Marguerite Duras s’inscrit dans la lignée des écrivains qui auront le plus marqué leur époque. En réalité, en un demi-siècle de création protéiforme, elle a réussi non seulement à imposer son nom dans la littérature du XXe siècle mais aussi à susciter des controverses dans l’opinion publique. La romancière laisse des traces partout, reste présente à la télévision, à la radio, dans les journaux, ainsi qu’en témoignent ses chroniques à France-Observateur ou encore ses articles dans Libération2 ; sur la scène politique, aux côtés de François Mitter- rand, avec lequel elle eut une série d’entretiens3 ; sur la scène sociale, en s’engageant activement dans les événements de mai 1968 et en soutenant la révolte des étudiants ; au cinéma4, comme actrice et réalisatrice de ses propres films. 11 1 J. Kristeva, Génie féminin, t. III : Colette, Fayard, Paris, 2002, p. 566. 2 M. Duras, « Sublime, forcément sublime Christine V. », [in] Libération, 17 juillet 1985. L’ensemble de ses chroniques est publié dans un volume séparé sous le titre L’Été 80. 3 Cf. L’Autre journal, 26 février – 4 mars 1986 ; A. Saemmer, « Je n’aime pas les dociles aveugles femmes », [in] Marguerite Duras. Marges et transgressions, Actes du Colloque des 31 mars, 1er et 2 avril 2005. Textes réunis et présentés par A. Cousseau et D. Denès, Presses Universitaires de Nancy, Nancy, 2006, pp. 149-158. 4 Le Camion, film réalisé en 1977, distribution D. D. Prod. Didier Coureau, « Marguerite Duras – Jean-Luc Godard : rencontres réelles et virtuelles », [in] Les Lectures de Marguerite Duras. Textes rassemblés par A. Saemmer et S. Patrice, Presses Universitaires de Lyon, Lyon, 2005, pp. 195-204. Figure remarquable de la littérature5, Duras est parvenue à se faire un nom. L’obtention du prix Goncourt, décerné en 1984 pour son ouvrage L’Amant, n’est évidemment pas le seul événement à avoir contribué à la faire considérer comme une écrivaine originale qui a osé transgresser les normes. Le film Hiroshima mon amour, réalisé avec Alain Resnais en 1960, en est une autre il- lustration. La renommée durassienne semble confirmée, également, par d’autres titres non moins célèbres, tels que Moderato cantabile (1958) ou encore Écrire (1993) (pour la littérature), et Détruire, dit-elle (1969), Nathalie Granger, India Song (1975) et Le Camion (1977) (pour le cinéma). Citons ici l’écrivaine française et militante féministe, Florence Montreunaud, dont l’avis sur l’auteure de L’Amant semble révélateur : Découverte par des cercles de plus en plus larges de lecteurs, par des psychanalystes après la fascination que Jacques Lacan éprouve pour Le Ravissement de Lol V. Stein, par des féministes discernant dans son œuvre l’emblème d’une « écriture du corps des femmes », Marguerite Duras atteint enfin un très vaste public [...] avec L’Amant [...]. Mais son influence s’exerce au-delà de ses lecteurs. On ne peut y échapper, même si on n’a lu ni ses livres ni ses fréquents articles qui témoignent de son intérêt pour les faits divers ou de son engagement politique à gauche. En effet, la langue française elle-même porte l’empreinte de tics durassiens. « Détruire, dit-elle » ou « Sublime, forcément sublime » [...] ne cessent d’être pastichés. N’est-ce pas le signe auquel on reconnaît les institutions6 ? La romancière est considérée comme une personnalité aux multiples visages : intellectuelle de gauche, polémiste ou provocatrice. Chez elle, cependant, toute pensée dominante est exclue. L’écriture de Duras, « en quête d’une indistinction absolue »7, reste indépendante et singulière. Une place essentielle y est tenue par l’histoire personnelle, la sensualité, le corps, ce qui rappelle certaines pré- occupations d’auteurs contemporains, mais ses textes n’appartiennent à aucune école littéraire. L’œuvre de la romancière-cinéaste est insaisissable et passion- nante. Son nom est connu grâce, entre autres, aux biographies d’Alain Vircondelet8 et de Laure Adler9. Il va de soi, toutefois, que l’expression « œuvre » sera entendue au sens large du terme. C’est ainsi que nous inclurons dans notre recherche diverses productions de Duras, qu’elles soient de nature romanesque, théâtrale, radiophonique ou journalistique. 12 5 Cf. L. Papin, L’Autre scène : le théâtre de Marguerite Duras, Anma Libri, Saragota, 1988 ; M. Engelberts, Défis du récit scénique – Formes et enjeux du monde narratif dans le théâtre de Beckett et de Duras, Librairie Droz, Genève, 2001. 6 F. Montreunaud, Le XXe siècle des femmes, Nathan, Paris, 1999, p. 385. 7 M. Pinthon, « Une poétique de l’osmose », [in] Marguerite Duras. Rencontres de Cerisy, sous la dir. d’A. Vircondelet, Écriture, Paris, 1994, p. 114. 8 A. Vircondelet, Marguerite Duras ou le temps de détruire, Seghers, Paris, 1972 ; idem, Marguerite Duras et l’émergence du chant, Éditions La Renaissance du Livre, Tournai (Belgique), 2000 ; idem, Marguerite Duras – Vérité et légendes, Éditions du Chêne, Paris, 1996. 9 L. Adler, Marguerite Duras, Gallimard, Paris, 1998. Les productions durassiennes éveillent constamment l’intérêt. En témoignent les colloques10 et les nombreux travaux universitaires consacrés à « l’in- comparable pythie du XXe siècle fai[san]t [en 2011] son entrée dans “La Biblio- thèque de La Pléiade” qui publie les deux premiers tomes de ses Œuvres complètes et en annonce deux autres »11. La création de l’auteure de L’Amant soulève maintes interrogations qui sont toujours d’actualité dans notre société postmoderne du XXIe siècle : comment vivre l’amour ? De quelle façon chercher son indépendance, témoigner de son autonomie ? Quel est le pouvoir du langage à l’époque actuelle ? Telles sont les questions qui jalonneront notre réflexion. C’est cet aspect d’une écriture porteuse de thèmes universels, de tabous, de fantasmes auxquels plusieurs auteurs, philosophes et critiques se sont confrontés, qui nous a séduite et nous a conduite à nous occuper de la pratique scripturale de Marguerite Duras. Cette fascination, qu’éprouvent la plupart des personnages durassiens, gagne aussi, semble-t-il, le lecteur lisant les ouvrages de la romancière qui s’affranchit de toute détermination idéo- logique pour atteindre à l’universalité. C’est là ce qui nous a enchantée : une atmosphère souvent hallucinante, la violence des passions, ainsi que les représentations des « territoires féminins », pour reprendre le titre de l’étude critique de l’essayiste féministe Marcelle Marini12, laquelle nous a inspirée dans la rédaction de ce travail. En ce qui concerne la richesse des motifs qui peuvent être analysés, nous nous limiterons à celui de la transgression, en considérant que Duras « à plusieurs reprises a manifesté, tant par le contenu que par la forme de son œuvre, un goût [pour] la transgression des limites. [Et son] univers fictif peuplé de personnages qui dépassent les frontières [...] en est un exemple éloquent »13. Le terme transgression sera utilisé dans son sens courant, tel qu’il est donné dans Le Nouveau Petit Robert : « transgresser : passer par-dessus un ordre, une obligation, une loi, des règles ». Par extension, une transgression désigne le fait de « ne pas se conformer à une attitude courante, naturelle » ; « dépasser ses limites »14. Afin de faire découvrir la perception de la notion de transgression 13 10 Les informations détaillées à ce propos se trouvent dans la bibliographie. Voir infra, pp. 238-239. 11 « Marguerite Duras », dossier coordonné par L. Nunez, [in] Le Magazine Littéraire, n°513, novembre 2011, p. 49. 12 M. Marini, Territoires du féminin avec Marguerite Duras, Minuit, Paris, 1977 ; M. Pinthon, G. Kichenin, J. Cléder, Marguerite Duras : Le Ravissement de Lol V. Stein, uploads/Litterature/ ledwinaa-lesrepresentations.pdf

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