Thélème. Revista Complutense de Estudios Franceses ISSN: 1139-9368 2011, vol. 2

Thélème. Revista Complutense de Estudios Franceses ISSN: 1139-9368 2011, vol. 26 273-283 doi: 10.5209/rev_THEL.2011.v26.17 Les échos du silence dans Retour à Haïfa de Ghassan Kanafani Mohamed RADI Université Al-Hussein Bin Talal Département des langues et de linguistique mhdradi@yahoo.fr Recibido: 28 de septiembre de 2010 Aceptado: 15 de diciembre de 2010 RÉSUMÉ Le silence en littérature représente un sujet paradoxal qui donne lieu à de nombreux commentaires divergents. La présence du silence dans le roman de Kanafani est peut être considérée comme une tentative de dire le non-dit et d'écrire la Nakba. Cette problématique du langage et de l'écriture pose la pierre fondatrice de notre recherche : tandis que la catastrophe ne peut être dite, Kanafani prouvera qu'elle peut se montrer. L'auteur réussit à "montrer" la catastrophe puisqu'il crée son propre langage paradoxalement au travers d’une poétique du silence. Mots clés: littérature palestinienne, Silence, Parole, Mémoire, Discontinuité. Los ecos del silencio en Retour à Haifa de Ghassan Kanafani RESUMEN El silencio en literatura representa un ejemplo paradójico que da lugar a muchos comentarios divergentes. La presencia del silencio en la novela de Kanafani puede ser considerada como una tentativa de decir lo no-dicho y de escribir la Nabka. Esa problemática del lenguaje y de la escritura sienta las bases de nuestra investigación: aunque la catástrofe no puede decirse, Kanafani probará que sí puede mostrarse. El autor logra “mostrar” la catástrofe puesto que crea su propio lenguaje a través, paradójicamente, de una poética del silencio. Palabras clave: literatura palestina, silencio, palabra, memoria, discontinuidad. Echoes of silence in Ghassan Kanafani's Return to Haïfa ABSTRACT Silence in literature can be a paradoxical issue that might raise debate. The presence of silence in Kanafani's novel can be considered as an attempt to voice the unsaid, and to write about Nakba (catastrophe). Problematic issues of language and writing are the cornerstone of our research. While the catastrophe cannot be said, Kanafani proves that we can see it. The author successfully depicts the catastrophe with an amazing language of his own through the romance of silence. Key words: Palestinian literature, silence, speech, memory, discontinuity. Mohamed Radi Les échos du silence dans Retour á Haïfa… Thélème. Revista Complutense de Estudios Franceses 2011, vol 26 273-283 274 " Parler du silence, je crains que ça fasse du bruit ! " François-René, Vicomte de CHATEAUBRIAND Introduction. Ghassan Kanafani est un célèbre artiste palestinien, journaliste, auteur de romans et de nouvelles, dont l'œuvre est profondément enracinée dans la culture arabe palestinienne. Né à Acre (au nord de la Palestine) le 9 juillet 1936, il a vécu à Jaffa jusqu'en mai 1948, quand il a été obligé de partir avec sa famille d'abord au Liban puis plus tard en Syrie. Il a vécu et travaillé à Damas, puis au Koweït et, à partir de 1960, à Beyrouth. Ghassan Kanafani a publié dix-huit livres et écrit des centaines d’articles sur la culture, la politique et la lutte du peuple palestinien. Après sa mort, une grande partie de son œuvre littéraire a été traduite en dix-sept langues et publiée dans plus de vingt pays différents. Ses romans, ses nouvelles, ses pièces de théâtre, ses essais ont été rassemblés et publiés en quatre volumes. Venons-en à présent au sujet. Ce thème "le silence" représente un sujet paradoxal qui donne lieu à de nombreux commentaires divergents. Sur ce procédé, plusieurs théoriciens et écrivains semblent avoir leur mot à dire. Les uns prétendent que le silence parvient à tout communiquer, les autres rétorquent que son message manque assurément de limpidité. Nous envisageons d’étudier ce thème à travers le roman Retour à Haïfa1 de Ghassan Kanafani. Le choix de ce thème découle d'une constatation personnelle. Nous avons remarqué lors de la lecture de cette œuvre, que le silence a une place cruciale. Mais malgré celle-ci, ce champs d'études reste relativement mal exploré ou fait l'objet de critiques insuffisantes. La présence du silence dans ce roman est peut être considérée comme une tentative de dire le non-dit et d'écrire la Nakba2. Cette problématique du langage et de l'écriture pose la pierre fondatrice de notre recherche : tandis que la catastrophe ne peut être dite, Kanafani prouvera qu'elle peut se montrer. L'auteur réussit à "montrer" la catastrophe puisqu'il crée son propre langage paradoxalement au travers d’une poétique du silence. L’un des aspects les plus marquants du texte de Kanafani est l’existence de véritable face à face entre le silence et la parole ; ces derniers n’alternent plus, mais se présentent conjointement, sans se nier l’un l’autre. Il existe une unité organique entre les deux et l’on pourra dire que le silence y rythme le mouvement de la parole. Le silence y fonctionne comme une technique de l’écriture afin de canaliser la parole et de dérégler le dialogue des personnages. Dans ce texte, le silence se manifeste, comme nous allons le voir, à travers certains ___________ 1 Toutes les citations renvoient à l'édition de Retour à Haïfa et autres nouvelles, Paris : Actes Sud, 1997. 2 Le 14 mai 1948 est le jour de la création de l’État israélien, mais cette date est commémorée par les Palestiniens comme la Nakba, la catastrophe. Évoquer la Nakba, c’est donc se rappeler qu’en 1948, plus de 700.000 Palestiniens ont été expulsés de leurs villages et de leurs villes d'origine. Mohamed Radi Les échos du silence dans Retour á Haïfa… Thélème. Revista Complutense de Estudios Franceses 2011, vol. 26 273-283 275 procédés de l’écriture tels que la discontinuité, les intervalles, le chevauchement des répliques, les empêchements du dialogue etc. Nous essayons de répondre aux questions suivantes : Est-ce que le silence peut transmettre efficacement le message de la Nakba? Si oui, de quelle façon ? Et sinon, que parvient-il à créer ? Dans la première partie de ma contribution, l'objectif sera de discerner l'effet du silence dans le roman. Nous comptons, en premier lieu, faire état de la question théorique, pour ensuite déterminer quels éléments devraient faire l'objet d'une attention particulière. Un vide palpable, une question non élucidée, la présence de points de suspension seront mes principaux repères pour dénicher le silence. Définitions. Avant de commencer cette étude, il reste à définir avec plus de précision ce que nous entendons par silence. Le Robert (1990), le définit comme le fait de ne pas parler, de ne pas exprimer son opinion, de ne pas répondre, de ne pas divulguer ce qui est secret: attitude d'une personne qui ne veut ou ne peut s'exprimer [...] absence ou rupture de bruit [...] interruption du son. L'un de ses traits est de se dérober à toute définition positive, d'être moins quelque chose que son absence. Pris entre ce qui le précède et ce qui lui succède, il parait ne pouvoir être saisi qu'au carrefour de ses causes et de ses effets, de sorte que nous pouvons nous interroger sur la continuité qu'il rompt, sur la nature de la pause qu'il marque au sein d'une plénitude. Or, selon Roland Barthes, le silence est justement le mouvement d'une rupture et celui d'un avènement (Barthes, 1953 : 64). Dans cette optique, nous ne l'envisageons pas négativement mais plutôt comme une imminence, un potentiel, une promesse de sens. Nous le concevons comme un état dynamique et fécond qui offre une ouverture à tous les possibles, une puissance inébranlable, une virtualité énigmatique et inépuisable. (Crouzet, 1981 : 179). Ainsi, dire que le silence est uniquement l'absence de toute manifestation sonore, s'avère totalement privé de signification pour nous. Le silence n'est pas directement observable et pourtant il ne correspond pas au vide du point de vue de la perception, il est palpable, il est lisible: on le sent, on l'entend, il est pourvu de dimensions auditives, visuelles et psychologiques. Il n'est pas la simple absence de bruit ou de mots, mais le tissu interstitiel qui met en relief les signes égrenés au long de la route du temps. (Busset, 1984 : 13). Ayant une énergie et une éloquence propre, il est une présence, une plénitude, la parole en puissance, l'intervalle gros de possibles qui sépare deux paroles proférées, l'attente, le plus riche et le plus fragile de tous les états, il est prometteur, il annonce l'instant suivant, l'espoir, l'espace où l'esprit se ramasse avant de s'élancer. (Busset, 1984 : 14). D'une puissance d'évocation remarquable, il est comme le : sommeil du discours qui se repose mais que l'on sent chargé d'une énergie au repos. C'est comme si la parole, se taisant, se mettait en état d'attente. Source d'énergie nouvelle. I’ immobilité suggère alors le potentiel dicible puisqu'on sait le silence capable de tout, de générer la parole la plus inattendue, celle qu'on craint comme celle qu'on désire: le silence peut tout dire. (Heuvel, 1985: 78). Mohamed Radi Les échos du silence dans Retour á Haïfa… Thélème. Revista Complutense de Estudios Franceses 2011, vol 26 273-283 276 Développement. Le début du roman s'ouvre sur la scène de retour; Safia et Saïd décident de retourner à Haïfa. En effet, cette histoire remonte à plus de vingt ans lors de l'occupation de la ville de Haïfa; le couple uploads/Litterature/ les-echos-du-silence-dans-retour-a-haifa-de-ghassan-kanafani.pdf

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