1 Les fins de l’art A. Le beau (le but de l’art c’est de produire de la beauté)

1 Les fins de l’art A. Le beau (le but de l’art c’est de produire de la beauté) 1. La seule règle est de plaire (Molière) Le plus simple est encore de considérer que l’œuvre d’art vise la beauté, le plaisir. C’est d’ailleurs le point de vue défendu par la plupart des artistes. L’école classique française, notamment, défendait ce principe. Voyez Molière : DORANTE : Vous êtes de plaisantes gens avec vos règles, dont vous embarrassez les ignorants et nous étourdissez tous les jours. (…) Je voudrais bien savoir si la grande règle de toutes les règles n’est pas de plaire, et si une pièce de théâtre qui a attrapé son but n’a pas suivi un bon chemin. Veut-on que tout un public s’abuse sur ces sortes de choses, et que chacun ne soit pas juge du plaisir qu’il y prend ? Molière, La Critique de l’école des femmes, Scène VI Le « principe de plaisir » a été défendu par de très nombreux artistes, sinon tous : Flaubert, Delacroix, Baudelaire, Wagner, Stendhal… Les tenants de l’art pour l’art (Théophile Gautier, Flaubert, Baudelaire, Mallarmé, etc.) sont les partisans par excellence de la recherche de la beauté pour elle-même et refusent toute inféodation de l’art à un principe étranger. On retrouve ce principe sous la plume de Stendhal qui voit caractérise la beauté comme « une promesse de bonheur ». Il est difficile, en revanche, de trouver une telle conception chez un philosophe – peut-être parce qu’elle est trop évidente pour être digne de mention ou parce que le « plaisir » ou la « beauté » restent un principe trop indéterminé ou relatif. Certes, les artistes recherchent la beauté… Mais la question est précisément de savoir ce qu’est la beauté ! 3. Quelques perspectives sur la beauté Beauté et utilité (Gautier) On peut défendre l’idée que tout ce qui est utile ou efficace est beau : car la nature, qui suit le principe d’utilité maximale (le moins d’efforts pour le plus de résultats possibles), produit des formes magnifiques. De même, les objets techniques acquièrent une certaine beauté même si l’efficacité seule est recherchée : voyez une charpente en bois ou le profil aérodynamique d’une voiture. Mais ce point de vue est loin de faire l’unanimité. Théophile Gautier, le premier partisan de l’art pour l’art, avait des idées bien arrêtées sur le rapport entre beauté et utilité : Il n’y a rien de vraiment beau que ce qui ne peut servir à rien ; tout ce qui est utile est laid, car c’est l’expression de quelque besoin, et ceux de l’homme sont ignobles et dégoûtants comme sa pauvre et infirme nature. L’endroit le plus utile d’une maison, ce sont les latrines. Moi, n’en déplaise à ces messieurs, je suis de ceux pour qui le superflu est nécessaire ; et j’aime mieux les choses et les gens en raison inverse des services qu’ils me rendent. Je préfère, à mon pot de chambre qui me sert, un pot chinois, semé de dragons et de mandarins, qui ne me sert pas du tout. Théophile Gautier, Mademoiselle Maupin, 1835 2 Beauté et mysticisme (Platon, Baudelaire, Mallarmé…) Le beau peut aussi être envisagé du point de vue des transcendantaux. En tant qu’idéal, le Beau se rapproche du divin lui-même, de l’Absolu. On se souvient comment Platon, dans le Banquet, faisait de l’ascension « érotique » vers la beauté une élévation mystique vers l’absolu : Diotime : Voilà donc quelle est la droite voie qu’il faut suivre dans le domaine des choses de l’amour ou sur laquelle il faut se laisser conduire par un autre : c’est, en prenant son point de départ dans les beautés d’ici-bas pour aller vers cette beauté-là, de s’élever toujours, comme au moyen d’échelons, en passant d’un seul beau corps à deux, de deux beaux corps à tous les beaux corps, et des beaux corps aux belles occupations, et des occupations vers les belles connaissances qui sont certaines, puis des belles connaissances qui sont certaines vers cette connaissance qui constitue le terme, celle qui n’est autre que la science du beau lui-même, dans le but de connaître finalement la beauté en soi. Platon, Le Banquet, trad. Luc Brisson, 211b-211c Plotin reprendra cette analyse du Beau en un sens éminemment mystique. L’idée est que l’art est la rencontre d’une forme et d’une matière, et que la forme vient d’en haut, de Dieu, être parfait, aussi bien en termes de vérité et de bonté que de beauté. Prenons, si l’on veut, deux masses de pierre placées l’une à côté de l’autre ; l’une est brute et n’a pas été travaillée ; l’autre a subi l’empreinte de l’artiste, et s’est changée en une statue de dieu ou d’homme, d’un dieu comme une Grâce ou une Muse, d’un homme qui est non pas le premier venu mais celui que l’art a créé en combinant tout ce qu’il a trouvé de beau ; il est clair que la pierre, en qui l’art a fait entrer la beauté d’une forme, est belle non parce qu’elle est pierre (car l’autre serait également belle), mais grâce à la forme que l’art y a introduite. Cette forme, la matière ne l’avait point, mais elle était dans la pensée de l’artiste, avant d’arriver dans la pierre ; et elle était dans l’artiste non parce qu’il a des yeux ou des mains, mais parce qu’il participe à l’art. Donc cette beauté était dans l’art, et de beaucoup supérieure ; car la beauté qui est passée dans la pierre n’est pas celle qui est dans l’art ; celle- ci reste immobile, et d’elle en vient une autre, inférieure à elle ; et cette beauté inférieure n’est pas même restée intacte et telle qu’elle aspirait à être, sinon dans la mesure où la pierre a cédé à l’art. (…) Méprise-t-on les arts parce qu’ils ne créent que des images de la nature, disons d’abord que les choses naturelles, elles aussi, sont des images de choses différentes ; et sachons bien ensuite que les arts n’imitent pas directement les objets visibles, mais remontent aux raisons d’où est issu l’objet naturel ; ajoutons qu’ils font bien des choses d’eux-mêmes : ils suppléent aux défauts des choses, parce qu’ils possèdent la beauté : Phidias fit son Zeus, sans égard à aucun modèle sensible ; il l’imagina tel qu’il serait, s’il consentait à paraître à nos regards. Plotin, Ennéades (IIIe s.), V, 8 L’art a toujours entretenu un lien étroit avec la religion en raison de sa capacité à susciter les sentiments religieux, ce qui révèle une affinité entre les sentiments esthétiques et les sentiments éthiques. (Ceci peut s’observer dans le frisson particulier que suscite en nous la musique classique religieuse, par exemple le Requiem de Mozart.) Chez les artistes du XIXe siècle comme Baudelaire et Mallarmé, on retrouve une idéalisation similaire du beau. Ainsi la quête esthétique de la perfection devient une véritable recherche mystique de l’absolu. 3 B. Le vrai L’interprétation de l’art comme un moyen d’accès à la vérité est d’abord liée à l’idée que l’art serait fondamentalement mimétique, c’est-à-dire qu’il viserait à imiter la nature. Telle était la conception dominante de l’art pour les Grecs, et une telle interprétation ne manque pas de vraisemblance. Mais il reste à savoir ce qu’il faut entendre par « imitation de la nature ». Cela peut signifier que l’art cherche à reproduire les apparences des choses naturelles, ou alors qu’il essaie de reproduire, plus profondément, le travail créatif de la nature. Si nous prenons d’abord l’expression au premier sens, la possibilité d’atteindre la vérité par ce moyen peut sembler compromise : l’apparence ne s’oppose-t-elle pas à la réalité ? 1. L’art nous éloigne de la vérité car les apparences sont trompeuses (Platon, Nietzsche) C’est à partir de cette interprétation de l’art comme un art des apparences que Platon critique l’art. Pour Platon, la vraie réalité n’est pas constituée par les apparences ni même par les objets que nous voyons tous les jours. En effet, le chat que je vois n’est pas véritablement réel, puisqu’il mourra et disparaîtra un jour, alors que ce qui est véritablement réel doit être éternel. La vraie réalité n’est donc pas le chat, mais l’idée du chat, qui demeure une et identique au cours du temps, et dont les chats particuliers « participent » seulement, c’est-à- dire qu’ils « ressemblent » à cette idée, ils s’y rattachent. Pour Platon, la vraie réalité n’est donc pas le monde matériel des objets sensibles, mais un monde idéal et abstrait peuplé d’Idées. Par conséquent, l’œuvre d’art, qui imite les objets du monde, est éloignée de la vérité de trois degrés : par exemple la peinture d’un lit est la copie du lit fabriqué par le menuisier, qui est lui-même une copie du lit idéal. Platon critique donc l’art comme l’illusion suprême, qui « ajoute une couche » d’illusion à cette première illusion qu’est le monde, qui nous présente l’apparence des apparences. On retrouve d’ailleurs la même idée chez Nietzsche, pour qui l’art est un mensonge qui nous aide uploads/Litterature/ les-fins-de-l-x27-art.pdf

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