LA 53 (2003) 157-184 LES PSEUDO-CLÉMENTINES (HOMÉLIES ET RECONNAISSANCES). ETAT
LA 53 (2003) 157-184 LES PSEUDO-CLÉMENTINES (HOMÉLIES ET RECONNAISSANCES). ETAT DE LA QUESTION F. Manns Des querelles ont opposé un groupe de chrétiens partisans de la doctrine de Paul à dʼautres groupes judéo-chrétiens, à la tête desquels se trouvaient les apôtres Pierre et Jean, ainsi que Jacques, le frère de Jésus. Plusieurs livres du Nouveau Testament ainsi que des livres apocryphes ont conservé lʼécho de ces confits. Les judéo-chrétiens furent finalement les perdants; leur in- fluence décrut et leurs ouvrages, jugés apocryphes par la grande Eglise1, furent occultés ou supprimés. Le judéo-christianisme représente, jusquʼen 135, un ensemble de groupes majoritaires dans lʼEglise et Paul reste un isolé2. Le chef de la communauté de Jérusalem est alors Jacques, parent de Jésus3. Avec lui il y a Pierre et Jean. 1. Lʼexpression est dʼOrigène, Ct Celse 5,59. 2. A propos de la définition du judéo-christianisme les discussions continuent. Aucune définition nʼest parfaite. Nous entendons par judéo-chrétiens des croyants dʼorigine juive au Christ comme Messie dʼIsraël qui continuaient à observer la Torah et maintenaient leur identité juive. Les nazaréens qui acceptaient les lettres de Paul parmi leurs Ecritures semblent avoir été les héritiers de la communauté de Jérusalem, alors que les Ebionites qui nʼadmettaient pas les écrits de Paul comme canoniques étaient indépendants (Irénée, Adv. Haer. 1.26.2 ; 3.21.1 ; 5.1.3). R. Penna, dans son livre Vangelo e Inculturazione, Ci- nisello Balsamo 2001, 681 écrit: « Giudeo-cristiano, piuttosto è il cristiano che può essere o non essere di origine giudaica, ma che tiene fermamente determinate categorie proprie del giudaismo. Queste si possono suddividere a seconda che si tratti di “identity markers” di tipo sociale oppure di un insieme di credenze, entrambe oggetto di discussione con gli altri cristiani sopratutto di stampo paolino ». Il y a là une confusion entre judéo-chrétiens et judaïsants. 3. Sur la personne de Jacques on peut consulter lʼouvrage de P.-A. Bernheim, James Brother of Jesus, London 1997. Lʼauteur y rappelle quʼun des problèmes majeurs des communautés juives et chrétiennes était lʼattitude à adopter en face des païens. La Tosefta Sanhedrin 13,2 en témoigne : R. Eliézer ben Hyrcanos est dʼavis quʼaucun païen nʼaura part au monde futur, tandis que R. Joshuah ben Hananyah admet que les justes parmi les païens seront sauvés. Le livre des Jubilés 22,16-22 exclut les incirconcis du monde futur. Dans les Testaments des douze Patriarches une idée différente est orchestrée : les Juifs et les païens sont soumis à lʼinfluence dʼun principe mauvais et tous sont fautifs. Dieu sera plus dur avec Israël au jugement puisquʼil lui a enseigné la voie (Testament de Nephtali 8,3). Dans la diaspora enfin une tolérance envers les païens est admise. Juifs et Païens seront jugés selon le critère des valeurs morales universelles. La Lettre dʼAristée reflète lʼidée que Juifs et Païens adorent le même Dieu sous des noms différents. F. MANNS 158 Jacques peut être considéré comme une colonne du judéo-christianisme. LʼEvangile des Hébreux lui reconnaît une apparition du ressuscité4 comme dʼailleurs 1 Co 15,7. Dans les Homélies pseudo-clémentines Pierre donne à Jacques le titre de « Seigneur et évêque de la sainte Eglise5 » et dans les Reconnaissances pseudo-cléméntines cʼest Jésus lui-même qui désigne Jacques comme son successeur6. Jacques resta délibérément engagé dans le judaïsme en face du christianisme paulinien. Certains milieux considéraient Paul comme un traître à la pensée de Jésus. Apparus dans la période de lutte intense entre les deux communautés, des écrits de combat ont émergé de la multitude des textes publiés sur Jésus. Lorsque le christianisme de style paulinien définitivement triomphant constitua son recueil de textes officiels, le Canon, il exclura comme contraires à lʼorthodoxie tous les autres docu- ments qui ne convenaient pas à la ligne choisie par lʼEglise. Notre intention est de nous limiter ici aux écrits pseudo-clémentins pour en faire lʼétat de la recherche. Les écrits pseudo-clémentins comprennent deux ouvrages probable- ment indépendants au point de départ, les Reconnaissances et les Ho- mélies pseudo-clémentines. Les Reconnaissances, divisées en dix livres dans la traduction latine due à Rufin, existaient en grec. Les Homélies, parvenues en grec, sont réparties en vingt livres et sont précédées de trois documents : la lettre de Pierre à Jacques, lʼengagement solennel de Jacques (diamartyria) et la lettre de Clément à Jacques. Cette compilation intègre les Kérygmes de Pierre, les Actes et lʼItinéraire de Pierre et un traité juif dʼapologétique. Les divergences doctrinales y sont inévitables. Les deux ouvrages qui contiennent beaucoup de matériaux parallèles ont une origine Dans le monde chrétien Luc, lʼauteur des Actes des Apôtres relate la conversion des Sama- ritains, puis de lʼeunuque éthiopien. Ces deux conversions ont pour but de reconstituer le véritable Israël. La conversion du Païen Cornelius à Césarée nʼest pas accompagnée de la circoncision. Pierre accepte même dʼentrer dans sa maison et dʼy manger. Les disciples de Chypre et de Cyrène sʼadressaient aux grecs dʼAntioche (Ac 11,20). Quant à Paul il présente sa mission dʼannoncer le Christ aux païens sans leur imposer la circoncision comme une révélation personnelle en Ga 1,15-17. Une tension entre Paul et les autres apôtres devenait inévitable. Les textes fondamentaux sur Jacques sont ceux de Clément dʼAlexandrie, Hypotyposes 6 et 7 cités par Eusèbe de Césarée dans son Histoire Ecclésiastique 2,1,3-4 et celui dʼHégésippe cité par Eusèbe dans son Histoire Ecclésiastique 2,23,4. 4. Le texte est cité par Jérôme, Les hommes illustres 2. 5. Voir la lettre de Pierre à Jacques. Dans la lettre de Clément à Jacques Clément lʼappelle « lʼévêque des évêques ». 6. Rec 1,43. LES PSEUDO-CLÉMENTINES (HOMÉLIES ET RECONNAISSANCES) 159 grecque7. Si leur rédaction est datée du quatrième siècle, leurs traditions orales remontent au troisième, voire au second siècle et proviennent selon toute vraisemblance de Syrie8. Le livre qui relate la prédication de Pierre dans les villes de la côté méditerranéenne est censé avoir été écrit par Clément de Rome à lʼat- tention de Jacques, avant que Clément ne succède à Pierre à la tête de lʼEglise romaine. La prédication de Pierre aurait été remaniée plus tard sous la forme dʼun Itinéraire de Pierre pour livrer lʼenseignement secret de Pierre. La traduction de Rufin, qui a élagué certains traits choquants pour lʼorthodoxie, fut appelée les Reconnaissances9 en référence à un genre littéraire répandu qui voulait quʼun individu, après maintes pérégrinations, retrouve les membres de sa famille. Clément de Rome en quête de vérité apprend que le Fils de Dieu sʼest manifesté en Judée. La prédication de Barnabé à Rome le décide à partir. Parvenu à Césarée il rencontre Pierre et devient chrétien. Il accompagne Pierre dans ses randonnées missionnaires. Sa mère et ses deux frères avaient quitté Rome pour Athènes. Comme ils nʼy étaient pas arrivés, leur père part à leur recherche. Finalement par lʼin- termédiaire de Pierre la famille se retrouve et se reconnaît. Les Homélies et les Reconnaissances ont beaucoup de points communs. Du point de vue doctrinal les Reconnaissances sont plus orthodoxes que les Homélies. A lʼorigine se trouve lʼassemblage de deux récits. Le plus ancien apparenté aux Actes de Paul met en scène Pierre et Simon le Mage qui sʼaffrontent10. Ce récit combiné avec lʼhistoire de Clément devient un roman. Par la suite le roman a été réinterprété lorsquʼon lʼa fait précéder dʼune lettre de Clé- ment à Jacques qui transforme les Homélies en message judéo-chrétien ésotérique. Lʼensemble du roman a une forte coloration apologétique11 ; il réfute les fausses interprétations de la Torah et les erreurs ajoutées aux Ecritures (Hom 2,38). Le recours aux allégories pour expliquer les mythes 7. Il existe des fragments syriaques publiés par W. Frankenberg, Die syrische Clementinen mit griechieschen Paralleltext, Leipzig 1937. 8. Cʼest la conclusion de Bousset, Heintze, Schmidt et Cullmann. 9. La traduction française des Reconnaissances a été faite par A. Maistre, Saint Clément de Rome. Son histoire renfermant les Actes de St Pierre, 2 vol., Paris 1883-84. 10. E. Molland, « La primauté de Pierre dʼaprès les Pseudo-Clémentines », in R. Pillinger - E. Renhart (ed.), The Divine Life, Light and Love. Euntes in mundum universum. Festschrift in Honour of Petro B.T. Bilaniuk, Graz 1992. 11. Lʼapologétique juive tenait une grande place dans la diaspora comme il résulte du Contra Apionem de Flavius Josèphe, des Oracles Sibyllins et de la Lettre dʼAristée. Voir J. Barclay, « Apologetics in the Jewish Diaspora », in J. Bartlett (ed.), Jews in the Hellenistic and Roman City, London - New York 2002, 129-148. F. MANNS 160 (Rec 10,35) et le fatalisme de lʼhoroscope (Rec 9,12) qui avaient cours dans le monde hellénisé sont également rejetés. 1. Status quaestionis de la recherche La recherche critique concernant les Pseudo-Clémentines remonte à A. Hil- genfeld12 et à F.C. Baur13, membre de lʼécole de Tübingen qui appliquait la méthode dialectique à lʼétude du christianisme primitif. Pierre et Paul représentent deux tendances antithétiques de lʼEglise primitive. LʼEglise de Rome tentera une synthèse nouvelle entre ces deux mouvements. En 1854 G. Uhlhorn14 mit en évidence la place de Jacques, sa polémi- que contre le temple et les sacrifices. Les Anabatmoi Jakobou constituent une source importante des Pseudo-Clémentines, tandis uploads/Litterature/ les-pseudo-clementines-homelies-et-reconnaissances-etat-de-la-question.pdf
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- Publié le Dec 12, 2022
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