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Electronic copy of this paper is available at: http://ssrn.com/abstract=904306 Les voyages immobiles de Michel de Certeau, Présence, fonction et statut des métaphores dans l'œuvre de De Certeau. Grâce à Michel de Certeau et son goût pour l'interdisciplinarité, l'historien peut emprunter sans vergogne les voies littéraires et linguistiques pour décrire la pratique d'écriture d'un des historiens parmi les plus attentifs aux modes non seulement de faire l'histoire, mais de la dire. Les titres de ses œuvres mettent le langage au centre de sa préoccupation: La prise de parole, La fable mystique, L'écriture de l'histoire, Une politique de la langue, La correspondance de JJ Surin, L'ordinaire de la communication, annoncent d'emblée l'enjeu de l'étude: déterminer des lieux et des moyens de parole. L'attention particulière portée par Michel de Certeau au langage et à la langue en général rend son souci de soigner sa propre langue d'autant plus légitime. L'étudiant qui lit Michel de Certeau pour la première est en effet surpris du travail de la langue, de sa propre langue, de sa phrase, de son agencement des mots, de son usage de la rhétorique. Si l'on a pu parler d'un style bourdieusien ou d'un art d'écrit freudien par exemple, l'on reconnaît aussi à De Certeau ses traces d'écriture; L'écriture de l'histoire joue sur la typographie (caractères droits, ou en italique), imbrication des niveaux et mises en abyme (ainsi lire De Certeau, c'est avant tout lire un lecteur) et notamment à la lecture de La prise de parole ou de Histoire et Psychanalyse, abondance remarquable des figures de la substitution et de l'analogie, d'ordinaire outils privilégiés de la poésie1: les métaphores et les comparaisons. Outils du discours d'habitude, elles font ici l'objet d'un questionnement en forme de relecture sélective et bien que frustrante, on l'espère fidèle, à l'œuvre de Michel de Certeau. 1. Présence et omniprésence des figures de la substitution et de l'analogie (métaphore et comparaison). Bourdieu, par exemple, est connu pour ces phrases complexes, au sens grammatical du terme, c'est-à-dire qui articule des propositions principales et subordonnées en cascade, tandis que Foucault développe un style plus resserré, portant son effort sur la signification du mot ou du groupe de mots (syntagme) qu'à l'emboîtement des propositions. Dans l'écriture de Michel de Certeau, c'est son usage récurrent de la métaphore qui frappe le regard excentré du chercheur étranger, peut-être plus attentif aux écarts vis-à-vis de la norme langagière qui régit généralement l'écriture du scientifique: lpb- IUE- De Certeau. 1/10 Electronic copy available at: https://ssrn.com/abstract=904306 Electronic copy of this paper is available at: http://ssrn.com/abstract=904306 On est frappé d’emblée par toute une manière de disposer son écriture vis-à-vis de ce dont il discute. Je pense aux figures de la mer, de la plage, de la nuit etc. Il y a un va-et-vient perpétuel entre ce qu’on pourrait appeler une métaphorisation du savoir et une mise en intelligence des processus partout à l’œuvre dans la métaphorisation.2 D'abord, qu'est-ce qu'une métaphore? C'est un outil rhétorique, dont la description du fonctionnement revient principalement aux linguistes et grammairiens et qui a priori échappe aux soucis des historiens. La métaphore figure au Panthéon des figures de rhétorique. Elle relevait dans l'éducation antique classique puis humaniste des deux dernières étapes du triptyque sacré invention/disposition/élocution. Elle se caractérise par un transfert de signification. Le noyau dur des figures est constitué par les figures de signification ou tropes que Dumarsais définit comme "des figures par lesquelles on fait prendre à un mot une signification qui n'est pas précisément la signification de ce mot"3. Ce sont, par exemple "les tropes en un seul mot": la métaphore, la métonymie, la synecdoque...4 Toujours selon Anne Herrschberg-Pierrot, la métaphore pour être désignée comme telle (à la différence d'une comparaison, par exemple) doit remplir trois critères: - l'unité de sens et de forme est celle du mot, - elle résulte d'un processus de substitution - elle doit faire éprouver l'écart entre sens propre et sens figuré. La métaphore se distingue de la comparaison par l'absence d'outils comparants (l'adverbe "comme", l'adjectif "tel" et son corrélatif "que"). Dumarsais 5 la définit comme "une figure par laquelle on transporte, pour ainsi dire, la signification propre d'un mot à une autre signification qui ne lui convient qu'en vertu d'une comparaison qui est dans l'esprit". L'étymologie grecque permet à Michel de Certeau de relier cette figure particulière à sa thématique récurrente du voyage: Dans l'Athènes d'aujourd'hui, les transports en communs s'appellent métaphorai. Pour aller au travail ou rentrer à la maison, on prend une "métaphore" – un bus ou un train.6 Où trouve-t-on ces "transports en commun" (en commun, puisqu'ils relient le locuteur au lecteur via le référent) dans l'œuvre de De Certeau? Statistiquement, après un premier relevé statistique grossier, l'on note que trois ouvrages se distinguent particulièrement par leur richesse métaphorique : La prise de parole (1968), L'invention du quotidien, 1. Arts de faire (1980), et Histoire et psychanalyse entre science et fiction (1987). lpb- IUE- De Certeau. 2/10 Electronic copy available at: https://ssrn.com/abstract=904306 La métaphore investit, on le verra, dans la prise de parole une bonne part des analyses de De Certeau ; dans L'invention du quotidien, non seulement la métaphore ne se cache pas, mais elle se désigne elle-même: la ville est "transhumante et métaphorique"7 au chapitre 8 tandis qu'au chapitre suivant la métaphore explicitement nommée, se présente dès le titre du chapitre: "enfances et métaphores de lieux"8. Dans Histoire et psychanalyse enfin, la métaphore est partout; elle ouvre l'ouvrage: "Un chemin non tracé" par Luce Giard nourrit, avec "Frontière", "traverser", "sauf conduit", "démarche", "se borner", "un pas de côté"9 (p. 11) le champ lexical de la marche et de la traversée, qui s'inscrit parfaitement dans la métaphore filée du voyage que M. De Certeau a initiée et qui lui vaudra d'être lui-même métaphorisé en "marcheur"10 sur le "chemin"11 de nouveau, par François Dosse. 2. Localisation et contenus de la métaphore. Les métaphores gagnent du terrain au fil des ouvrages. Il y a une montée en puissance des métaphores. Prenons deux exemples. Tout d'abord La prise de parole. Le recueil de textes s'ouvre sur une comparaison, figure proche de la métaphore (au point qu'on la qualifie souvent de métaphore avec outil comparant): Les pluies d'août semblent avoir changé les feux de mai en restes abandonnés au service de voirie (…) Que les déchets d'une révolution manquée soient jetés à la poubelle, ce n'est pas pour dire qu'elle est oubliée. Le titre de ce chapitre devait nous avertir, puisqu'il traite d'une "révolution symbolique", le symbole consistant lui aussi en un déplacement (de la figuration concrète à l'idée abstraite). Dans ce tout premier paragraphe la métaphore filée s'installe peu à peu et le lecteur peut être surpris de la teneur poétique de ces lignes liminaires. D'emblée, par la métaphore, l'esprit imageant du lecteur ainsi que sa culture sont mobilisés et flattés aussi. Le lecteur peut retrouver par le biais de la métaphore deux connotations de la révolution de mai 68: l'impression que l'idée de révolution peut sembler galvaudée d'une part (c'est le champ lexical du déchet) et aussi qu'il y a une dimension poétique, mythifiée de la révolution, ce qu'exprime le début trompeur de l'analyse, qui revêt l'allure d'une narration romanesque avec le thème (les pluies de fin d'été), les temps verbaux (passé), la temporalité (s'étendant de mai à août): " les pluies d'août semblent avoir changé les feux de mai". Le lecteur qui ne saurait pas en quoi consiste La prise de parole pourrait en ne considérant que cette phrase se croire dans un incipit de roman aux accents mélancoliques. lpb- IUE- De Certeau. 3/10 Electronic copy available at: https://ssrn.com/abstract=904306 Plus loin, au chapitre 2, De Certeau se livre à une comparaison (double explicite de la métaphore, qui joue elle sur l'implicite à des degrés divers12), qui fait mener au lecteur deux pensées de front: " En mai dernier, on a pris la parole comme on a pris la Bastille en 1789. " Au chapitre suivant, chapitre 3, commençant par une évocation de C. Chaplin (La ruée vers l'or) il insiste sur l'aspect imagé de son discours en nommant l'image en train de se former: A cette image d'une vie qu'il est également impossible d'habiter et de quitter, on peut comparer la situation crée en mai dernier.13 Le reste de l'ouvrage développe deux derniers champs lexicals, celui du "fantôme" d'une part et dans une plus large mesure encore, celui de la maladie ; la métaphore médicale débute à la page 63 où apparaît pour la première fois l'expression "diagnostiquer la maladie" complétée par "ablation" et "mal" à la page 166 qui conclut sur les "symptômes". En fait, la "maladie" avait déjà été annoncée par un effet de mise en abyme, par l'introduction de Luce Giard, faisant état de "thérapeutique" (p. 68), la métaphore filée consolidant la cohérence de l'ouvrage dans son ensemble. La somme métaphorique de l'ouvrage est donc à la fois conséquente et hétéroclite. Les métaphores récurrentes de De Certeau, du voyageur, de la maladie et du fantôme se retrouvent de livre en livre tels des fils d'Ariane. Un premier uploads/Litterature/ les-voyages-immobiles-de-michel-de-certeau.pdf
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- Publié le Mai 19, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
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