L’ESPACE SURRÉALISTE Collection Les Pas perdus dirigée par Henri BÉHAR Cyril BA
L’ESPACE SURRÉALISTE Collection Les Pas perdus dirigée par Henri BÉHAR Cyril BAGROS L’ESPACE SURRÉALISTE Promenade en zone interdite Publié avec le concours du Centre de Recherche sur le Surréalisme (GDR 2223, Université Paris III-CNRS) Phénix Éditions Table des abréviations AF A. Breton, L’Amour fou ANI L. Aragon, Anicet ARC A. Breton, Arcane 17 suivi de Ajours AUR M. Leiris, Aurora BAB R. Crevel, Babylone BF J. Gracq, Un Balcon en forêt BSG B. Péret, Au 125 du boulevard Saint-Germain BT J. Gracq, Un Beau Ténébreux CA J. Gracq, Au château d’Argol CHA G. Limbour, La Chasse au mérou CHAMPS A. Breton et P. Soupault, Les Champs magnétiques CM J. Baron, Charbon de mer DEB* L. Carrington, La Débutante [recueil] DNP P. Soupault, Les Dernières nuits de Paris DPD R. Desnos, Deuil pour deuil EVF R. Crevel, Êtes-vous fous ? HEB G. De Chirico, Hebdomeros LIB* L. Aragon, Le Libertinage [recueil] LL R. Desnos, La Liberté ou l’amour ! LL* R. Desnos, La Liberté ou l’amour ! suivi de Deuil pour deuil [recueil] NAD A. Breton, Nadja NH R. Desnos, Pénalités de l’enfer ou Nouvelles Hébrides NH* R. Desnos, Nouvelles Hébrides et autres textes 1922-1930 [recueil] NRH M. Fourré, La Nuit du Rose-Hôtel PC M. Leiris, Le Point cardinal PS A. Breton, Poisson soluble PI* J. Gracq, La Presqu’île [recueil] PP L. Aragon, Le Paysan de Paris RS J. Gracq, Le Rivage des Syrtes SB* G. Limbour, Soleils bas [recueil] TEL L. Aragon, Télémaque VC A. Breton, Les Vases communicants © Phénix Éditions et l’auteur 7 PRÉFACE Il faut savoir gré à Cyril Bagros d’avoir osé affronter le re- doutable problème de l’espace représenté en fiction, et en parti- culier représenté dans des œuvres de fiction qui ne semblent pas à première vue revendiquer la représentation des espaces réels comme leur finalité première, les œuvres surréalistes. Problème donc redoutable à plusieurs titres, car surencombré par toute une histoire philosophique très longue (Descartes, Kant, la phénoménologie, la mimesis…), problème rendu en- core plus complexe par le fait qu’il semble qu’on n’en puisse traiter qu’en connexion avec cet autre problème tout aussi re- doutable, celui du temps (d’où la notion syncrétique de « chronotope » chez un Bakhtine), et problème, enfin, que la plupart des critiques et théoriciens de la littérature ont du mal à localiser dans leurs analyses de textes : il y a en effet un espace du texte dans sa matérialité (typographique, calligrammatique, diagrammatique), un espace représenté par le texte (les descrip- tions de paysages, villes, décors, proxémiques diverses entre personnages, voyages et déplacements des personnages) et, éventuellement, par les illustrations qui l’accompagnent, un espace pragmatique géré et traité par le texte (un écrivain écrit pour un lecteur distant de lui, qu’il ne connaît pas, et écrit dans la proximité ou la distance — par exemple ironique - avec son propre énoncé), un espace intertextuel fait de citations et d’allusions à d’autres textes (par lesquelles un écrivain se situe tout en citant), et un espace topique (celui des figures, topoï, lieux et images construits dans et par le texte). D’où la tenta- tion des littéraires, théoriciens ou écrivains, soit de se débar- 8 rasser du problème (les narratologies et grammaires structura- les du récit réduisent volontiers l’espace à un simple actant collectif doté d’une fonction sémantique simple : il est destina- teur-influenceur, opposant, objet d’une quête, etc.), soit d’en faire une sorte d’absolu littéraire idéal (« Rien n’a lieu que le lieu », rêvait Mallarmé de son Livre), soit de le monnayer en « espèces d’espaces » réalistes (Perec, Verne, Zola), diversifiés et hétéroclites à inventorier, à parcourir et à ranger dans les cases d’une hypothétique et idéale Encyclopédie. Le travail de Cyril Bagros, remarquablement maîtrisé, met de l’ordre dans tout cela, en distinguant un espace anthropologique (lié au corps, aux sensations et gestes qui le prolongent), un espace rhétorique (celui de l’amplification et du filé descriptif), et un espace imaginaire (avec ses directions et orientations préféren- tielles). Il montre surtout que le travail de la logique et de ses schèmes n’est pas moins grand en ce qui concerne les représen- tations de l’espace qu’en ce qui concerne les enchaînements (le post hoc ergo propter hoc) de tout récit, et pas moins grand en ce qui concerne l’espace des textes surréalistes qu’en ce qui concerne l’espace bien balisé, meublé et étiqueté des romans réalistes et naturalistes qui leur servent habituellement de re- poussoirs, et qui ont plutôt, jusqu’à présent, arrêté les spécia- listes littéraires de la question. Un des mérites de l’essai de Cyril Bagros est d’avoir, aussi, donné toute sa place à la question de la description (qui dit espace dit description d’espace), point névralgique, pourrait-on dire, de la poétique surréaliste. On connaît les diatribes d’André Breton contre les « images de catalogue » et les « cartes postales » de la description romanesque, contre la « description de chambre » dans le Manifeste, et sa volonté affichée d’« éliminer toute description » (« Avant-Dire » de Nadja), et de les remplacer éventuellement (Rodenbach avait déjà essayé quelque chose d’équivalent avec Bruges-La-Morte) par des photographies. Ces diatribes, qu’on retrouverait aussi chez un Aragon (chapitre IV d’Anicet), viennent de loin, d’une séculaire suspicion anti-descriptive qui traverse les siècles et les écoles (de Boileau au Saint-Pol Roux de L’Enquête littéraire de Jules Huret en 1891, et à Lukacs). Mais ces diatribes parais- sent, confrontées à la réalité stylistique des œuvres surréalistes, singulièrement paradoxales : le lecteur a d’emblée, en effet, 9 l’impression, quand il lit les écrivains de la mouvance surréa- liste, qu’il y a beaucoup de descriptions de lieux (paysages ré- els, paysages oniriques, chambres closes ou panoramas natu- rels) chez ces écrivains, que lieux de mémoires et mémoire de lieux s’y entrelacent de façon constante, que les personnages y sont très souvent les supports et les prétextes à de nombreuses descriptions postées (des attentes) ou ambulatoires (promena- des et voyages) de ces lieux, que la description de ces lieux y tourne d’ailleurs souvent au poème en prose, et que ces écri- vains ne cessent de décrire, avec une jubilation (terme favori de Ponge) ou un soin souvent évident, toutes sortes « d’espèces d’espaces » (l’île d’Arcane 17, les déserts et villes de Gracq, le Paris du Paysan de Paris d’Aragon, etc.). Cette mise à l’index théorique, que justifie une volonté de rompre avec une écriture réaliste-naturaliste dont les modèles plus ou moins galvaudés continuent à se multiplier au début du XXe siècle, mais que contredit à l’évidence une pratique cons- tante, repose sur trois malentendus, que le travail de Cyril Ba- gros contribue à clarifier. Le premier, c’est celui qui assimile description à prose. Or, plus que la prose, et quoi qu’en dise Valéry qui retrouve les surréalistes dans le camp de l’anti-description, c’est le texte poétique (et non le roman) qui possède bien des affinités struc- turelles profondes (goût des images, des listes, des paradigmes déployés, des répétitions, mise en second plan du récit, etc.) avec la description, et il est sur un certain plan contradictoire de prôner, comme le fait Breton dans Signe Ascendant, le culte de l’image, et la condamnation de la description. Le second malentendu consiste à confondre description et descriptif : la description est une partie détachable, isolable, prélevable (par exemple pour une anthologie), et théma- tiquement identifiable (description de rue, ou d’un passage, ou d’une lande, etc.) de l’œuvre, alors que le descriptif est un en- semble de procédés formels, indépendant des thèmes décrits, une composante structurelle globale assurant, à côté d’autres composantes (narratives, argumentatives, rythmiques), et selon des hiérarchies flottantes et variables, la cohérence de tous les textes. Le texte surréaliste est souvent hautement descriptif, sans pour autant présenter, par exemple comme dans un roman 10 de Flaubert ou de Zola, des enclaves-descriptions nettement identifiables. Le troisième malentendu consiste à assimiler automa- tiquement la description d’espace à une posture esthétique par- ticulière, le réalisme, à assimiler l’espace à certains référents décrits (objets et choses en trois dimensions situés dans un es- pace différencié, accessibles à la vue et aux organes des sens) considérés comme plus concrets que d’autres. Mais la référence est indépendante de la qualité des référents, elle est en acte aussi bien dans la description d’un espace réel de « chambre » (cette « chambre » honnie par le Manifeste), que dans la des- cription d’un espace imaginaire ou onirique, dans le cadre d’un genre merveilleux ou fantastique, dans un récit de rêve, dans un pamphlet ou dans un exercice d’écriture automatique. L’espace, dans un texte de fiction, et dans le texte surréa- liste en particulier, ne saurait être réduit à un cadre à effet de réel pour situer une action. Il est souvent plus un événement qu’un document, et la fonction de son évocation, selon le beau mot de Klee, est sans doute plus de rendre visible que de repré- senter un visible. Elle est sans doute, selon une autre belle for- mule de Gracq (En lisant, en écrivant) de construire un chemin ou une dérive de l’acte d’écriture. uploads/Litterature/ lespace-surrealiste-c-bagros.pdf
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- Publié le Jan 08, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
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