LA BANDE DESSINÉE AU PRISME DE L’HISTOIRE Sylvain Lesage Éditions de la Sorbonn

LA BANDE DESSINÉE AU PRISME DE L’HISTOIRE Sylvain Lesage Éditions de la Sorbonne | « Sociétés & Représentations » 2022/1 N° 53 | pages 9 à 13 ISSN 1262-2966 ISBN 9791035108069 DOI 10.3917/sr.053.0009 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-societes-et-representations-2022-1-page-9.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Éditions de la Sorbonne. © Éditions de la Sorbonne. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. 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Deuxième segment le plus dynamique du marché du livre, elle affiche une production extrêmement riche et touche des lectorats variés1. Si son histoire remonte au premier tiers du xixe siècle, où Töpffer non seulement s’essaie à de nouvelles formes de narration graphique mais les théo- rise, le nom même de « bande dessinée » est pour sa part assez récent. Ce n’est en effet pas avant les années 1950 que les histoires en images, publiées encore très majoritairement dans la presse, prennent cette dénomination. La bande dessinée est alors assignée à un public enfantin, et enserrée à ce titre dans le cadre restrictif de la loi de 1949 sur les publications destinées à la jeunesse. Elle s’est depuis plusieurs décennies émancipée de cette gangue de soupçon, pour acquérir le statut d’un art reconnu et largement célébré. Après la publication du rapport Lungheretti alertant sur les problèmes structurels du domaine2, le ministère de la Culture a fait de 2020 l’Année de la BD, qui témoigne d’une reconnaissance au plus haut niveau de l’État des enjeux de la création graphique. La bande dessinée est aujourd’hui largement présente dans les salles de ventes où les planches atteignent des prix records ; elle est exposée dans les plus grands musées (exposition « Picasso et la bande dessinée » en 2020, « Hergé » au Grand Palais en 2016-2017, pour n’en don- ner que quelques exemples). Entrée de longue date à l’université, enseignée à l’école, la bande dessinée est depuis longtemps sortie des enfers culturels. Ce processus de légitimation culturelle a lui-même son histoire : l’acti- visme des cercles bédéphiliques a rencontré la reconfiguration des hiérarchies culturelles ; la redéfinition du périmètre des politiques culturelles a facilité la création de festivals, puis de musées. Les générations successives d’autrices et d’auteurs qui ont repoussé les frontières des conventions génériques et sérielles 1. Xavier Guilbert, Panorama de la BD en France, 2010-2020, rapport pour le Centre national du livre, 2021. 2. Pierre Lungheretti, La bande dessinée, nouvelle frontière artistique et culturelle. 54 propositions pour une politique nationale renouvelée, rapport au ministre de la Culture, 2019. © Éditions de la Sorbonne | Téléchargé le 22/06/2022 sur www.cairn.info par via Université Rennes 2 - Haute Bretagne (IP: 90.105.189.82) © Éditions de la Sorbonne | Téléchargé le 22/06/2022 sur www.cairn.info par via Université Rennes 2 - Haute Bretagne (IP: 90.105.189.82) Sylvain Lesage, « La bande dessinée au prisme de l’histoire », S. & R., no 53, printemps 2022, p. 9-13. 10 ont multiplié les rapprochements avec la littérature, les arts plastiques ou médiatiques, questionnant la nature et les frontières de leur art. L’expansion de l’enseignement supérieur et de la recherche a facilité des curiosités acadé- miques nouvelles, poussées par la transformation des pratiques culturelles… Aujourd’hui, le statut de neuvième art fait figure d’évidence et de lieu commun. Dans ce statut singulier qu’occupe le neuvième art dans l’espace francophone, l’histoire joue un rôle central, tant la bande dessinée s’est impo- sée à la fois comme un objet, comme une source et comme une écriture pour les historiennes et les historiens. L’intérêt pour l’articulation de la bande dessinée et de l’histoire n’est pas nouveau : dès 1979, une réflexion se fait jour autour de cette question3, cen- trée surtout sur le rôle pédagogique que peut jouer la bande dessinée dans la transmission de l’histoire4. Pourtant, ces travaux ont longtemps été menés en ordre dispersé, et sont restés modestes dans leur apport méthodologique. Si l’histoire de la bande dessinée s’est largement écrite hors de l’université – en particulier dans les cercles bédéphiles – à présent nombreux sont les histo- rien·ne·s à travailler sur la bande dessinée après les travaux pionniers de Pas- cal Ory5, Thierry Crépin6 ou encore Jean-Paul Gabilliet7. La recherche sur la bande dessinée en histoire a assurément franchi un cap. La maturation du domaine peut s’évaluer de bien des manières : dyna- misme des recherches doctorales, foisonnement de publications, abondance de colloques… Domaine d’études à la récurrente jeunesse – tant les générations successives de chercheuses et chercheurs ont peiné à inscrire dans le temps leurs réalisations – les travaux sur la bande dessinée ont atteint maintenant un seuil de maturité indéniable. Ce dynamisme de la recherche s’appuie en partie sur la vitalité de la bande dessinée historique. Celle-ci, en effet, a le vent en poupe ; pousser les portes de n’importe quelle librairie suffirait à s’en convaincre. Romans graphiques témoignant des grands traumatismes contemporains, ouvrages de vulgarisation 3. Odette Mitterrand (dir.), Histoire et bande dessinée, actes du deuxième colloque international « Éduca- tion et bande dessinée », La Roque d’Anthéron, Objectif Promo-Durance, 1979. 4. Odette Mitterrand (dir.), L’histoire… par la bande. Bande dessinée, Histoire et pédagogie, Paris, Syros, 1993. 5. Pascal Ory, Le petit nazi illustré : une pédagogie hitlérienne en culture française : Le Téméraire (1943- 1944), Paris, Albatros, 1979, ainsi que son article « Mickey go home ! La désaméricanisation de la bande dessinée, 1945-1950 », Vingtième siècle. Revue d’histoire, no 4, 1984, p. 77-88. 6. Thierry Crépin, « Haro sur le gangster ! » La moralisation de la presse enfantine, 1934-1954, Paris, CNRS Éditions, 2001. 7. Jean-Paul Gabilliet, Des comics et des hommes : histoire culturelle des comic books aux États-Unis, Nantes, Éditions du Temps, 2004. © Éditions de la Sorbonne | Téléchargé le 22/06/2022 sur www.cairn.info par via Université Rennes 2 - Haute Bretagne (IP: 90.105.189.82) © Éditions de la Sorbonne | Téléchargé le 22/06/2022 sur www.cairn.info par via Université Rennes 2 - Haute Bretagne (IP: 90.105.189.82) Sylvain Lesage, « La bande dessinée au prisme de l’histoire », S. & R., no 53, printemps 2022, p. 9-13. 11 historique s’emparant du dessin pour conquérir de nouveaux publics, docu- mentaires, récits de genre, fictions historiques, uchronies… L’histoire dessinée prend des formes multiples. Cette capacité du dessin à s’emparer de l’histoire est ancienne. L’un des premiers albums de bande dessinée moderne propose ainsi, dans le contexte de la guerre de Crimée, une Histoire de la Sainte Russie par Gustave Doré. Un siècle avant Astérix, Doré rit de l’histoire, proposant « un rire de potache, un rituel de désacralisation burlesque8 ». La mobilisation du dessin au service d’un récit historique s’appuie aujourd’hui sur une double tradition de récits édifiants en images, et de témoignages personnels. Prolongeant l’essor de l’autobiographie dessinée qui a renouvelé la bande dessinée alternative dans les années 1990-2000 – avant de se scléroser en par- tie en un nouveau standard – la bande dessinée du réel a offert un nouveau modèle d’émancipation des cadres de la fiction et des récits de genre. Renou- velant les formes anciennes du reportage dessiné9 et de la vulgarisation10, elle a également gagné les sciences sociales. Si elle a pu frayer avec la sociologie11, c’est assurément du côté de l’histoire que le rapprochement est à ce jour le plus convaincant, en tout cas le plus riche et le plus diversifié. Mettant en scène l’enquête, vulgarisant des travaux, la bande dessinée offre aussi une intelligibi- lité historique neuve. Dans cette appropriation nouvelle de l’histoire par la bande dessinée, Maus a assurément représenté un tournant12. Magistrale enquête dans les replis de la douloureuse transmission de la mémoire du génocide des Juifs, Maus a profondément renouvelé les littératures de témoignage. Spiegelman apporte dans Maus la preuve que la bande dessinée peut s’emparer de tout sujet et s’aventurer jusqu’aux territoires de l’indicible et des deuils les plus terribles. En plein essor des interrogations sur les « lieux de mémoire » (les ouvrages 8. Alain Vaillant, « Rire de l’histoire et comique absolu : la Sainte Russie de Gustave Doré », Écrire l’histoire. Histoire, uploads/Litterature/ sr-053-0009.pdf

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