GENRES DE DISCOURS ET MODES DE GÉNÉRICITÉ Dominique Maingueneau Armand Colin |
GENRES DE DISCOURS ET MODES DE GÉNÉRICITÉ Dominique Maingueneau Armand Colin | « Le français aujourd'hui » 2007/4 n° 159 | pages 29 à 35 ISSN 0184-7732 ISBN 9782200923587 DOI 10.3917/lfa.159.0029 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-le-francais-aujourd-hui-2007-4-page-29.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Armand Colin. © Armand Colin. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. Powered by TCPDF (www.tcpdf.org) © Armand Colin | Téléchargé le 01/11/2021 sur www.cairn.info (IP: 89.137.230.224) © Armand Colin | Téléchargé le 01/11/2021 sur www.cairn.info (IP: 89.137.230.224) GENRES DE DISCOURS ET MODES DE GÉNÉRICITÉ Par Dominique MAINGUENEAU Université Paris 12 – Val-de-Marne CEDITEC (EA 3119) À partir du moment où on met l’activité discursive au centre de l’enseigne- ment du français, on rencontre inévitablement la catégorie du genre, qui se situe précisément à l’articulation des contraintes linguistiques et des contraintes situationnelles. Mais il faut reconnaitre que cette catégorie n’est pas facile à manier par les enseignants. L’un des problèmes majeurs est que notre conception du genre est profondément imprégnée par l’étude de la littérature, alors même que depuis quelques décennies, sous diverses influences – en particulier l’ethnographie de la communication, M. Bakhtine, et plus largement les courants pragmatiques – la catégorie du genre de discours a été généralisée à l’ensemble des énoncés d’une société. Dans ces conditions, force est de se doter d’une conception du genre qui ne réduise pas la spécificité des genres littéraires sans pour autant les placer dans un domaine à part. Mais cela ne va pas de soi : aujourd’hui encore, la plupart des spécialistes de littérature ignorent ce qui s’est fait sur ce sujet dans les travaux sur le discours, et la plupart des recherches sur le discours évitent soigneusement de prendre en compte les catégorisations issues des études littéraires. Cette ignorance réciproque n’est d’ailleurs pas nouvelle. Depuis l’Antiquité, la réflexion sur le genre s’est nourrie de deux traditions, qui se réclament d’ailleurs toutes deux d’Aristote : celle de la poétique et celle de la rhétorique, cette dernière ayant proposé la célèbre tripartition entre genres « judiciaire », « délibératif » et « épidictique ». Avec le déclin de la rhétorique à la fin du XVIIIe siècle, ce sont surtout les genres et sous-genres de la littéra- ture qui sont passés au premier plan, avant que les cartes ne soient récemment redistribuées par les nouvelles approches du langage. Mais cette généralisation de la notion de genre à l’ensemble des activités verbales ne va pas sans diffi- cultés ; l’analyse du discours utilise en effet une catégorie fortement marquée par la littérature, tandis que la littérature se trouve aujourd’hui interrogée par une catégorie qui a été construite pour d’autres types de corpus. Deux régimes de généricité En analyse du discours, la catégorie du genre de discours1 est communé- ment définie à partir de critères situationnels ; elle désigne en effet des 1. Même si certains spécialistes emploient d’autres termes ; par exemple « genre de texte » (F. Rastier) ou « action langagière » (J.-P. Bronckart). © Armand Colin | Téléchargé le 01/11/2021 sur www.cairn.info (IP: 89.137.230.224) © Armand Colin | Téléchargé le 01/11/2021 sur www.cairn.info (IP: 89.137.230.224) Le Français aujourd’hui n° 159, Les genres : corpus, usages, pratiques 30 dispositifs de communication socio-historiquement définis, et qui sont habituellement pensés à l’aide des métaphores du « contrat », du « rituel » ou du « jeu ». On parle ainsi de « genres de discours » pour un journal quotidien, une conversation, une émission télévisée, une dissertation, etc. Ils sont communément caractérisés par des paramètres tels que les rôles des participants, leurs finalités, leur médium, leur cadre spatiotemporel, le type d’organisation textuelle qu’ils impliquent, etc. Par nature, les genres évoluent sans cesse avec les sociétés dont ils sont partie prenante : la Révolution française, par exemple, peut être analysée comme une vaste opération de transformation des modes d’exercice de la parole publique et l’irruption d’Internet se manifeste par le développement de nouveaux genres de discours et l’affaiblissement d’autres genres. Mais cela ne signifie pas que le genre fonctionne de manière homogène pour toute activité de parole. On peut déjà distinguer deux grands régimes de généricité, comme le font d’ailleurs beaucoup de spécialistes du discours : le régime des genres conversationnels et le régime de ce que j’appelle les genres institués. Ces deux régimes obéissent à des logiques divergentes, même s’il y a continuité de l’un à l’autre. Les genres institués Pour aller vite, on pourrait dire qu’ils regroupent les « genres auctoriaux », familiers aux littéraires, et les « genres routiniers », familiers aux analystes du discours. Les genres « auctoriaux » sont le fait de l’auteur lui-même, éventuelle- ment d’un éditeur. En général, leur caractère auctorial se manifeste par une indication paratextuelle, dans le titre ou le sous-titre : « méditation », « essai », « dissertation », « aphorismes », « traité »… Cette généricité aucto- riale est particulièrement présente dans certains types de discours : litté- raire, bien sûr, mais pas seulement. On la trouve massivement aussi dans les discours philosophique, religieux, politique, journalistique… En attri- buant à tel texte telle étiquette générique, on indique comment on prétend qu’il soit reçu, on instaure de manière non négociée un cadre à l’activité discursive. Quant aux genres « routiniers », ce sont ceux qu’étudient avec prédilec- tion les analystes de discours : le magazine, l’interview radiophonique, la dissertation littéraire, les débats télévisés, la consultation médicale, la revue scientifique, etc. Les rôles joués par leurs partenaires sont fixés à priori par des institutions et restent normalement inchangés pendant l’acte de communication. Ce sont ceux qui correspondent le mieux à la définition du genre de discours comme dispositif de communication défini socio- historiquement. Pour de tels genres, cela n’a pas grand sens de se demander qui les a inventés, où et quand ; un érudit – à supposer que ce soit possible – peut toujours retrouver qui a agencé le premier journal télévisé ou la première ordonnance médicale, mais cela est sans conséquence sur le fonctionnement d’une routine. Les paramètres qui les constituent résultent en effet de la stabilisation, sous forme de normes, de contraintes liées à une activité verbale qui s’exerce dans une situation sociale déter- minée. © Armand Colin | Téléchargé le 01/11/2021 sur www.cairn.info (IP: 89.137.230.224) © Armand Colin | Téléchargé le 01/11/2021 sur www.cairn.info (IP: 89.137.230.224) « Genres de discours et modes de généricité » 31 Les genres conversationnels Ce ne sont pas des genres étroitement liés à des lieux institutionnels, à des rôles, à des scripts relativement stables. Leur composition et leur thématique sont le plus souvent très instables et leur cadre se transforme sans cesse. D’ailleurs, nombre de chercheurs se demandent si la catégorie du genre y est réellement pertinente. Tandis que dans les genres routiniers ce sont les contraintes globales (portant sur l’ensemble de l’activité verbale dont le texte est la trace) et verticales (c’est-à-dire imposées d’en haut par la situation de communication) qui dominent, dans les genres conversationnels ce sont les contraintes locales et horizontales (c’est-à-dire les stratégies d’ajustement et de négociation entre les interlocuteurs) qui l’emportent. Dans ces condi- tions, on comprend que les interactions conversationnelles soient difficile- ment divisibles en genres bien distincts ; se demander si une conversation entre collègues dans leur lieu de travail relève du même « genre » que la conversation des mêmes individus s’ils échangent leurs propos dans un autobus, c’est bien autre chose que se demander si une consultation médi- cale et un débat politique télévisé sont deux genres distincts. La scène d’énonciation Je ne m’intéresserai ici qu’aux genres de régime « institué », les seuls pour lesquels la notion même de genre de discours prend tout son sens. La distinction entre « auctorial » et « routinier » est encore trop grossière. Pour envisager les genres institués dans toute leur diversité, on distinguera quatre modes de généricité instituée, selon la relation qui s’établit entre « scène générique » et « scénographie ». Je rappelle, pour la compréhension de ce qui suit, que dans la « scène d’énonciation »2, je distingue trois scènes, qui jouent sur des plans complé- mentaires : la scène englobante, la scène générique, la scénographie. La scène « englobante » est celle qui correspond au type de discours. Quand on reçoit un tract dans la rue, on doit être capable de déterminer sur quelle scène englobante il faut se placer pour l’interpréter, à quel titre il interpelle son lecteur : type de discours administratif, politique, publici- taire, religieux… Une énonciation politique, par uploads/Litterature/ lfa-159-0029.pdf
Documents similaires
-
21
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Sep 16, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
- Taille du fichier 0.3804MB