Éléments de pragma-sémantique du groupe nominal. L’anaphore et la cataphore en

Éléments de pragma-sémantique du groupe nominal. L’anaphore et la cataphore en français et en roumain Simona-Aida Manolache 3 0. INTRODUCTION 0.1. Pourquoi une étude comparative de l’anaphore/cataphore? En tant que phénomènes linguistiques, l’anaphore1 et la cataphore2 sont définies généralement comme les deux manifestations possibles du même type de relation de dépendance orientée, établie entre deux segments (termes, expressions, propositions) de la chaîne énonciative, relation qui met en jeu un mécanisme référentiel particulier, de sorte que l’interprétation de l’un des segments – l’anaphorique/le cataphorique – est conditionnée par la présence de l’autre – l’antécédent/le subséquent – dans le cotexte (le texte qui précède et qui suit l’occurrence d’une unité linguistique). Lorsque l’antécédent précède l’anaphorique, on emploie le terme d’anaphore (1); au cas où le segment dépendant du point de vue référentiel, le cataphorique, précède le segment dont il a besoin pour l’interprétation, le subséquent, on parle de cataphore (2). (1) “Zoéi reconnut Hortyj. Ellei sei leva, sei serra contre luij. Ellei lâcha sesi couteaux, de peur de lej blesser.”3 (FCT:26) “Zoéi îl recunoscu pe Hortyj. Eai sei ridică, sei strânse la pieptul luij. Dădu drumul cuţitului de frică să nu-lj lovească.” (FCT:20) (2) “Ili court, un jeune veau en travers des épaules. Avant de sei lancer, ili a lui-mêmei entravé les pattes de l’animal avec les cordes de chanvre. […] Hortyi sent contre sa nuque la chaleur brûlante du corps de l’animal.” (FCT:11, premières lignes du roman) 1 Anaphore (1557 ; gr. ana – « en arrière, en remontant » gr. pherein – « porter ») est un terme métalinguistique polysémique: 1) Dans la rhétorique, il signifie la répétition d’un mot en tête de plusieurs membres de phrase pour obtenir un effet de renforcement ou de symétrie. 2) Julia Kristeva (1969:81) définit l’anaphore comme la mécanisme de renvoi à l’intertexte. Dans notre thèse nous ne prêtons pas attention de façon particulière à ces deux acceptions du terme «anaphore». 2 Cataphore (gr. kata – « en dessous, en bas, en descendant »): ce terme est utilisé pour la première fois par K. Bühler (apud M. Kesik, 1989:17). 3 Nous soulignons les antécédents ou les subséquents seulement lorsqu’il nous semble que cette mise en évidence facilite la lecture de notre thèse. Pour indiquer la coréférence – qu’elle implique ou pas une relation d’anaphore – nous utilisons les indices référentiels. 4 “[Ø]i Aleargă cu un viţel de-a latul spatelui. Înainte de a-şii lua avântul, a prins el însuşii picioarele animalului în frânghii de cânepă. […] Hortyi simte în ceafă căldura arzătoare a corpului animalului. ” (FCT:7) (Nous allons noter de cette façon – [Ø] – un anaphorique ou un cataphorique vide.) Cette distinction terminologique suggère les différences de fonctionnement dans les deux rapports référentiels : il y a des termes dans la langue française qui entrent presque toujours dans une relation anaphorique (les pronoms réfléchis); d’autres ne sont que des cataphoriques (certains groupes nominaux comprenant l’adjectif suivant et la plupart des interrogatifs, si l’on considère la relation entre les interrogatifs et la réponse comme une relation de cataphore, en passant sous silence la distinction entre le point de vue de l’encodeur et celui du récepteur). Diverses contraintes d’ordre syntaxique et sémantique imposent l’emploi et l’interprétation du même terme tantôt comme anaphorique, tantôt comme cataphorique. Pour ne donner qu’un exemple, dans la phrase Devant lui, Matthieu vit un saurien., lui et Matthieu peuvent renvoyer au même référent, c’est-à-dire à la même personne de la réalité extra-linguistique (et alors lui est cataphorique), ou à des référents différents. Au cas où le pronom est utilisé après le nom propre dans la chaîne énonciative – Devant Matthieu, il vit un saurien. – , la disjonction référentielle est obligatoire, le pronom il ne pouvant pas être pris pour un anaphorique qui ait le même référent que le nom Matthieu. Les traductions des extraits de textes qui nous ont servi à exemplifier l’anaphore et la cataphore mettent clairement en évidence l’absence d’une équivalence absolue entre le français et le roumain en ce qui concerne les moyens par lesquels se réalisent les relations anaphoriques et cataphoriques. Il faut préciser dès le début que les termes anaphore/anaphorique s’emploient beaucoup plus fréquemment dans le langage scientifique que les termes cataphore/cataphorique, vu que les premiers ont souvent un sens générique, en impliquant les relations exprimées par les derniers. M. Maillard (1974:56) schématise les deux relations que nous venons de mentionner de la manière suivante : 5 Une analyse attentive de ces mécanismes référentiels, apparemment si faciles à définir, dévoile leur grande complexité: ce n’est d’ailleurs pas par hasard que des centaines d’articles et de livres leur ont été consacrés ces dernières années. Le sujet est d’autant plus passionnant qu’il permet aux chercheurs de l’aborder de plusieurs points de vue: linguistique (syntaxique, sémantique), psycholinguistique, informatique. Les recherches dans le domaine de l’Intelligence Artificielle ont lancé un vrai défi aux sciences du langage, à cause de l’impossibilité d’“apprivoiser” les expressions anaphoriques et cataphoriques et de les renfermer dans un programme automatique de traduction d’une langue à l’autre, ou tout simplement dans un programme qui devrait résoudre de façon automatique la référence dans le dialogue homme-machine 4. En ce qui nous concerne, notre intérêt pour l’étude de l’anaphore et de la cataphore a été suscité à la suite de constats très banals, liés à des situations auxquelles nous nous confrontons tous les jours. Comme enseignante de langue française, nous avons remarqué le fait qu’une grande partie des fautes faites par nos étudiants dans les épreuves écrites ou les exposés ne relèvent pas de la morpho-syntaxe, mais tiennent plutôt à la méconnaissance des aspects spécifiques 4 Par exemple, A. Reboul et J. Moeschler (1998:132-133) citent le projet CERVICAL, ayant pour but la construction d’un outil informatique qui permette à la machine de trouver le bon référent d’une expression référentielle. ANAPHORE « lien référentiel » A B « référé » « référant » « chaîne énonciative » CATAPHORE « lien référentiel » B A « référant » « référé » « chaîne énonciative » 6 à la “mise en texte” et à des interférences entre le système des expressions référentielles du roumain et celui du français. D’ailleurs, quel enseignant roumain de français peut se vanter de n’avoir jamais trouvé dans les épreuves de ses élèves une chaîne anaphorique du type “Carteai … . Eai ….” traduite par “Le livrei … . Ellei …. ”? L’une des solutions possibles pour éviter ces fautes est de trouver et d’offrir aux étudiants des explications théoriques pertinentes et efficaces qui leur facilitent la compréhension des nombreux problèmes posés par le passage de la phrase au texte, y compris du maniement des anaphores lexicales ou pronominales transphrastiques. En tant que lectrice, nous avons été dérangée parfois par la présence dans les traductions roumaines de certains marqueurs référentiels qui nous ont semblé superflus, voire incompréhensibles. Les romans policiers et les divers autres livres qu’on trouve d’habitude dans les kiosques à journaux, et dont les traducteurs ne sont visiblement pas des meilleurs, sont bourrés de pronoms inutiles: “Alcoolul îi făcu bine lui Malko. Practic el dormea în picioare. Boeingul companiei Air India care-l adusesese de la New York nu avusese decât nouă ore întârziere, dar el nu avusese altă alegere la dispoziţie. Kuweit Airways nu ajungea pînă la New York. Ea (?) avea petrol, avea avioane, dar nu avea atâţia piloţi.” “Poarta se deschise în faţa lui Lo-Shing. Cu nasul turtit şi cu urechile în formă de conopidă, el părea scăpat dintr-o confruntare cu o betonieră. Născut în sudul Chinei, el avea statura masivă a ţăranilor din Yunan, cu un bust gros şi membre scurte. În ansamblu era un om abominabil, dar era omul cel mai bogat din Ventiane. El locuia într-o casă enormă verde.”5 Même dans le cas des traducteurs dont on ne saurait pas mettre en doute la compétence il y a des différences6 quant aux expressions référentielles (moins évidentes dans une lecture non-comparative) entre les variantes de traduction proposées : “Aussi quand cette année-là, la demi-mondaine raconta à M. Verdurin qu’elle avait fait la connaissance d’un homme charmant, M. Swann, et insinua qu’il serait très heureux d’être reçu chez eux, M. Verdurin transmit-il séance tenante la requête à sa femme. (Il 5 Ce sont des textes extraits de deux romans de Gerard de Villiers (Omorâţi-l pe Henry Kissinger et Mafia drogurilor, Editura Tinerama, traduits par Vasile Murgu), dont nous n’avons pas cru nécessaire de chercher les originaux. Si nous n’avions pas choisi de nous limiter aux traductions publiées, nous aurions pu utiliser, dans le même but argumentatif, certaines traductions fournies par nos étudiants. 6 Nous admettons théoriquement la possibilité que les différences entre les diverses variantes de traduction soient générées par des différences qui existent déjà entre les variantes originales utilisées comme textes de départ pour les traductions. 7 n’avait jamais d’avis qu’après sa femme, dont son rôle particulier était de mettre à exécution les désirs, ainsi que les désirs des fidèles, avec de grandes ressources d’ingéniosité.)” (RTP, 1994:14) (1) “De aceea, când demi-mondena povesti anul acesta domnului Verdurin că făcuse cunoştinţa unui uploads/Litterature/ lfc-pragma-semantica-manolache.pdf

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