Mikhaïl Lifschitz La philosophie de l’art de Karl Marx Traduction de Jean-Pierr

Mikhaïl Lifschitz La philosophie de l’art de Karl Marx Traduction de Jean-Pierre Morbois 2 Mikhaïl Alexandrovitch Lifschitz MIKHAÏL LIFSCHITZ. LA PHILOSOPHIE DE L’ART DE KARL MARX. 3 Note de l’éditeur. Ce texte, encore inédit en français, a été publié en russe en 1933. Il a été traduit en anglais par Ralph B. Winn, et publié en 1938, par the Critics Group à New-York, sous le titre The Philosophy of art of Karl Marx. Il a été à nouveau publié en 1973, à Londres, par Pluto Press. Nous donnons ici une traduction française de cette dernière édition en anglais. Mikhaïl Alexandrovitch Lifschitz (Михаи́л Алекса́ндрович Ли́фшиц), 1905-1983, est l’auteur et l’éditeur de nombreux livres et articles sur l’esthétique marxiste, dont Marx et Engels sur l’art (1933), et Lénine sur la culture et l’art (1938). À partir de 1925, Lifschitz a été professeur de philosophie et d’esthétique dans des instituts d’enseignement supérieur à Moscou. Il a notamment travaillé en collaboration avec Georg Lukács à l’Institut Marx-Engels et à la rédaction de la revue Literarturny Kritik. Ses écrits vont d’études de la culture bourgeoise contemporaine aux rapports entre engagement politique et production artistique. Après la guerre, l’essentiel de son travail a été consacré à la culture russe et à la culture européenne moderne. La philosophie de l’art de Karl Marx est remarquable pour l’originalité de sa méthode dans l’approche de son sujet, l’esthétique chez Marx. Loin d’être une simple compilation des commentaires de Marx sur l’art et la littérature, elle traite ses écrits comme une partie intégrante de l’ensemble de sa pensée. Dans son argumentation complexe, mais claire, Lifschitz démontre les rapports entre l’évolution des vues de Marx sur l’art et celle de sa théorie révolutionnaire, allant des propres poèmes romantiques de jeunesse de Marx jusqu’au Capital. Au long du livre, on étudie quelques commentaires de Marx sur l’art, issus de carnets de notes ou d’articles qui sont encore peu connus. 4 Note du traducteur. Nous avons fait ici ce qu’il ne faudrait jamais faire : traduire une traduction, traduire de l’anglais en français ce qui avait été d’abord écrit en russe et traduit du russe en anglais, prenant ainsi le risque d’ajouter nos propres interprétations et nos propres erreurs aux interprétations et erreurs éventuelles du traducteur anglais. Que répondre à cela, sinon que nous désirions lire ce texte rédigé par quelqu’un qui fut un proche collaborateur de Georg Lukács, le grand philosophe et esthéticien hongrois d’expression allemande ? Nous l’avons lu en anglais parce que ce texte n’était disponible que dans cette langue et que, n’ayant pas étudié le russe, nous aurions été bien incapables de le faire dans sa version originale si nous avions pu l’avoir entre les mains. L’ayant lu, nous avons voulu faire partager au lecteur français l’intérêt de cet ouvrage, qui ne traite pas chaque texte de Marx comme des paroles sacrées, avec une révérence dogmatique, mais les replace dans l’itinéraire intellectuel, philosophique de leur auteur, dans leur évolution historique. Nous espérons avoir rendu avec la meilleure fidélité possible les développements et les idées de Lifschitz, tâche qui nous a sans doute été facilitée par la proximité, l’analogie de syntaxe, entre l’anglais et le français. En revanche, toutes les citations reproduites en italique ont été confrontées avec les versions françaises existantes et référencées en conséquence. Souvent, nous avons recherché ces références alors même qu’elles ne figuraient pas dans le texte à notre disposition. Les mots en caractères gras dans les citations en italique correspondent aux mots qui figuraient en italique dans le passage originel cité. Nous avons de plus donné sous forme de notes de bas de page des indications concernant les noms cités. Seules les notes signées M.L. sont de l’auteur. Les autres ont été ajoutées par l’éditeur anglais ou par nous-mêmes. JPM MIKHAÏL LIFSCHITZ. LA PHILOSOPHIE DE L’ART DE KARL MARX. 5 Préface Terry Eagleton Étant donné que Karl Marx avait bien d’autres tâches plus urgentes à accomplir que la formulation d’une théorie esthétique systématique, le titre de ce livre peut paraître trop ambitieux. Que ce titre n’est pas injustifié ne devient en fait clair qu’une fois pleinement admis le large domaine qu’il permet à Lifschitz d’aborder. Il y a eu bien d’autres études sur les écrits de Marx sur l’art et la littérature, mais peu d’entre elles ont considéré, comme le fait ce livre, qu’il fallait analyser les jugements esthétiques de Marx comme faisant partie intégrante de sa pensée théorique générale. Lifschitz refuse de distinguer une « philosophie de l’art » dans l’ensemble des écrits de Marx, comme la critique littéraire bourgeoise a eu coutume de le faire. Au contraire, il se propose de replacer quelques uns des thèmes esthétiques les plus importants de l’œuvre de Marx dans leurs rapports intrinsèques à l’ensemble dynamique de sa pensée. Ce faisant, Lifschitz sape implicitement l’argument selon lequel la nature dispersée, souvent fragmentaire, des commentaires de Marx sur l’art et la littérature refléterait, de la part de Marx, un intérêt purement occasionnel, empirique, pour ce sujet, et que ce serait là la conséquence funeste de la priorité donnée à l’économie. Au contraire, il démontre comment, à partir de ses propres expériences de jeunesse dans toute une série de formes littéraires, jusqu’aux implications esthétiques de certaines catégories utilisées dans Le Capital, Marx s’est toujours senti concerné, de près, par les productions de l’imagination. Cet intérêt, comme le montre Lifschitz, s’est manifesté dans toute une série de prises de positions théoriques de Marx. Le problème de l’art fut un sujet de controverses dans ses rapports de jeunesse avec Hegel et les jeunes hégéliens, il intervient dans son analyse des sociétés antiques et de la fonction idéologique de la religion. Sous la 6 forme d’une attaque du romantisme, il intervient dans sa critique des politiques réactionnaires de la classe dirigeante allemande. Loin d’être un simple intérêt accessoire ou une fioriture, il apparaît comme un élément relatif, mais important, dans la compréhension par Marx de la production sociale, de la division du travail, et du produit comme marchandise. On peut voir son influence dans le développement des concepts de fétichisme, de sensibilité, et d’abstraction. C’est la raison pour laquelle Lifschitz refuse de se limiter aux thèmes les plus familiers de l’esthétique de Marx. Son analyse s’étend aussi bien de la thèse de doctorat sur Épicure qu’à l’étude de l’art grec dans les Grundrisse, aussi bien du Capital qu’aux débats littéraires de la Sainte Famille. La philosophie de l’art renvoie donc moins à une sous-section particulière des œuvres de Marx qu’à un point de vue original, cohérent, à partir duquel on peut envisager une partie de la trajectoire de son travail. Mais à l’inverse, cela ne veut pas dire que le thème soit choisi pour des raisons purement méthodologiques, ni que le propre intérêt de Marx pour l’art et la littérature soit purement méthodologique. La situation est plus complexe que cela. L’art ne peut être étudié qu’historiquement, encore qu’il ait une autonomie relative, comme toutes les superstructures. Il est par lui-même impuissant à émanciper les hommes qui se battent dans la société de classes, et pourtant, même actuellement, il peut produire des images puissantes de cette émancipation. Dans les Manuscrits de 1844, Marx semble voir dans l’art une préfiguration de la sensibilité raffinée et renforcée des hommes libérés de l’aliénation historique. Mais il insiste aussi sur le fait que ce n’est que par un développement objectif de la nature humaine qu’un tel « monde de la sensibilité subjective humaine » sera créé. La phrase finale de ce livre, qui dit « l’art est mort ! » et ajoute ensuite « vive l’art ! », semble fidèle à ce point de vue. MIKHAÏL LIFSCHITZ. LA PHILOSOPHIE DE L’ART DE KARL MARX. 7 La philosophie de l’art de Karl Marx. Karl Marx, le plus grand penseur et dirigeant du mouvement révolutionnaire de la classe ouvrière, est né à une époque où l’intérêt des hommes avait commencé à se détourner de la littérature et de l’art au profit de l’économie politique et de la sociologie. Même le dix-huitième siècle, cet âge classique de l’esthétique, n’avait pas pu en rester aux abstractions comme « le beau » et « le sublime ». À l’arrière-plan des débats purement esthétiques relatifs au rôle du génie, à la valeur de l’art, à l’imitation de la nature, les problèmes pratiques du mouvement démocratique bourgeois se profilaient avec une insistance croissante. La grande Révolution française a représenté à cet égard une transition. Dans le développement du tiers état, la « période esthétique » s’est arrêtée là où les intérêts de la bourgeoisie se séparaient des intérêts de la société dans son ensemble. Au cours du temps, l’attitude de la bourgeoisie à l’égard de l’art est devenue franchement pragmatique. Les problèmes de l’art étaient partout liés aux problèmes des affaires et de la politique. La revendication de la liberté esthétique a été suivie du combat pour le laissez-faire et les tarifs protectionnistes. Et une fois que la bourgeoisie est parvenue à la domination politique, les problèmes de l’histoire et de l’art ont perdu toute uploads/Litterature/ lifschitz-art-marx-scribd.pdf

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