La littérature contemporaine Sébastien Rongier Paris I 28 novembre 2008 En effe

La littérature contemporaine Sébastien Rongier Paris I 28 novembre 2008 En effet, la littérature contemporaine, comme l’art contemporain, ne saurait se réduire à une définition, une forme, une problématique. Elle est au contraire traversée par des courants, des lignes directrices, des errements, des singularités et des lignes de fuites. La période contemporaine est marquée par une grande dispersion, il faut donc affronter la pluralité. Les périodes précédentes connaissaient bien sûr une grande pluralité mais elles étaient marquées par des lignes théoriques, des courants, des écoles, des avant-gardes, toutes choses qui ont aujourd’hui disparu. Philippe Forest distingue trois périodes à propos du roman : Un premier 20ème siècle exprimant le monde et la condition humaine (assumant souvent une fonction réaliste) : on irait de Proust, Céline à Sartre, Camus, c’est-à-dire d’une expérimentation de la pensée dans la littérature à l’expression de l’engagement ou de la révolte, voire une littérature qui embrasserait la totalité des éléments du réel. Un second 20ème siècle serait celui des utopies avant-gardistes dans lesquelles on retrouverait le surréalisme, le nouveau roman, Tel Quel ou le théâtre de l’absurde, et quelques autres. Enfin, un changement de paradigme s’opère depuis trente ans, depuis les années 80. On constate un épuisement des théories et des avant-gardes dans la littérature, une plus grande dispersion des formes et des expérimentations. Dans un geste panoramique, Dominique Viart distingue trois lignes directrices pour envisager la littérature contemporaine : • Une littérature consentante. Elle est du côté de l’imagination romanesque, elle pioche dans un réservoir fictionnel et globalement demeure dans la répétition du connu. • Une littérature concertante. C’est une littérature qui serait dans les clichés du moment, dans le bruit culturel contemporain entre scandale calibré et formules répondant au bain du spectacle ambiant. La préoccupation n’est pas ici l’écriture, mais plutôt le coup ou le bruit de fond médiatique. • Une littérature déconcertante. C’est une littérature qui déplace l’attente, qui échappe au préconçu, au prêt-à-penser culturel. Elle s’extrait du simple régime de la consommation (la consommation des signes du spectacle et du spectaculaire). L’enjeu de ces écritures, déranger les consciences d’être au monde, tenter de dire ou signifier le réel, la violence du monde, ou de l’intimité sans céder sur les questions d’écriture : de nouvelles significations impliquent de nouvelles formes, de nouvelles syntaxes. La littérature contemporaine vient inventer de nouvelles adéquations du langage au monde (proposer de nouvelles articulations entre signification des mots et visibilité des choses) alors même la littérature vit dans l’effondrement de toute destination finale. A partir du 19ème siècle se mettent en place les conditions de son autonomie. Avec la modernité, la littérature ne compte plus que sur elle-même et avec elle-même. Désormais, le rapport qu’elle entretient avec la société est un rapport de tension. Le matériau est l’expression de cette tension et la pensée benjaminienne ou adornienne de la modernité l’expression de la tension et de l’aporie créatrice. Dans un récent essai, Le Roman, le réel, Philippe Forest propose une lecture moderne et aporétique du roman. Il pense le roman comme confrontation déchirante avec le « réel » qu’il distingue de la réalité. La réalité comme simulacre d’objectivité du monde, fausse stabilité interdisant l’expérience du réel. Cette réalité est forme de programmation d’existence, de pensée et de gestes, une stéréotypie interchangeable du vraisemblable (on retrouve ici le poids de l’héritage aristotélicien… et Forest de dénoncer également l’impasse de la catharsis pour l’exploration du pathos). Pour Forest, la seule aventure d’écriture envisageable contre cette mimétique, c’est l’expérience nue du réel, envisagée comme expérience de l’impossible, comme négativité, donc déchirure, qui ne se résout ni dans l’abstraction ou le formalisme, ni dans le néo-naturalisme. Sous la double tutelle de Lacan (« Le Réel, c’est l’impossible ») et de Bataille (« L’impossible, c’est la littérature »), Forest pose l’approche du réel comme une nécessité et une impossibilité : une nécessité consciente de son impossibilité, la nécessité d’aller au devant de ce qui se dérobe, de ce qui se pose comme déchirement, vacillement, vertige, rebut et incertitude. Forest résume ainsi la thèse de son livre : « Le roman répond à l’appel du réel – tel que cet appel s’adresse à chacun dans l’expérience de l’ « impossible », dans le déchirement du désir et celui du deuil (…). Quelque chose arrive alors qui demande à être dit et ne peut l’être que dans la langue du roman car cette langue seule reste fidèle au vertige qui s’ouvre ainsi dans le tissu du sens, dans le réseau des apparences afin d’y laisser apercevoir le scintillement d’une révélation pour rien (…). Tel est le réalisme du roman qui procède de l’existence afin d’en produire une représentation qui rende compte de l’expérience vécue (…) et dont se déduit une vérité, le labeur de l’écrivain consistant à la reprendre sans fin, à s’en revenir sans cesse vers elle (…) » [3] Ou encore de lire un entretien dans Devenirs du roman (inculte-naïve, 2007) « Le texte romanesque n’est l’espace d’aucune réconciliation, d’aucun salut donc, juste celui d’une déchirure par laquelle passe le jeu d’une incessante circulation qui nous met en relation avec la vérité – elle-même déchirée – de nos vies. » (p.175) C’est dans cet espace que la littérature s’affronte au monde et prend toute sa valeur, sa puissance et son importance esthétique. Le but fixé pour ce cours est double : — d’abord faire découvrir certains aspects de la littérature contemporaine par la lecture, l’analyse de textes, la présentation de problématique qui occupent la littérature et qui s’articulent aux formes contemporaines de l’art. Peut-être pourra-t- on également envisager ces aspects. — Ensuite, faire un travail d’écriture, proposer une forme d’atelier d’écriture dans le cadre du cours ; une pratique pour nourrir les enjeux du littéraire mais également vous permettre d’interroger une forme artistique de plus en plus répandue dans l’art contemporain. Il s’agit de tenter une prise de conscience sur les enjeux de l’écriture en souhaitant qu’elle puisse alimenter votre pratique artistique, et tout simplement élargir un horizon de culture. uploads/Litterature/ litterature-contemporaine.pdf

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