Livres et bibliothèques à la fin du Moyen Âge Des évangéliaires carolingiens au

Livres et bibliothèques à la fin du Moyen Âge Des évangéliaires carolingiens aux romans de chevalerie enluminés du xive siècle, vaste est le chemin parcouru et innombrables les formes et les usages du livre tout au long du Moyen Âge : lié d’abord à une culture princière il s’ouvre peu à peu à des publics plus larges, aristocratique, bourgeois, savant. Les conditions de sa fabrication se modifient elles aussi puisqu’aux scriptoria monastiques se substituent à partir du xiie siècle des ateliers laïques évoluant dans la mouvance des universités en plein essor, et puisque autour des xive et xve siècles la pratique émergente du mécénat donne naissance à des commandes de manuscrits somptueusement décorés. Peu à peu la place du texte biblique diminue au profit des œuvres de l’Antiquité grecque et romaine redécouvertes, d’encyclopédies, de récits de voyages, de gloses universitaires ou de romans courtois… C’est à travers le prisme d’une bibliothèque particulière, celle du roi Charles V (1364-1380), premier roi lettré de la tradition française, qu’est ici proposée l’approche de cette diversité du livre médiéval et que sont suggérées quelques étapes de son évolution : un voyage donc dans la librairie du roi située à l’intérieur du château du Louvre dans la tour de la Fauconnerie, où les collections héritées de saint Louis voisinent, signe des temps nouveaux, avec les nouvelles productions fraîchement traduites du latin au français à la demande du roi lui-même. Conservés pour certains d’entre eux à la BnF, ces manuscrits attestent de la nouvelle place du livre dans les sphères du pouvoir à la fin du Moyen Âge : livres, miroirs du Prince et instruments du Bon Gouvernement… La librairie de Charles V (1364-1380) Benoît de Sainte-Maure, Roman de Troyes BnF, Manuscrits, français 782 Rédaction : Soizic Donin L’objet livre à la fin du Moyen Âge Quelle est la part de l’écrit au Moyen Âge ? Le Moyen Âge est associé à un recul de la place de l’écrit. Le mot même de « moyen âge » fait référence à une époque de déclin, d’ignorance, d’inculture. Cette vision construite au fil du temps est partielle. La société médiévale n’est pas une société alphabétisée, au sens où seule une petite minorité a accès à la chose écrite. Les livres sont rares – avant l’imprimerie, le livre est nécessairement un manuscrit, c’est-à-dire copié à la main. Il est le produit d’un long processus de fabrication. Mais la société médiévale n’est pas une société sans écriture : l’écrit y a une valeur de référent bien que la parole et le geste jouent encore un rôle essentiel dans l’expression de la foi comme dans la transmission du savoir. Qui fabrique les livres au Moyen Âge ? La fabrication d’un manuscrit est collective et nécessite l’intervention de nombreux artisans, de plus en plus spécialisés. Parcheminiers, fabricants d’encres, copistes, enlumineurs, peintres, relieurs… L’objet livre passe de main en main. Des feuillets de parchemins pliés en cahiers jusqu’au manuscrit achevé, protégé par des ais de bois et une couverture en cuir maintenue par des fermoirs, tous les savoir-faire concourent à faire du livre un objet d’art. Ces savoir-faire, développés dans les milieux monastiques des débuts du Moyen Âge, sont transmis progressivement à des laïcs regroupés en corporations. Les villes, et en particulier Paris, deviennent les hauts lieux de production livresque. Où se trouvent les livres ? Les livres sont des objets transmis par héritage, dans les grandes lignées royales par exemple, ou attachés à un lieu, comme une communauté monastique. Ce sont aussi des objets que l’on peut acquérir dans les grandes villes, auprès des libraires qui fournissent l’université. Si les grandes collections de livres sont le plus souvent des biens collectifs, possessions d’ordres religieux, il y a de plus en plus, à la fin du Moyen Âge, de collections particulières, modestes ou fastueuses, comme dans le cas des bibliothèques aristocratiques et royales. Qui sont les lettrés au Moyen Âge ? Le livre est précieux car les textes sont rares, les copies peu nombreuses. Les lettrés se passionnent pour la recherche des manuscrits complets et de belle facture, comprenant le moins de fautes de copie possible. Les « best-sellers » médiévaux sont des ouvrages qui circulent à quelques centaines d’exemplaires dans toute l’Europe. Les livres sont des trésors par leur contenu, que ce soit la parole divine dans les livres religieux ou le savoir universitaire dans les compilations savantes. Les livres de divertissement des princes, à partir du xive siècle, sont aussi précieux mais par leur forme : ce sont de véritables tapisseries sur parchemin, des tableaux miniatures. Les lettrés ne sont plus seulement des clercs, instruits et formés par l’Église. À la fin du Moyen Âge, les lettrés sont aussi secrétaires de chancellerie, conseillers du roi, avocats… Ils forment des petites communautés de « gens de savoir », essentiellement masculines, même si, dans les milieux de la cour, certaines femmes de lettres se font connaître, comme Christine de Pisan. Les copistes enlumineurs se représentent parfois au sein même du livre en train d’être réalisé, comme dans ce décor marginal d’un manuscrit du Roman de la Rose. Il s’agit ici de Richard et Jeanne de Montbaston, un couple d’enlumineurs et de libraires-jurés, de la première moitié du xive siècle. Leur boutique est située rue Neuve-Notre-Dame et ils possèdent aussi une maison rue des Percées, près de Saint-André des Arts. Ils se spécialisent dans la copie de romans de la rose et en ont produit au moins une vingtaine d’exemplaires. Mari et femme sont représentés ici à leur table de travail, entourés de feuilles de parchemin fraîchement enluminées, en train de sécher. (Marie-Hélène Tesnière, Paris, capitale du livre) Bologna, Biblioteca Universitaria, MS 1465, f. 3 Dessin à l’encre représentant une échoppe urbaine de parcheminiers. À Paris, les parcheminiers sont installés à côté de l’église Saint-Séverin, dans la rue des Écrivains devenue rue de la Parcheminerie en 1397. Ils commercialisent le parchemin dont l’Université a réglementé l’approvisionnement, qu’ils achètent à côté, au couvent des Mathurins. (Marie-Hélène Tesnière, Paris, capitale du livre) BnF, Manuscrits, français 25526, f. 77 v° Roman de la Rose, Paris, second quart du xive siècle. Les livres, pendant les premiers siècles du Moyen Âge, sont produits et conservés principalement dans les monastères. Dans le scriptorium, les moines recopient et illustrent des textes religieux mais aussi des œuvres profanes de l’Antiquité classique. Les scriptoria ne travaillent pas seulement pour leur propre monastère, elles jouent aussi un rôle analogue à celui d’une maison d’édition, fournissant en copies les princes ou les églises. À partir de la seconde moitié du xiie siècle, l’essor des villes et des universités entraîne la mise en place de nouvelles structures de production du livre qui se développent sous le contrôle des autorités universitaires. Autour d’un nouveau personnage, le libraire, gravitent parcheminiers, copistes, enlumineurs et relieurs. Ces artisans se regroupent en corporations qui ont chacune leur spécificité. On assiste à une parcellisation des tâches : le libraire, en tant que maître d’œuvre du livre, répartit le travail entre les différents corps de métiers. Il possède un certain nombre de textes manuscrits dont la correction a été vérifiée par l’Université. Ces manuscrits, appelés exemplaria, servent de modèles et se présentent sous la forme d’un ensemble de cahiers séparés, de quatre feuillets chacun, appelés pecia ou pièce. Les cahiers, numérotés, peuvent être loués séparément moyennant une somme modique. L’adoption de ce système dit de la pecia accélère la rotation des exemplaires tout en préservant la qualité des textes mis en circulation. Les libraires sont les garants du bon fonctionnement du système : ils prêtent serment devant le recteur de l’Université et doivent acquitter une caution. À Paris, quatre libraires-jurés choisis par leurs pairs veillent au respect de la réglementation. Les maîtres des corporations du livre travaillent avec leurs apprentis auxquels ils délèguent une partie des tâches tout en leur transmettant un savoir-faire. Entre 1292 et 1300, on recense à Paris 25 parcheminiers, 18 enlumineurs, 20 libraires et 5 relieurs de livres qui exercent principalement sur la rive gauche et l’île de la Cité. Assimilables à des marchands aisés, les libraires occupent le sommet de l’échelle sociale, suivis par les parcheminiers, considérés comme des commerçants ; viennent ensuite les enlumineurs et les relieurs. La production de livres augmente considérablement pour répondre à la demande des étudiants et professeurs de l’université, ainsi que des princes et des clercs de la cour. Jusqu’au milieu du xive siècle, la production de livres neufs est soutenue par la croissance économique alors que les multiples difficultés de la fin du xive siècle et du début du xve ralentissent sensiblement la production. L’invention de l’imprimerie et sa diffusion à partir du milieu du xve siècle bouleversent radicalement la production de livres – à tel point que le mot « librairie » ne signifie plus « bibliothèque » mais « commerce des livres » à partir du xvie siècle. Même parmi les gens qui sont alphabétisés à la fin du Moyen Âge, peu ont accès à un grand nombre de livres. Qu’ils soient marchands, issus de la petite noblesse ou uploads/Litterature/ livres-et-bibliotheques-a-la-fin-du-moyen-age.pdf

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