Septième Colloque Maghrébin sur l'histoire des mathématiques arabes (Marrakech,
Septième Colloque Maghrébin sur l'histoire des mathématiques arabes (Marrakech, 30-31 mai et 1er juin 2002) Le manuscrit mathématique de Jerba : Une pratique des symboles algébriques maghrébins en pleine maturité Mahdi Abdeljaouad (Université de Tunis) [Nous tenons à remercier M. Sélim al-Bassi, propriétaire du manuscrit de Jerba, qui nous a permis de consulter, reproduire et étudier ce manuscrit dans les meilleures conditions. Ce travail n'aurait pu être achevé sans l'aide de M. Foued Anane, professeur de mathématiques à Houmt Souk (Jerba), nous lui en sommes sincèrement reconnaissant.] Introduction En partant des travaux et publications sur les symboles mathématiques - particulièrement ceux de Woepke qui découvre en 1854 les symboles mathématiques maghrébins à travers un manuscrit d’al-Qalasādi (m. 1486), de Mohamed Souissi qui, à partir de 1986, édite plusieurs traités d'algèbre du XVème siècle dans lesquels ces symboles sont couramment employés et d’Ahmed Djebbar (1990) qui repousse de deux siècles la pratique de ces symboles - nous ferons le point de l'état des recherches sur ce sujet, puis, en utilisant la typologie des symboles mathématiques proposée par Nesselmann (1842) et remise à jour par Serfati (1980), nous présenterons les symboles algébriques maghrébins. La description que nous donnerons de ces symboles se base sur un manuscrit tardif du XVIIIème siècle, découvert à Jerba, dans la marge duquel une utilisation abondante et systématique de la notation algébrique maghrébine attire l’attention, avec plus de trois cents occurrences dans des situations différentes, parfois simples et parfois très complexes. Nous présenterons donc ce manuscrit et analyserons en détail l’emploi qui y est fait des symboles. Mahdi Abdeljaouad : Le manuscrit de Jerba 2 Notre travail comporte deux parties, détaillées comme suit : 1. L’utilisation des symboles dans l’algèbre arabe 1.1 Les recherches antérieures sur les symboles mathématiques arabes 1.2 Typologie de l'algèbre symbolique 1.3 Symboles mathématiques andalous … ou maghrébins ? 1.4 Hypothèses 1.5 En guise de conclusion de la première partie 2. Le manuscrit de Jerba 2.1 Présentation du manuscrit 2.2 Analyse détaillée des symboles utilisés dans ce manuscrit 2.3 Utilisation des symboles dans les problèmes algébriques 2.4 Compétences de l’auteur de la marge 3. Conclusions et perspectives Colloque 2002 de Marrakech 3 1 . L’utilisation des symboles dans l’algèbre arabe 1 . 1 Les recherches antérieures sur les symboles mathématiques arabes Les recherches sur les symboles mathématiques arabes n'ont pas été nombreuses dans le passé : en fait, on peut considérer que Woepke1 les a découverts en 1854 et que Cajori2 les a popularisés en 1928. Les travaux de Mohamed Souissi sur al-Qalasādi et la thèse d'Ahmed Djebbar3 sur les mathématiques maghrébines ont ravivé l'intérêt qu'on leur porte. En revanche, de nombreux historiens des mathématiques, et en particulier Serfati4 dans sa thèse de doctorat, les ignorent totalement. Dans ses travaux de 1854, F.Woepke introduit sa découverte des notations algébriques arabes à partir d'un manuscrit d'al-Qalasādi. Pour Woepke, les traités d'algèbre des Arabes d'Orient "présentent cette science sous une forme exclusivement discursive et parlée, et qui n'admet aucun genre de notation, tandis que l'algèbre des Grecs et celle des Indiens nous offrent déjà des commencements d'une notation algébrique. Je pense donc que la découverte d'une notation algébrique très développée chez les arabes de l'Occident, peut offrir un certain intérêt pour l'histoire des sciences. Cette notation est presque aussi complète qu'elle pouvait l'être tant que l'algèbre elle-même restait numérique. Car, je me hâte de le dire, quelque honneur que l'invention de cette notation puisse faire aux géomètres arabes, elle ne diminue en rien la gloire de Viète ..."(Notes, page 162) 1 François Woepke, Notes sur les notations employées par les arabes, Académie des sciences, vol. 39, pp. 162- 5 , Paris 1854 et Recherches sur l'histoire des sciences mathématiques chez les orientaux, Journal Asiatique, 5ème série, vol. IV, Paris 1854. 2 Florian Cajori, A History of Mathematical Notations, publié à Chicago en 1928-29. Nous utiliserons la réédition moderne de cette oeuvre publiée par Dover Publications Inc., New York, 1993. 3 Ahmed Djebbar, Enseignement et recherche mathématiques dans le Maghreb des XIIIème - XIVème siècles, Thèse de doctorat, Publications mathématiques d'Orsay, 1985, n°81-02. 4 Michel Serfati, La constitution de l'écriture symbolique mathématique, Thèse de doctorat de l'Université Paris 1, 1997. [Sans présenter une analyse systématique de cette thèse, nous lui proposons ici quelques commentaires : L'auteur introduit une terminologie utile: relation cossique - nombres cossiques pour parler de Clavius (1608). Cependant sa conception de l'histoire des notations algébriques est assez surprenante: Il passe allègrement des Egyptiens (le Hau calcul) à Diophante puis à la Renaissance européenne, la parenthèse indienne et arabe étant qualifiées de temps naïfs (page 42). En fait tout ce qu'il dit au sujet de Clavius s'applique parfaitement aux algébristes arabes, d'autant plus que l'auteur a tendance à confondre les problématiques liées au concept de l'inconnue qui permet la mise en place d'une méthode de raisonnement par l'analyse et la représentation de l'inconnue par un signe qui permet une "mécanique aveugle du calcul". Cette confusion permanente entre le processus algébrique et l'usage des symboles constitue, d'après nous, une faiblesse caractérisée dans cette thèse. Quelles sont les limitations des procédés purement rhétoriques? A cette question, on trouve chez Serfati plusieurs réponses tout au long de la thèse. Page 43, l'auteur pense que l'absence de symboles ne permet pas de résolution générale des équations étudiées jusqu'au XVIIème siècle, puisque chaque résolution requiert "une ingéniosité particulière". Il faut en fait nuancer, puisque l'on sait que l'absence de notation symbolique n'a pas empêché Omar al-Khayyam, ni Sharaf ad-Din at-Tusi de résoudre géométriquement toutes les équations de degré inférieur ou égal à trois. L'auteur occulte complètement l'algèbre et la symbolique arabes, même dans les typologies retenues: L'algèbre arabe n'est explicitement classée ni dans le système diophanto-cossique, ni évidemment dans le système moderne né avec Viète, Descartes et Leibniz. On y fait allusion de très rares fois. On ne comprend pas pourquoi occulter al-Karāgi et as-Samaw'al véritables concepteurs d'une symbolique des tableaux répondant aux caractéristiques établies par l'auteur, ainsi que la symbolique maghrébine elle aussi satisfaisant à d'autres caractères originaux. Dans le paragraphe illustrant le rôle du changement de variable, aucune allusion à Karāji ou à Sharaf ad-Din at-Tusi qui en ont fait un outil majeur dans la résolution des équations. L'absence des Arabes dans cette thèse en fragilise l'argumentation. Elle surprend d'autant plus que les travaux de recherche et les publications récentes sur l'algèbre arabe sont nombreux et connus. Concernant le fonctionnement des systèmes symboliques, l'auteur, grâce à son travail d'analyse, a effectivement fait apparaître plusieurs propriétés des systèmes symboliques, mais là où nous ne pouvons le suivre, c'est lorsqu'il affirme que ce sont des propriétés caractéristiques de ces systèmes. En effet, il n'est pas difficile de montrer que certaines de ces propriétés (prédicat absent, changement d'inconnue, délimitants, ...) se trouvent en fait dans l'algèbre rhétorique arabe, souvent objet de clarifications explicites. ] Mahdi Abdeljaouad : Le manuscrit de Jerba 4 Dans son article paru dans le Journal Asiatique, Woepke détaille sa découverte en présentant tous les symboles mathématiques arabes tels qu'ils apparaissent dans une copie de Kashf al-Asrar fi 'ilm Huruf al-Ghubār d'al-Qalasādi. Pour confirmer la valeur de sa découverte et affirmer que l'emploi de ces symboles n'est pas isolé, il cite ce passage des Prolégomènes d'ibn Khaldun : "L'auteur [ibn al- Banna] a pris pour guide dans cet ouvrage le traité intitulé Fikh al-Hissab (la science du calcul) de ibn al-Mon'im et le traité intitulé al-Kāmil d'al-Ahdab. Il résuma les démonstrations de ces deux ouvrages, et autre chose encore en fait de ce qui concerne l'emploi technique des signes [ou bien des lettres de l'alphabet] dans ces démonstrations servant à la fois pour le raisonnement abstrait et pour la représentation visible (figurée), ce qui est le secret et l'essence de l'explication (des théorèmes du calcul) au moyen des signes". (Recherches …page 371). Woepke signale aussi la présence de deux autres occurrences de symboles algébriques : la première dans une traduction latine - qu'il attribue à Gérard de Crémone - d'un traité d'algèbre arabe, et la seconde trouvée dans un manuscrit persan de la Bibliothèque Impériale, utilisant des notations algébriques différentes de celles d'al-Qalasādi. En effet, ce qui y est utilisé, ce ne sont pas les premières lettres des mots, mais les dernières : ﺩpour ﺁﺣﺎﺩa'had, ﺭpour ﺟﺬﻭﺭjoudhour, ﻝpour ﻣﺎﻝmal, ﺏpour ﻛﻌﺐkaab, ﻟﻞpour ﻣﺎﻝ ﻣﺎﻝ māl māl, ﺑﺐpour ﻛﻌﺐ ﻛﻌﺐkaab kaab et pour les inverses la lettre ﺍest ajoutée au quotienté pour exprimer le terme ﺟﺰءjuz u' : ﺭﺍpour ﺟﺰء ﺟﺬﺭ1/x , ﻻpour ﺟﺰء ﻣﺎﻝ1/x² , ﻟﻼ pour ﺟﺰء ﻣﺎﻝ ﻣﺎﻝ1/x4. Dans son monumental History of Mathematical Notations, publié en 1928, F. Cajori reprend les découvertes de Woepke et en rend compte minutieusement à la page 86, puis aux pages 93 et 94. Tobias Dantzig publie en 1974 un ouvrage1, dans lequel il consacre le chapitre 5 aux symboles mathématiques mais montre une ignorance totale des notations algébriques arabes. Après avoir magnifié l'apport des Arabes en algèbre, Dantzig se pose cette question édifiante : "En dépit de tout ceci, les Arabes n'ont pas fait progresser d'un iota la notation uploads/Litterature/ mahdi-abdj-quad-11.pdf
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- Publié le Nov 16, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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