Malpertuis Malpertuis est le roman fantastique le plus célèbre de Jean Ray. Il

Malpertuis Malpertuis est le roman fantastique le plus célèbre de Jean Ray. Il fit - et fait encore - l’objet de nombreuses études, fut l'un des tout premiers titres à être publié par la collection Présence du Futur des éditions Denoël et le premier roman rayen republié par les éditions Marabout, il eut une adaptation cinématographique d’Harry Krümel et bien que le nom de Jean Ray ne soit connu du lecteur lambda, les amateurs de ce genre littéraire et les anthologies ne parlent pas du fantastique sans évoquer Jean Ray et son roman Malpertuis. Cependant, Malpertuis doit-il vraiment être considéré comme un roman purement fantastique ? Avant de pouvoir répondre à cette question, il serait intéressant de revenir sur la définition de ce genre ainsi que sur la place qu’il s’est forgé dans la littérature belge : A propos du fantastique, Jean Bellemin-Noël, dans son Histoire littéraire de France formule ceci: "Le fantastique vit d'ambiguïté. [...] En lui, le réel et l'imaginaire doivent se rencontrer, voire se contaminer ; de plus, contrairement à tant d'autres fictions, il n'exige à ses mystères aucun éclaircissement, même s'il refuse toute solution rationnelle ou technique." Le fantastique appelle donc un monde non réductible à l’ordre normal du monde. Il existe, par ailleurs, deux autres notions pratiquant la même démarche - le merveilleux et l’étrange – différant pourtant du fantastique dans leur définition. En effet, le merveilleux reflète la symbiose du monde normal et du monde irrationnel : C’est l’univers des « contes de fée » dont l’exemple actuel le plus connu est Harry Potter. L’étrange, quant à lui, se rapproche plus du fantastique : c’est l’intrusion dans un monde rationnel, explicable et rassurant d’élément anormaux et impossibles. Malgré tout, ces notions se distinguent par la présence d’une explication rationnelle clôturant l’étrange alors que le fantastique n’offre aucun éclaircissement (Todorov nous a d’ailleurs fourni un schéma à ce sujet). Si les manuels scolaires offrent 1772 avec « Le diable amoureux » de Cazotte comme date emblématique de la naissance du fantastique, celui-ci apparaît en Belgique vers la fin du 19ème. Cette jeune Belgique avait réussi à se construire un thème littéraire propre- le mythe nordique-, et à poser fièrement ses différences avec Paris, le centre littéraire. Encore une fois, la Belgique s’appropria un genre délaissé par le centre et le remodela à sa manière. On vit, dès lors, l’émergence d’un « fantastique réel » ou « réalisme magique » définit comme la rencontre de l’âme germanique avec l’âme latine et considéré comme le trait définitoire de l’imaginaire belge. 1 Toutefois, l’avenir du fantastique est assez surprenant : Avec la fin de la première guerre mondiale, la Belgique littéraire s’efface peu à peu et se calque à nouveau sur le centre, néanmoins le fantastique et le policier forment des « niches » identitaires et restent, bien qu’étant des « paralittératures », une constante de la littérature belge. Le « réalisme magique » se cristallisera autour d’Hellens et représentera un genre qui renvoie à l’ « Imaginaire » où le personnage crée et fantasme les événements extraordinaires qui se produisent. Parallèlement, une veine fantastique, plus classique, apparaîtra avec Jean Ray. Jean Ray s’appelle en réalité Jean Raymond Marie de Kremer et naît à Gand en 1887. Il exerce son activité littéraire à côté de ses occupations professionnelles et bien qu’il soit flamand, il sera un écrivain bilingue : Il écrira en français sous le pseudonyme de Jean Ray et en flamand en tant que John Flanders. A dire vrai, cela n’est pas exceptionnel. Effectivement, la francisation des classes élevées de la Flandre rurale s’opère depuis 1750 et au XIXe l’enseignement secondaire et supérieur est donné en français. Le français apparaît donc aux écrivains de la petite bourgeoisie flamande comme un moyen d’acquérir une certaine reconnaissance littéraire. Il semblerait d’ailleurs que ce ne soit pas un hasard si le fantastique gagne la Belgique : ce genre serait apparu sous la plume des écrivains « exclus de l’histoire » pour suppléer à un isolement social et en effet, les artistes belges ont toujours marginalisés dans leur pays, leur langue, leur époque, et leur statut social face au centre littéraire parisien. Inéluctablement, la plupart des fantastiqueurs belges sont flamands : leur langue étant marginalisée dans leur propre pays. Il y a donc deux veines de fantastique, celle suivie par Hellens et celle suivie par Jean Ray. Celui-ci jouant dans l’excès et le baroque, la peur est sans cesse présente et ses héros sont confrontés à des mondes intercalaires terrifiants, imprégnés des tendances allemandes et anglo-saxonnes. Il commence à faire parler de lui avec Les contes du Whisky en 1925. Mais Malpertuis paraît pendant la seconde guerre mondiale, en 1943 de même que Le Grand Nocturne en 42, Les Cercles de l'épouvante et La Cité de l'indicible peur en 43, et Les Derniers contes de Canterbury en 44. Ces œuvres connaissent alors un vif succès : La communication littéraire avec Paris étant ralentie, le fantastique fournit avec le roman policier la principale source de littérature d’évasion. Jean Ray utilisa la forme romanesque pour Malpertuis. Quelles en sont les raisons ? On peut supposer que la guerre suspendant de nombreuses publications auxquelles Ray contribuait, 2 elle le contraignit à s’employer à la rédaction de fictions plus longues et donc de romans. C’est, en effet, assez peu fréquent. Le fantastique a tendance à privilégier les textes courts -contes et nouvelles- qui permettent de maintenir la tension dramatique. Pour garder cette tension dans son roman, Ray déploya les techniques narratives du fantastique de manière ingénieuse : S’il est souvent fait appel à un narrateur qui introduit le récit et le met à distance, dans Malpertuis, ce narrateur que l’on connaît comme le cambrioleur des Pères Blancs n’introduit pas un récit dû à un seul narrateur mais bien 3 : Le récit de Doucedame-le-Vieil, Celui de Jean-Jacques Grandsire et enfin, celui de Dom Misseron. Dans un souci de réalisme, qui rappelons-le doit se mêler à l’imaginaire pour accentuer l’effet surnaturel, ce narrateur extérieur explique consciencieusement comment il s’est retrouvé en possession de ces manuscrits et pourquoi il prend le temps de les agencer pour en faire un récit cohérent. Jean Ray ponctue d’ailleurs son roman d’ « effets de réel ». Parmi ceux-ci, nous dénotons la description de la maison et du jardin de Malpertuis, p.57 à 59 aussi précise qu’une description balzacienne, celle des personnages : Ils ont chacun droit à une description physique et psychologique, la présence des noms de rues, le fait que Jean-Jacques décrive des gestes quotidiens, tels que les repas, etc. La première partie du récit de Doucedame-le-vieil - la vision d’Anacharsis- n’est pas, malgré son caractère surnaturel, associé au fantastique de la maison. Se passant sur la mer, peu de gens peuvent se retrouver dans cette partie du récit qu’on associerait plus à du merveilleux, du légendaire à l’instar des aventures d’Ulysse ou de Sinbad le marin. En outre, on pourrait facilement penser que le narrateur verse dans le lyrisme et l’exagération. Par contre, le récit de Jean-Jacques, prit dans son entièreté indépendamment du reste de l’ouvrage, est totalement fantastique : Un univers à priori normal dans les deux premier chapitre, puis des événements surnaturels qui ne trouveront aucune explications dans les mémoires de Jean-Jacques mais engendreront une frayeur incontestable et de nombreux questionnement de la part de celui-ci. Puisque les manifestations du surnaturel dans la littérature fantastique sont généralement relatives au Malin et à ses incarnations, les mémoires de Jean-Jacques n’échappent pas à la règle. La première allusion au malin se trouve dans le titre et donc dans le nom de la demeure! Il semblerait d’ailleurs que Jean Ray ait voulu attirer l’attention du lecteur sur ce point crucial : L’abbé Doucedame en donne l’explication à la page 55 : « Dans le célèbre et truculent roman de Renart les clercs ont donné ce nom à l’antre même de goupil, le très malin. Je ne m’avance pas trop en affirmant que cela signifie la maison du mal, ou plutôt de la malice. Or la malice est, par excellence, l’apanage de l’Esprit des Ténèbres. Par extension du postulat ainsi posé, je dirais que c’est la maison du Malin ou du diable…. ». La 3 maison telle que la décrit Jean-Jacques se montre d’un aspect effroyable et terrifiant, soit… Digne du diable. De même, à la page 67, Le cousin Philarète s’extasie sur son assiette décorée par un petit diablotin. Le meurtrier de Dideloo porte un masque que Jean-Jacques compare à une image du démon de son enfance (p.110), les trois monstres menaçant Jean-Jacques Lampernisse et Philarète sont appelés « fantômes de l’enfer » par les barbusquins, représentants de Dieu, Jean-Jacques appelle Malpertuis « la maison diabolique » et enfin la couleur de cheveux de Euryale, ce roux flamboyant sur lequel Ray insiste. Il est impossible de ne pas l’interpréter comme un signe du diable. Les croyances populaires désignant les roux comme des créatures du diable. La réminiscence de ces termes renvoyant au Diable influence le lecteur à considérer les uploads/Litterature/ malpertuis.pdf

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