Manifestes, avant-gardes et exp´ erimentation Isabelle Krzywkowski, Isabelle Kr

Manifestes, avant-gardes et exp´ erimentation Isabelle Krzywkowski, Isabelle Krzywkowski To cite this version: Isabelle Krzywkowski, Isabelle Krzywkowski. Manifestes, avant-gardes et exp´ erimentation. Isabelle Krzywkowski. ” Le Temps et l’Espace sont morts hier ”. Les Ann´ ees 1910-1920. Po´ esie et po´ etique de la premi` ere avant-garde., L’Improviste, pp.45-61, 2006. <halshs-00613578> HAL Id: halshs-00613578 https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00613578 Submitted on 4 Aug 2011 HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of sci- entific research documents, whether they are pub- lished or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers. 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Si on leur associe pourtant souvent cet usage, c’est peut-être, non seulement parce qu’elles y recourent dans tous les arts, mais aussi parce qu’elles en proposent une utilisation renouvelée, tant il est vrai qu’elles y trouvent une forme en adéquation avec la fonction qu’elles assignent à l’art : « manifester » répond à leur volonté de réinscrire l’art dans la vie, non plus en s’en inspirant, mais en s’y projetant. De ce principe découle une pratique, et même une posture : le manifeste littéraire va en effet de pair avec l’invention du happening, qu’il accompagne du reste presque toujours, et fournit toutes les formes que les avant-gardes sauront exploiter : le tract, l’affiche, les « soirées », l’intervention, etc. L’abordant ici sous l’angle de son rapport à l’expérimentation, l’article qui suit se propose d’expliquer que le manifeste apparaît bien comme un mode d’expression privilégié pour le bouleversement que propose la modernité : il illustre en effet le passage d’une esthétique du modèle à une esthétique de l’innovation. À cette démarche, radicalisée par l’exigence de rupture que le manifeste conforte, les avant-gardes apportent une contribution complémentaire et spécifique : en travaillant sur la forme et sur la fonction du manifeste, elles en font le support On trouvera les références complètes des ouvrages cités qui concernent la théorie des manifestes, ainsi qu’une liste d’anthologies, dans la bibliographie infra. Cet article est une version corrigée de la communication présentée au colloque Innovation / expérimentation en poésie, organisé par Jean-Pierre Bobillot, Françoise Rouffiat et Michel Viegnes à Grenoble, 27-29 novembre 2002 et édité aux Presses universitaires de Grenoble, coll. « Recherches et travaux », n° 66, 2005, p. 83-96 ; il a été publié dans I. Krzywkowski, « Le Temps et l’Espace sont morts hier ». Les Années 1910-1920. Poésie et poétique de la première avant-garde, Paris, Éditions L’Improviste, 2006, p. 45-61. 1 Sur ces aspects, voir N. Blumenkranz-Onimus, « Quand les artistes manifestent », p. 351-352 ; C. Abastado, « Introduction à l’analyse des manifestes », p. 8, où il s’appuie sur l’étude de Christophe Charle, « L’Expansion et la crise de la production littéraire », in Actes de la recherche en sciences sociales, n° 4, juillet 1975 ; W. Asholt et W. Fähnders, « Projekt avantgarde », p. 4-9, ainsi que l’introduction à leur anthologie Manifeste und Proklamationen der europäischen Avant-garde (1909-1938) ; H. Van den Berg, « Das Manifest - eine Gattung ? Zur historiographischen Problematik einer deskriptiven Hilfskonstruktion », en particulier p. 212-214, où il réfléchit sur l’horizon d’attente. 2 même de l’expérimentation, fondant par son intermédiaire une nouvelle définition de l’art comme projet et comme action. *** On n’a pas manqué de remarquer que le début du xxe siècle, connu pour être la période des « ismes », faisait un usage particulièrement dense du manifeste, au point que certains ont proposé d’y voir un « genre » à part entière, et peut-être le plus caractéristique de l’avant- garde. Je reviendrai sur cette idée, qui me semble en effet essentielle, mais qui a souvent donné lieu à une approche très dépréciative du reste des œuvres (quelque chose comme : « ils ont su proposer la théorie, mais ils n’ont pas eu de grand artiste pour la réaliser ») ou qui est passé à côté de la complexité du manifeste d’avant-garde, et particulièrement du manifeste littéraire (auquel je m’intéresserai ici), en le limitant à sa dimension théorique. Or l’importance accordée au manifeste témoigne à la fois du statut nouveau reconnu à la théorie et d’une « posture » artistique nouvelle, qui privilégie l’innovation et l’action. C’est ce qui ressort par exemple de la définition qu’Apollinaire présentait de « l’esprit nouveau » en 1917 : Pour revenir au souci de vérité, de vraisemblance qui domine toutes les recherches, toutes les tentatives, tous les essais de l’esprit nouveau, il faut ajouter qu’il n’y a pas lieu de s’étonner si un certain nombre et même beaucoup d’entre eux restaient momentanément stériles et sombraient même dans le ridicule. L’ esprit nouveau est plein de dangers, pleins d’embûches. Tout cela ressortit pourtant à l’esprit d’aujourd’hui et condamner en bloc ces tentatives, ces essais, serait faire une erreur […]. L’esprit nouveau admet donc les expériences littéraires même hasardeuses, et ces expériences sont parfois peu lyriques. C’est pourquoi le lyrisme n’est qu’un domaine de l’esprit nouveau dans la poésie d’aujourd’hui, qui se contente souvent de recherches, d’investigations, sans se préoccuper de leur donner de signification lyrique. Ce sont des matériaux qu’amasse le poète, qu’amasse l’esprit nouveau, et ces matériaux formeront un fond de vérité dont la simplicité, la modestie ne doit point rebuter, car les conséquences, les résultats peuvent être de grandes, de bien grandes choses. Plus tard, ceux qui étudieront l’histoire littéraire de notre temps s’étonneront que […] des poètes aient pu […] s’adonner à des recherches, à des notations qui les mettaient en butte aux railleries de leurs contemporains, des journalistes et des snobs. Mais leur recherches seront utiles ; […]2 Même si Apollinaire maintient ici un critère de réussite esthétique, c’est l’expérimentation qu’il met au fondement de la nouvelle démarche artistique. Cette attitude, qui entérine la mort 2 Guillaume Apollinaire, « L’Esprit nouveau et les poètes », conférence donnée au Vieux Colombier le 26 novembre 1917, cité dans Œuvres complètes, M. Décaudin éd., Paris, André Balland et Jacques Lecat, 1966, t. 3, p. 904- 905. Dans cette même conférence il définit le nouveau (qu’il refuse de réduire à une école), non comme progrès, mais comme « surprise » (p. 906) et prophétie (p. 907). Cette conférence était accompagnée de lectures. 3 du modèle, conduit à se demander si le manifeste n’a pas dès lors pour fonction de proposer le cadre dans lequel doit se dérouler l’expérience artistique, fondant ainsi une approche de l’art d’ordre « conceptuel » (l’œuvre, c’est le projet) ou « pragmatique » (l’œuvre, c’est le faire) et déplaçant le « critère de validité » d’une esthétique vers une poïétique3. Que le manifeste soit de ce fait lié à l’innovation est un truisme : c’est dans sa nature de fonder (ou de dire qu’il fonde) quelque chose de nouveau. Mais son rapport à l’expérimentation est plus obscur, et en partie contradictoire avec la valeur d’autorité qu’on lui reconnaît4, sauf peut-être à le penser sur un mode scientifique, comme le protocole qui sert de cadre à l’expérience. Cela revient à interroger la notion d’« expérience » en littérature, en se demandant si le rapport au champ scientifique tient de la métaphore ou de l’application d’un modèle, ou si les arts ont une approche spécifique de l’expérimentation. Du programmatique au poétique Cette réflexion repose en partie sur l’idée qu’il y a une « histoire » du manifeste5 et que cette évolution permet d’interroger le rapport du manifeste à l’expérimentation. On sait que les premiers usages du terme ne relèvent pas du champ esthétique, mais du champ juridique ou politique (le « Manifeste du parti communiste » constituant de ce point de vue une référence fondatrice, qui explique que l’étude des manifestes ne puisse sans doute pas faire abstraction d’une dimension politique). Il faut en fait attendre le XIXe siècle, en France et en Italie, pour que le terme entre dans le champ littéraire, encore est-il rarement utilisé comme titre, et relève souvent plus de la dénonciation que du programme : les années 1830 avaient vu la controverse de Désiré Nisard et de Jules Janin6 ; mais lorsque les frères Goncourt intitulent leur recueil Préfaces et manifestes littéraires (1888), c’est en fait pour réunir un ensemble de textes théoriques dont aucun ne s’intitule en propre uploads/Litterature/ manifestes-avant-gardes-et-experimentation 1 .pdf

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