PARADIGMES DU JARDIN 1900 CHEZ IRZYKOWSKI ET MIRBEAU Contribution à la probléma

PARADIGMES DU JARDIN 1900 CHEZ IRZYKOWSKI ET MIRBEAU Contribution à la problématique du jardin 1900 L'universalité du topos du jardin comme espace authentique Le jardin apparaît à maintes reprises comme un motif chez les écrivains de la Jeune Pologne, mais son concept prend diverses formes de représentation1. La diversité de ces matériaux rend difficile, dans un article limité, une étude comparée et systématique de textes qui ont en commun le motif du jardin. L'universalité du topos du jardin à l'époque 1900 incite pourtant à réfléchir sur sa fonction particulière, ainsi qu'à chercher une approche qui permette d’éviter aussi bien les interprétations univoques que les analyses se limitant à des œuvres particulières. Si signification universelle il y a, elle doit se manifester par un ensemble de cadres formels fixés, représentés aussi dans les évocations concrètes du topos du jardin. Une méthode permettant de saisir synthétiquement le matériau littéraire pourrait consister à tenter de retrouver la structure narrative et l'image du jardin qui y est liée et qui deviendra une métaphore, en même temps qu’une sorte de cadre pour la trame de l'œuvre. Une telle situation n'aura pas seulement un caractère ornemental, compris comme une fonction rhétorique du motif, comme une manière parmi d’autres d'exemplifier le signifié dans un texte donné. Elle deviendra une construction supérieure, permettant d’organiser les relations du monde représenté. Le concept du jardin a été utilisé ici comme une métaphore qui organise l'espace du monde représenté. À un niveau moins élevé, nos réflexions portent aussi sur les verbalisations textuelles d'un thème déjà connu, mais les exemples évoqués ici révèlent également son existence sous la forme d'un arrangement spatial des événements dramatiques. Le topos du jardin peut ainsi devenir un thème de réflexion pour les personnages eux-mêmes autant qu'une construction intentionnelle de l'auteur. Selon notre analyse, le concept du topos apparaît comme un espace universel de la culture, possédant des potentialités de signification qui lui sont liées, plutôt que comme une convention figée. Pour nous, aujourd’hui, le contexte historique de la recherche thématique de l'ensemble des influences cède le pas à l'anthropologie du jardin, comprise dans sa signification métaphorique et narrative. Le jardin, présenté ainsi, remplit la fonction du facteur activant les aspects esthétiques changeants de l'époque, et découvrant en même temps les traits anthropologiques qui y sont cachés. En relation avec les hypothèses que nous venons d’évoquer, nous allons nous pencher sur deux œuvres : Le Jardin des supplices, d'Octave Mirbeau (1899 ; traduction polonaise de Leon Choromanski publiée en 1922), et La Chabraque2, de Karol Irzykowski, paru en 1903, mais dont le premier manuscrit, selon l'auteur, a été terminé en 1899, et le second en 1902. Ce roman appartient au genre de la littérature autothématique3. Le contexte jeuno-polonais des réflexions a été limité à La Chabraque à cause de l'image de l'espace qui y est représenté, et aussi parce que le lieu principal de la trame est lié, comme chez Mirbeau, au jardin. Les relations entre les éléments du monde représenté dans les deux romans sont organisées par des formes narratives qui limitent en grande partie les associations poétiques des personnages. Ce qui nous paraît intéressant, en l’occurrence, c’est d'inscrire le jardin dans les tentatives d’objectivité des narrateurs – ou dans leur absence. Autrement dit, le thème du jardin apparaît comme une construction supérieure, à laquelle peut être soumise la narration traditionnelle. 1 Karol Irzykowski Il ne s'agit pas ici de démontrer les influences conscientes dans les deux textes ; la proximité des dates de parution de l'édition princeps de Mirbeau et du roman d'Irzykowski exclut presque une telle possibilité, même si La Chabraque est, à coup sûr, un texte plein de réminiscences littéraires. On peut d'autant plus parler, dans les deux cas, de caractéristiques culturelles universelles de la métaphore du jardin. Les allusions nombreuses et les polémiques concernant les problèmes philosophiques et esthétiques de l'époque (ici, par exemple, les réflexions sur la signification du style de la Sécession qu'on voit dans La Chabraque) soulignent encore plus l'importance de ces valeurs universelles. Chez Irzykowski, une introduction dans l'espace du monde représenté est aussi nécessaire. Avant que d’aller plus avant, il m’apparaît d’abord indispensable de décrire en quelques mots le lieu où se sont déroulés les événements, en l’occurrence le manoir de Wilcza et ses environs. D’une part, je le fais pour ne pas avoir à y revenir plus tard, d’autre part, pour que le lecteur puisse d’emblée situer de manière exacte le événements dont il est question, et n’ait pas à faire appel, comme cela se produit trop souvent, au souvenir de lieux qui se seraient fixés dans sa mémoire on ne sait ni quand, ni comment. Pour mieux se représenter ce cadre, je l’invite donc à se reporter au plan qui se trouve dans la partie << Remarques >>.4 La sollicitude du narrateur pour le lecteur – afin qu'il ne se perde pas, au cours de la lecture, au milieu de ses propres soupçons mimétiques – ne se limite pas à une simple introduction. La description sera liée à une représentation iconique de l'espace. La carte est ici une sorte d'argument et confirme l'authenticité du récit de celui qui l'énonce. Le narrateur tient en même temps à introduire des conditions univoquement définies de l'interprétation, ce qui est démontré par une information assez brève sur la fonction du lecteur, qui est censé, immédiatement et d’une « façon correcte », situer les événements décrits. Il se pose ici la question de savoir quelle est, exactement, la « façon correcte » dont parle le narrateur. On peut parler en ce cas d'un ensemble iconico-rhétorique. Le jugement du lecteur et la description du narrateur s'accomplissent dans un espace représenté concrètement par l'annexe au texte. Le fragment qui suit est une description minutieuse de l'espace du jardin : D indique la route en face de laquelle sont la façade du manoir et le perron (G). Les cercles devant le perron désignent la pelouse (B), au milieu de laquelle se dresse un immense tilleul centenaire. Selon une ancienne coutume, celui qui voulait arriver avec panache devant le portail (C) faisait trois fois le tour de la pelouse. […] La dernière 2 pièce, le salon (S), possède un côté en demi-cercle. Là, se trouve une porte vitrée qui donne sur le jardin (O). Après avoir descendu quelques marches, on se trouve devant des parterres de fleurs et des plates-bandes, concentrés autour de deux immenses sapins plantés de manière symétrique face aux ailes du manoir. Plus loin, le jardin devient verger ; à cet endroit, une pergola (a) marque la fin du verger. […] M désigne la chapelle construite par de pieuses aïeules à un endroit d’où l’on a vue sur le cimetière (E), symbole de la vanité du monde. L’allée centrale, notée par un double trait, mène au portillon (F) ; les principaux chemins sont marqués par des traits en pointillés. Lorsqu’on descend l’un de ces chemins pour accéder aux champs nus, on ne remarque pas forcément, en ouvrant la porte près de N, un puits profond, couvert par les branches de quatre charmes, disposés autour en carré, lieu ombreux de mort et de silence. Derrière le jardin, de longs champs monotones s’étendent à perte de vue ; on y trouve à peine quelques poiriers qui servent de points de repère sur cette surface vierge.5 Ce fragment peut être lu, non seulement comme la description traditionnelle d'un manoir polonais, mais aussi comme une présentation de savoirs portant sur l'architecture du jardin. Une partie significative de cette description est consacrée à présenter les lignes principales de la perspective du jardin. Le narrateur souligne l'ordinaire des champs « monotones » et de « quelques » poiriers, qui pourtant constituent le contrepoint optique de l'espace. Cette description ne présente les signes de la culture que comme des composantes d'un modèle pluridimensionnel. On peut comprendre ainsi les mots du narrateur qui décrit le cimetière comme le symbole de la caducité du monde. La relation iconique aux tentatives objectives du narrateur ôte pourtant au cimetière la fonction propre qui lui est attribuée. Interactions entre le cadre narratif et l'identité des personnages La carte incluse au début de l'œuvre ne montre pas le processus des changements liés au développement de l'action. Elle présente une image statique de l'espace, car elle fait voir tous les bâtiments en même temps, et les informations qui y sont incluses juxtaposent d'une manière éclectique deux traditions : l'une est liée au passé de la mansion, l'autre constitue la preuve des changements qui ont été réalisés par le nouveau propriétaire, Piotr Strumienski. Il est aussi essentiel de souligner le conflit de mœurs, lié aux origines plébéiennes de Piotr. L'ensemble décrit est alors une construction éclectique ; le changement de l'ordre originel s’effectue dans le projet du palais réalisé par Strumienski. Le problème de ce changement est, à un certain niveau, invisible : le lecteur ne s'en rend compte qu’au cours de la lecture, en prenant en considération toutes les dissidences par rapport au style originel comme étant en relation avec l'image entière assumée auparavant. Ce uploads/Litterature/ mariusz-golab-paradigmes-du-jardin-1900-chez-irzykowski-et-mirbeau-contribution-a-la-problematique-du-jardin-1900.pdf

  • 14
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager