JEAN-MARIE PAILLER UNE ÉDUCATION GALLO-ROMAINE ? ':En 1920, un érudit sud-afric
JEAN-MARIE PAILLER UNE ÉDUCATION GALLO-ROMAINE ? ':En 1920, un érudit sud-africain, T. Haarhoff, consacrait aux Schools ofGaul un volume qui traitait essentiellement du IV' siècle de notre ère, et qui .demeure une bonne mise au point sur la question. Dans sa préface, datée :d'octobre 1919, il notait ceci : « Pour un Sud-Africain, la situation de la ,Gaule à cette époque est particulièrement éclairante. Après tous les troubles (encore frais dans notre mémoire) liés à la solution de la question de la 1angue, on ressent comme un choc le constat d'une situation similaire en Gaule romaine. Là, la question de !'enseignement du grec et du latin n'était pas aussi aiguë qu'en Afrique du Sud, car le grec se mourait, et n'avait pas d'arrière-plan racial, mais les effets d'un traitement erroné du problème de _la "seconde langue" sont aussi incontestables et instructifs[ ... ] Pour nous, !,a question des langues en Gaule présente un second intérêt. Les Romains pnt rendu au monde un grand service en conservant l'uniformité de leur ,angue. Ils y parvinrent en premier lieu par l'intermédiaire de leur droit, ,,ui était compris partout dans le monde romain, et par celui de leurs pro- esseurs qui, comme les Panégyristes gaulois du ive siècle, ont transmis une angue restée pendant des siècles très semblable à celle de Cicéron. Mais il . · t un temps où cet effort échoua[ ... ] En vue de toucher l'intelligence de \eur troupeau, les évêques furent contraints[ ... ] de s'écarter du style de dis- èours dans lequel ils avaient été élevés, et de se rapprocher de l'idiome 'arlé par les masses. De même, en Afrique du Sud, on a reconnu officielle- ]nent que la langue de la Hollande est devenue étrangère à 1' élève, et que pour toucher son intelligence nous devons utiliser le rameau du néerlan- .dais des Pays-Bas, !'Afrikaans, qui s'est adapté, depuis 1652, à un climat, à un paysage, à un caractère national bien différents [ ... ] Enfin, les Gaulois Jurent témoins de !'effondrement des gouvernements et des désordres qui , s'ensuivirent. Ils durent faire face, comme nous, au problème du "bolche- visme", bien que dans leur cas celui-ci n'ait pris la forme que des marau- . deurs Vargi et Bagaudes. L'influence sur l'éducation d'une société jetée dans le désordre fut ressentie alors comme aujourd'hui... ». · Si confuse, si désuète qu'elle puisse nous paraître aujourd'hui, cette série de rapprochements a le mérite d'illustrer, de manière originale et inat- ' tendue, ce qui semble bien être un trait caractéristique des approches 144 RELECTURES RÉGIONALES : L'UNIVERSEL ET LE PARTICULIER moder~~s de l' éducati?n. ~ntique 1 : l' ~nachronisme historique, avec l' ac- cent qu 11 met sur des s1mil1tudes «explicatives». Négligeons, comme aussi ~anale pour l'époque qu'extérieure à notre sujet, la perception fantasma- tique (en 1919 ... ) d'un" bolchévisme» assimilé aux exactions des Bagaudes par .un, professeur visiblement cor;~erva.teur. Le parallèle un peu baroque m~htue par T. Haarhoff entre les b1hngmsmes latin-grec et anglais-néerlan- dais,, pu.1s entre le !~tin tardif et l'afrikaans jette lui-même quelque lumière sur 1 .al!llude adoptee s.ur cette questi~n par ~n Blanc ~ultivé d'Afrique du Sud . res1gnation imphc1te de cet Afrikaner a la dommation " internatio- nale » de l'anglais (!'~'.'leur a soutenu sa thèse dans cette langue à Oxford, s.on ouvrage est pubhe par Oxford University Press), mais aussi interroga- tion ~nqmè.te sur .le de~tin (le. déclin?) du patrimoine linguistique hérité. Un d.ern1er pomt retient 1 attent10n : la langue celtique, le gaulois, dont la per- Slst";11ce comme langue o~al~ posait quelques problèmes à un évêque « greco-roma1n » comme Irenee de Lyon, n'est pas plus mentionnée ici que les gr~ndes la~gues indigènes parlées par la majorité noire sud-africaine. Les. silences d un anachr~nisme peuvent décidément être parlants, non moms que les cond1t10ns dune pubhcat10n ou d'une réimpression. En 1958, lorsque ce hvre et s_a préface reparaissent, inchangés, chez un éditeur de Jo,hani;esburg, fa naissance du bolchevisme était bien loin, mais !'apartheid declare (en afrikaans ... ) approchait de son apogée. AVANT ET APRÈS MARROU Cette lecture ne fait. que mieux ressortir la sobriété avec laquelle H.- 1. Marrou, . dan~ son Histoire, aborde la question de l'enseignement en Gaule. L'historien français qui, d'emblée et tout au long de !'ouvrage fait un usage délibéré et contrôlé de bien des formes d'anachronisme' n'y recourt absolument pas lorsqu'il s'agit de ce que d'autres ont appeÎé ou appelle~ont la « patrie gauloise ». Les raisons de cette abstention sont sans doute diverses : refus du nationalisme 2 - un refus à la fois circonstanciel au lendemain d'.', la !'uer~e, et .idéologique, de la part de ce militant " per'. sonnahste » de 1 eqmpe d Esprit 3 - ; sens aigu des lentes médiations médié- vales et modernes qui, sur le territoire devenu celui de la France séparent autant qu'elles unissent le.s modes d'éducation et de culture a~tiques et c~ntempora1ne_s ; ch<:'1?' prioritaire surtout, affirmé tout au long du livre, d u_ne perspective un!fiante sur un« ~ystè_~e » scolaire restitué dans sa glo- balité cohérente plutot que dans la d1vers1te de ses faciès chronologiques et surtout régionaux. "'Cett; vis~e trè~ gé~érale a pour conséquence, s'agissant de la Gaule, une br1evete qui confine a la parcimonie, et qui a fait écrire à un recenseur, !. ~t ~~la. condition m_ême_de l'historien, homme de son temps qui a choisi de se rendre présent, en tant que teL aux c1vihsati~n;> ~u passe: theme cent:al de De la connaissance historique, Paris, Seuil, 1954. 2. Y con:pns al échelon local: « Julhan, mû par ce sentiment, dangereux pmrr l'historien, qu'est Je patriotisme de clo- ci;er (Il a été prof.es;seu~ à B?,rdea~x. de ~883 .à 1905) a surfait l'importance des écoles de Bordeaux au rve siè<:le [ ... ] N est-ce pas aussi _I optique muruc1pale' qui déforme en un sens optimiste l'exposé de R. Étienne Bordeaux antique p. ~~264, "Un~ villi; universitaire" ... ? » (Histoire, 6e éd., 1964, n. 10, p. 608). ' ' 3. Voir l Introductton genérale, avec la bibliographie. LiNE EDUCATION GALLO-ROMAINE? 145 pourtant très favorable, de la première édition : " Peut-être aurais-je sou- haité çà et là des données plus complètes (ainsi sur les écoles provinciales, en particulier celles de Gaule ... ) •. » Que Marrou n'ait pas consacré à la Gaule de long développement spécifique, il n'y a pas, au vrai, à s'en éton- ner. Les réalisations éducatives de cette région de l'Empire sont évoquées dans un sous-chapitre certes balancé (tout un paragraphe s'attache à défi- nir les « limites de la romanisation », p. 427), mais clairement axé sur l'œuvre civilisatrice de Rome en Occident, œuvre qui est envisagée comme un tout cohérent et mise en valeur de manière très positive. Deux citations suffiront à illustrer ce parti : " on pourrait répéter la même esquisse [sur les progrès de la paideia] à propos de chacune des grandes régions de l'Occident ... » ; " la Gaule ne le cède guère à l'Afrique : elle était aussi une terre d'élection pour la grammaire et ]'éloquence ; là aussi, appuyée sur un réseau d'écoles où enseignent bientôt des maîtres célèbres, la romanisation a réalisé très tôt d'immenses progrès ». Trois remarques à ce propos : l. Marrou reste très proche, pour l'information et pour sa présentation, de l'imposante récolte de données accumulées au début du xxe siècle par Camille Jullian - en ce domaine comme en plusieurs autres, !'Histoire de la Gaule méritait, mérite toujours d'être relue, tant elle contient de documents, de références et de points de vue originaux. Marrou se sépare pourtant de jullian sur deux points, l'un très localisé, l'autre majeur, mais qui ont tous deux à voir avec le bon usage du« patriotisme en histoire». L'attachement à la petite patrie girondine, déjà signalé, surinterprétait les textes d' Ausone pour magnifier l'éclat scolaire et universitaire de Bordeaux dans l' Antiquité tardive. Plus gravement, notre auteur prend le contrepied exact, radical, du jugement d'ensemble de Jullian : celui-ci n'avait cessé de se lamenter sur une Gaule que l'oubli de son passé et de son originalité avait conduite à se couler dans le moule de la culture romaine - elle-même, selon cet auteur, asservie à l'hellénisme. Marrou, à l'inverse, exalte la diffusion en Gaule comme ailleurs des valeurs d'une romanité consciemment héritière de la Grèce, plus précisément de la civilisation hellénistique 5. 2. Par-delà l'homogénéité de la situation et de l'évolution de la paideia en Occident, !'Histoire insiste sur le polycentrisme scolaire d'une Gaule qui est ainsi bien distinguée de]' Afrique, par exemple, où est souligné le rôle pré- éminent de Carthage. Le livre dresse une liste de grammatici et de rhéteurs attestés essentiellement par l'épigraphie: à" Limoges, Bordeaux, Toulouse, Narbonne, Marseille, Arles, Vienne, Lyon, Avenches, Autun, Besançon, Reims, Trèves, Cologne » - et Marrou de souligner (trop sèchement à notre goût) que, même pour les grands centres universitaires, « la concentration est beaucoup moins nette» [en Gallie que, par exemple, en Afrique]. 3. Toujours soucieux de marquer les limites de validité uploads/Litterature/ marrou-que-reste-t-il-de-lenseignment-classique-grecs.pdf
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- Publié le Jan 18, 2022
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