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Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr 1 1/4 Bolloré à l’assaut de l’édition PAR JOSEPH CONFAVREUX ET ELLEN SALVI ARTICLE PUBLIÉ LE JEUDI 21 OCTOBRE 2021 © Photo Matthieu Rondel / Hans Lucas via AFP L’appétit de Vincent Bolloré pour les médias et la ligne ultradroitière qu’il y façonne est-elle en train de se répliquer dans le monde de l’édition? Chez Editis, les inquiétudes sont vives quant à la façon dont les remaniements internes et les productions éditoriales structurent le paysage à quelques mois de la présidentielle. Son arrivée à la tête de Plon – éditeur historique du général de Gaulle et initiateur, sous la houlette de Jean Malaurie, de la collection «Terre humaine » qui publia Tristes Tropiques de Claude Lévi-Strauss – est un signe qui ne trompe personne. Fin août, lorsque Editis a officialisé la nomination de Lise Boëll, éditrice emblématique de la réacosphère et de l’extrême droite médiatique, beaucoup ont reconnu derrière ce choix la marque de Vincent Bolloré, propriétaire du groupe d’édition depuis 2018. Après 25années passées chez Albin Michel, où elle a notamment participé aux succès éditoriaux d’Éric Zemmour et de Philippe de Villiers, Lise Boëll a claqué la porte de son employeur historique en juillet dernier, quelques jours après la rupture de contrat de l’ex-chroniqueur de CNews et probable candidat à la présidentielle. Au même moment, Philippe de Villiers quittait lui aussi la Rue Huyghens, par «solidarité». Vincent Bolloré à Paris, en 2015. © Photo Eric Piermont / AFP Pour l’heure, on ne sait toujours pas quels auteurs suivront l’éditrice spécialisée en non-fiction chez Plon, dont les programmes ne sont pas encore publics mais devraient comporter quelques transferts d’auteurs. Éric Zemmour, lui, s’est tourné vers l’auto- édition, utilisant une structure baptisée Rubempré, en écho au personnage de journaliste ambitieux campé par Honoré de Balzac dans Illusions perdues et Splendeurs et misères des courtisanes. L’opération pourrait lui rapporter jusqu’à 4millions d’euros. Quand son ancienne éditrice rejoint Editis, le polémiste d’extrême droite voit la distribution de son dernier livre assurée par Interforum, également propriété du groupe. De quoi nourrir les soupçons que Vincent Bolloré veuille imposer sa marque politique dans le monde de l’édition comme il le fait dans le champ médiatique, avec CNews ou Europe 1. Voire créer des ponts entre son empire audiovisuel et son royaume éditorial, comme en témoigne déjà Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr 2 2/4 la création de «Nathan TV», une coproduction entre Editis et Canal+, présentée comme la «première chaîne éducative en Afrique». © Twitter Lise Boëll Certes, Editis demeure un groupe éditorial diversifié, comprenant 49structures dont Julliard, 10/18, Le Robert, l’éditeur scolaire Nathan, les guides de voyage Lonely Planet et même des maisons dont la production éditoriale, à l’instar de La Découverte, se situe clairement à l’opposé des convictions de l’industriel. Mais le mercato observé depuis un an au sein du deuxième groupe d’édition français questionne, y compris en interne. Outre l’arrivée de Lise Boëll chez Plon, maison qui avait pourtant déjà connu une réorganisation éditoriale il y a près d’un an, d’autres nominations sont venues restructurer le groupe Editis depuis son rachat par Vivendi, contrôlé par Vincent Bolloré. C’est notamment le cas de Jean Spiri, un très proche de Xavier Bertrand, devenu secrétaire général d’Editis en février 2020, chargé notamment des fonctions juridiques du groupe. « Avant, chaque patron de maison était le responsable juridique de sa propre structure. Désormais, Jean Spiri occupe ce poste pour l’ensemble du groupe. À ce titre, tout doit passer par sa validation», explique une salariée, sous couvert d’anonymat. D’autres racontent comment la «synergie de groupe», assumée par la directrice générale d’Editis, Michèle Benbunan, a contraint certains choix éditoriaux. Il est beaucoup question de rentabilité, un peu moins de littérature, regrettent-ils. Les mêmes estiment que l’évolution du catalogue de non-fiction dans certaines maisons d’édition est un autre marqueur de la touche Bolloré. On y retrouve plusieurs auteurs estampillés «Canal+», comme Dominique Farrugia, Antoine de Caunes ou Karl Zéro, ainsi que de nombreux témoignages, des «livres choc», pour reprendre l’expression de Livres Hebdodans ce portrait de Sophie Charnavel, qui vient de prendre la tête des éditions Robert Laffont. Sophie Charnavel présentant la rentrée littéraire de Plon en 2019. © Capture d’écran YouTube Celle qui officiait jusqu’alors chez Plon est passée dans la maison voisine avec certains de ses auteurs, comme le directeur adjoint de la rédaction de Valeurs actuelles, Tugdual Denis, qui vient d’y publier un livre sur Édouard Philippe et participe activement, aux côtés d’autres journalistes de Marianne, Elle ou Le Parisien, à la revue que Robert Laffont lance dans la perspective de la présidentielle. Plusieurs autres sources assurent que la volonté directe de Vincent Bolloré d’agir sur le contenu des maisons d’édition qu’il contrôle est encore circonscrite. Un bon connaisseur du champ juge d’ailleurs «que les interventions directes sur les contenus sont vraiment rares». Si certains s’étonnent de la parution d’un Dictionnaire amoureux de l’entreprise et des entrepreneurs, premier ouvrage collectif de cette collection de Plon, d’autres soulignent que Christiane Taubira vient de publier un recueil de nouvelles chez Robert Laffont. Dans le monde de l’édition, on se souvient d’ingérences bien plus flagrantes, en souriant encore de l’époque où Jean-Louis Gergorin, qui serait ensuite l’un des principaux protagonistes de l’affaire Clearstream et condamné dans ce cadre, était Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr 3 3/4 conseiller spécial du père d’Arnaud Lagardère, Jean- Luc, et avait tenté de décrocher son téléphone pour censurer une biographie de Pinault, sans succès. Les temps ont-ils vraiment changé? Quand on connaît le recours systématique aux procédures judiciaires «bâillon » de la part de Vincent Bolloré; quand on voit ce qu’il est en train de réaliser dans l’espace médiatique, l’inquiétude est de mise, comme en témoignent plusieurs salarié·e·s en interne, toujours sous couvert d’anonymat. «Je ressens certaines pressions», souffle l’un d’entre eux. Inquiétude accrue par le volonté de l’industriel d’imprimer sa marque dans l’édition de façon de plus en plus offensive, surtout depuis l’annonce de l’OPA sur le groupe Lagardère, qui possède Hachette, numéro1 du secteur de l’édition en France et numéro3 dans le monde, avec, pour la partie hexagonale, Fayard, Stock, Grasset, Hatier, Larousse, Calmann- Lévy, Le Livre de poche ou Marabout… Dans une librairie à Toulouse en 2020. © Photo Matthieu Rondel / Hans Lucas via AFP L’influence de Vincent Bolloré, déjà premier actionnaire du groupe Hachette avec 27% des actions du groupe, s’était déjà manifestée au printemps dernier avec le départ imposé d’Arnaud Nourry, l’emblématique PDG de Hachette qui avait assuré son développement international mais s’opposait aux prétentions du milliardaire breton. Désormais, il cherche à détenir 45% du capital de Lagardère. Le rachat du capital détenu par le fonds activiste Amber est encore soumis aux autorités de la concurrence, dont les décisions précédentes peuvent augurer une opposition plus ferme que le CSA à la concentration inédite des groupes de médias, de communication et d’édition possédés par les plus grands milliardaires français. Surtout à l’aube d’une campagne durant laquelle la fabrique de l’opinion publique sera déterminante. Certes, en 2003, les autorités de la concurrence de Bruxelles s’étaient opposées au mouvement inverse de ce qui se déroule aujourd’hui sous nos yeux, à savoir le rachat de l’activité édition de Vivendi par le groupe Lagardère. Mais, pour contrer un nouvel avis défavorable des autorités européennes, Vincent Bolloré pourrait envisager de découper les maisons d’édition, qu’il s’agisse d’Editis ou de Hachette, et d’en céder quelques parties, que ce soit pour le livre de poche ou le scolaire. Les pessimistes rappellent que Vivendi avait parfaitement su allier vente à la découpe et retour sur investissement lorsque, en 2012, sa filiale Universal avait mis la main sur la major du disque, EMI. Les enjeux de rentabilité demeurent dominants dans les choix de Bolloré en matière éditoriale, puisque durant la première phase du rachat d’Editis par Vivendi en 2018, ce sont en priorité les départements techniques et commerciaux qui ont été repris en main, imposant fusions et «économies d’échelle». Mais à cette gestion musclée faisant craindre de nouvelles et douloureuses restructurations s’ajoutent désormais des enjeux plus idéologiques. Au moment où Le Seuil, propriété d’un autre groupe, Media-Participations, publie une colossale Histoire de la Françafrique dans laquelle Vincent Bolloré est épinglé à plusieurs reprises, il y a en tout cas quelques craintes à avoir pour la pluralité du secteur. Cela d’autant plus que la prise de contrôle accrue de Vivendi sur Lagardère et Hachette concerne aussi la distribution et la diffusion, donc la mise en place et l’exposition des livres. Certes, les libraires gardent une marge d’autonomie : ils peuvent retourner les livres, minimiser l’exposition des piles d’ouvrages, refuser d’en prendre autant que le souhaitent les représentants des éditeurs et distributeurs, voire, comme la librairie Au temps des livres, à Sully-sur-Loire dans le Loiret, choisir Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr 4 4/4 de reverser les profits tirés des ventes du livre de Zemmour à une association venant en aide aux jeunes migrants. Mais pour ce qui concerne les Fnac ou les grandes surfaces uploads/Litterature/ mediapart-bollore-a-l-x27-assaut-de-l-x27-edition.pdf

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