StRh 4 (01.02.2002) Roland Meynet Composition et genre littéraire de la premièr

StRh 4 (01.02.2002) Roland Meynet Composition et genre littéraire de la première section de l’Épître aux Galates Selon le dernier document de la Commission biblique pontificale, la première des « nouvelles méthodes d’analyse littéraire » est « l’analyse rhéto- rique1 ». Cette appellation recouvre cependant « trois approches différentes. La première se base sur la rhétorique classique gréco-latine ; la deuxième est attentive aux procédés sémitiques de composition ; la troisième s’inspire des recherches modernes qu’on appelle “nouvelle rhétorique2” ». La première de ces approches est particulièrement florissante aux États- Unis, où elle a pris le nom de Rhetorical Criticism3. Le travail de Hans Dieter Betz sur la lettre aux Galates4 représente certainement l’une des applications les plus significatives de cette orientation. Les options de Betz ont été large- ment critiquées5 — ce qui prouve l’intérêt que sa démarche a suscité [52] — mais toujours dans le cadre qu’il avait tracé, celui de la rhétorique et de l’épistolographie gréco-latines. La discussion porte aussi bien sur le genre littéraire que sur la composition, ou le plan, de l’épître. La thèse qui est avancée ici est que la lettre aux Galates ressortit sans doute davantage à la rhétorique biblique qu’à la rhétorique gréco-latine, aussi bien en ce qui touche sa composition que son genre littéraire6. Pour la question du genre, plutôt que d’en rechercher l’origine dans le discours apologétique et dans le discours judiciaire tel que le pratiquaient les rhéteurs classiques devant le juge, il semble plus approprié de se tourner vers le genre littéraire biblique du rîb (litige, dispute), et en particulier dans le discours d’accusation de la controverse bilatérale7. En effet, alors que le discours judiciaire a pour but de faire condamner l’adversaire par le juge, dans ———— 1 L’Interprétation de la Bible dans l’Église, Rome, 1993, 35-37. 2 Ibid., 35. 3 Depuis le fameux article de J. MUILENBURG, « Form Criticism and beyond », JBL 88, 1969, 1-18 ; voir en particulier G A. KENNEDY, New Testament Interpretation through Rhetorical Criticism, Chapel Hill – Londres, 1984. 4 « The Literary Composition and Function of Paul’s Letter to the Galatians », NTS 21, 1975, 353-379 ; Galatians : A Commentary on Paul’s Letter to the Churches in Galatia, Philadelphie, 1979, 19842. 5 Pour une revue des réactions à Betz, voir A. PITTA, Disposizione e messaggio della lettera ai Galati. Analisi retorico-letteraria (AnBib) Rome, 1992, 33-38 ; sur les prédécesseurs de Betz, spécialement Mélanchthon, voir C J CLASSEN, « St. Paul’s Epistles and Ancient Greek and Roman Rhetoric », Rhetorica 10, 1992, 319-344. 6 Voir R. MEYNET, « Quelle rhétorique dans l’épître aux Galates ? Le cas de Ga 4, 12- 20 », Rhetorica 12, 1994, 427-450. 7 Voir P. BOVATI, Ristabilire la giustizia, Procedure, vocabolario, orientamenti (AnBib), Rome, 1986, spécialement p. 21-26. 2 Roland Meynet la controverse bilatérale « le désir de l’accusation n’est pas de vaincre l’autre mais de le convaincre 8 » ; « ce qui est véritablement recherché n’est pas la punition, mais le juste rapport avec l’autre ; ce qu’on veut obtenir c’est que l’accusé change de conduite et vive dans une juste relation, non pas qu’il soit éliminé, au nom d’un principe abstrait de justice rétributive. Accuser signifie alors vouloir que l’autre sorte de sa situation injuste grâce à un acte de vérité et de justice9 ». Telle est bien l’attitude de Paul vis-à-vis de ses corres- pondants : son but n’est pas de les condamner mais de les ramener à la vérité, de les enfanter à nouveau dans la douleur (4,19). Cela change tout, par rapport au discours judiciaire. Dans la première section (1,6–2,21), souvent appelée « autobiographique », Betz reconnaît la narratio des discours judiciaires où sont rapportés les faits sur lesquels porte le conflit. Tel n’est pas le cas dans la lettre aux Galates. Il est vrai que, à partir de 1,11, Paul raconte des événements passés, mais cette narration ne porte pas sur l’objet de la contestation, à savoir sur le fait que les Galates veulent « judaïser » en pratiquant la circoncision et en se soumettant aux autres rites juifs : tout cela, le lecteur ne l’apprendra que bien longtemps après la prétendue narratio (4,9-10 ; 5,2-11 ; 6,11-18). Ce que Paul raconte, c’est sa vocation (1,11-17) et la reconnaissance de cette vocation par les Apôtres (2,1-10). Le genre littéraire le plus pertinent pour une véritable intelligence de la première section, n’est donc pas la narratio du discours judi- ciaire gréco-romain, mais le récit de vocation et de mission, tel qu’on le trouve dans l’Ancien Testament, en particulier chez les prophètes. Si Amos fait le récit de sa vocation : Je ne suis ni prophète ni fils de prophète, moi mais je suis bouvier et cultivateur de sycomores. Le Seigneur m’a pris de derrière le bétail, le Seigneur m’a dit : Va, prophétise à mon peuple Israël (Am 7,14-15) c’est parce que sa mission est remise en cause par Amasias, le prêtre de Béthel (Am 7,12-13 ; voir aussi Jr 26,12-15). Si dans sa lettre Paul fait le récit de sa vocation — comme devant les Juifs de Jérusalem (Ac 22), puis devant le roi Agrippa (Ac 26) —, c’est qu’il voit son apostolat contesté radicalement. Il lui faut donc, comme les prophètes et dans des termes semblables10, réaffirmer l’origine de sa prédication qui ne doit rien aux hommes mais qui trouve sa source dans une révélation divine (Ga 1,12.15-16)11. En ce qui concerne la composition de la première section de Ga (1,6–2,21), le récit de la vocation et de la mission de Paul forme une longue séquence ———— 8 Ibid., 69. 9 Ibid., 76-77. 10 En Ga 1, 15-16, Paul reprend les expressions de Jr 1, 5 qui appartient à un récit typique de vocation (voir aussi Is 42, 1 s ; 49, 1-9). 11 Même le voyage à Jérusalem où les Apôtres reconnurent sa vocation et sa mission (2, 1- 10) fut décidé « à la suite d’une révélation » (2, 2). Composition et genre littéraire de la 1ère section de Galates 3 (1,11–2,10) qui occupe le centre de la section. Elle est composée de trois passages (1,11-17 ; 1,18-24 ; 2,1-10). Le premier passage (1,11-17) comprend trois parties12. La première et la dernière (11-12 et 15-17) se répondent en chiasme : aux extrémités, « je ne consultai pas la chair et le sang » (16) rappelle l’Évangile qui « n’est pas selon un homme » (11) ; aux négations des morceaux extrêmes s’opposent les affirmations des deux autres morceaux (12 et 15-16b) où à la « révélation de Jésus Christ » (12) correspond « révéler son Fils » (16a)13. À noter aussi d’autres rapports entre les deux parties : le même verbe « annoncer » (litt. « évangéliser ») est utilisé en 11a et en 16b, ce qui suggère une relation d’équivalence entre les objets de l’annonce, « l’Évangile » dans le premier cas, le « Fils » de Dieu (« Lui ») dans le deuxième cas, de même qu’une relation entre les destinataires de l’annonce, les « frères » Galates au début (11), « les Nations » en 16. Dans la partie centrale (13-14), l’opposition entre « l’Église de Dieu » et « les traditions des pères » reprend celle que les deux autres parties font entre la transmission humaine et la révélation divine, mais en les renversant. Par ailleurs, « ma race » (14b) s’oppose non seulement à « l’Église de Dieu » (13b), mais aussi aux « Nations » (16b) dont font partie les « frères » Galates auxquels l’apôtre s’adresse (11a). – 11 Je vous fais-savoir, frères, L’ÉVANGILE qui a été ANNONCÉ par moi qu’il n’est pas selon un homme ; -------------------------------------------------------------------------------------------------------- + 12 d’ailleurs, moi, ce n’est pas d’un homme que je l’ai reçu ou que j’en ai été instruit, mais par une RÉVÉLATION de JÉSUS CHRIST. 13 Car vous avez entendu parler de ma conduite jadis dans le judaïsme : à outrance je persécutais L’ÉGLISE DE DIEU et je cherchais à la ruiner. ---------------------------------------------------------------------------------------------------------- 14 Et je progressais dans le judaïsme plus que beaucoup des contemporains de ma race, étant beaucoup plus zélé pour les traditions de mes pères. + 15 Mais quand il plut à Celui qui m’avait mis à part dès le sein de ma mère et qui m’a appelé par sa grâce 16 de RÉVÉLER SON FILS en moi afin que je L’ANNONCE chez les Nations, -------------------------------------------------------------------------------------------------------- – aussitôt, je ne consultai pas la chair et le sang 17 et je ne montai pas à Jérusalem vers ceux qui furent apôtres avant moi, mais je partis en Arabie et de nouveau je retournai à Damas. ———— 12 Il n’est évidemment pas possible, dans les limites imposées à cet article, de justifier de manière précise la composition de chacune des parties ; cela vaut aussi pour les autres passages de la section présentés plus loin. 13 L’auteur de la révélation est Dieu en 15-16, alors qu’il semble bien que ce soit Jésus Christ dans la première partie (12). 4 uploads/Litterature/ meynet-r-composition-et-genre-litteraire-de-la-premiere-section-de-l-x27-epitre-aux-galates.pdf

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