S i le nom de René Basset est aujourd'hui quasiment tombé dans l'oubli, les con

S i le nom de René Basset est aujourd'hui quasiment tombé dans l'oubli, les contes ber- bères qu'il nous a légués suscitent toujours autant d'intérêt. L'éditeur parisien IbisPress, dont une partie du catalogue est consacrée à l'amazighité, vient de rééditer les Contes berbères publiés en 1887 et les Nouveaux contes berbères parus en 1897, en un seul volume préfacé par Guy Basset, le petit-fils du lin- guiste. Cette réédition fait suite à celle de l'essai sur la littérature des Berbères d'Henri Basset, fils de René, en 2007, chez le même édi- teur. En introduction, une brève et précieuse étude critique de l'œuvre par Mohand Lounaci éclaire la démarche de l'éditeur et situe celle de René Basset dans son contexte historique. Au XIXe siècle, la collecte des textes de la littérature berbère est indissociable de la conquête et de l'assise du pouvoir colonial qui requièrent l'une et l'autre une connaissance des populations sou- mises. Ce sont d'ailleurs les adminis- trateurs civils qui vont, parmi les pre- miers, s'intéresser aux langues ber- bères et créer des bureaux arabes chargés, via les interprètes et les mili- taires, de recueillir données linguis- tiques, contes et poèmes. Dans cette collecte, les religieux ne sont pas en reste et les textes du Hoggar, ras- semblés par Charles de Foucauld, illustrent l'intérêt de l'époque pour la préservation du patrimoine berbère. Le paradoxe réside dans la volonté de conservation d'une culture jugée inférieure et à ce titre vouée, pense-t- on, à la disparition. Autre paradoxe mis en évidence par Mohand Lounaci dans son introduction : «Les études coloniales sur les populations ber- bères ont été le premier pas vers une affirmation identitaire qui conduira à la constitution et à la revendication des identités nationales, et des natio- nalismes dans les pays du Maghreb.» Ainsi, les travaux de René Basset ont été l'occasion pour des cher- cheurs comme Ben Sedira et Boulifa de se pencher sur les études ber- bères. C'est au cours de différentes missions scientifiques organisées à la demande du gouverneur général d'Algérie que René Basset, folkloriste alors mondialement connu, sillonne tout le territoire de la colonie algé- rienne jusqu'en Tunisie, Libye, Maroc et même Saint-Louis du Sénégal. Sur le terrain, il recueille les textes auprès d'informateurs dont la plupart sont des notables des tribus. Les communications lui sont soit dictées, soit faites par écrit en arabe. La collecte sur le terrain est complé- tée par une étude de manuscrits et de diverses publications conservés à la Bibliothèque nationale de Paris comprenant, entre autres documents, des textes en kabyle et en chleuh. Un autre courant de pensée impri- me son caractère spécifique à ces recherches. Il s'agit de la théorie dif- fusionniste selon laquelle les diffé- rentes cultures auraient toutes une seule et même origine qui se serait propagée dans le temps et dans l'es- pace. Ainsi la grille de lecture des cher- cheurs de l'époque renvoie-t-elle aux cultures grecque et latine. Et l'on retrouve dans les notes de René Basset ces références multiples et érudites ainsi qu'une étude compara- tive entre les différentes traditions berbères. La présente réédition rassemble 133 textes, contes, poèmes, chan- sons et énigmes, dans leur traduction française, classés par thèmes. Les notes de René Basset et les biblio- graphies figurant dans les éditions originales sont quant à elles dis- jointes de la publication et mises à la disposition des lecteurs sur le site Internet de l'éditeur. Les catégories traitées sont iden- tiques dans les deux tomes : contes d'animaux, légendes religieuses, légendes historiques, contes mer- veilleux, contes divers, chansons, proverbes et énigmes. Les contes d'animaux se concentrent pour l'es- sentiel sur la figure du chacal, un per- sonnage central dans la tradition orale berbère. René Basset évoque à ce propos Le Roman de renard et la tradition médiévale de critique socia- le. Autre figure, celle du hérisson. A son sujet, Mohand Lounaci remarque : «Il est en quelque sorte assez proche de l'idéal d'humilité, de simplicité et de ruse que se doit d'avoir un homme pour survivre. Pour le locuteur berbère, le hérisson est un autre soi-même.» Les légendes reli- gieuses sont des récits de vie des saints locaux mais aussi celles des prophètes Aïssa, Salomon, Mohammed ou l'ange Gabriel tandis que les légendes historiques sont des récits de fondation – Alger, Cherchell, etc.— Quant aux contes merveilleux, relatifs aux trésors, aux djinns et aux fées, ils sont pour la plu- part tirés des traditions orales du Mzab, de Ouargla ou de la Kabylie. Miroir social, reflet de la psycholo- gie d'un peuple, les contes de René Basset sont un document incontour- nable pour tous ceux qui cherchent à décrypter, au travers des traditions, les caractères de notre algérianité. Mériem Nour Contes Berbères, Kabylie, Aurès, Sous, Mzab, Ouargla, Figuig, Rif, Cherchell, René Basset, IbisPress, 2008. De père en fils Les Basset sont, de père en fils, atta- chés à l’étude de l’Algérie de façon générale et de la Kabylie en particulier. Le travail de René Basset, linguiste, sur la langue, la poésie et les contes kabyles a non seulement inspi- ré des vocations, y compris dans le monde berbère lui- même, comme Boulifa, mais il a sur- vécu à toutes les tor- nades de l’histoire et reste lisible par-des- sus la patine des temps. Bernard Cesari, patron d’Ibis, vient de le rééditer. Il remet au goût du jour des textes recueillis à l’aube des recherches berbères. Une préface brillante de Mohand Lounaci, un jeune chercheur plein de mordant, contextualise le tra- vail de René Basset. L’édition est accompagnée d’un texte de Guy Basset, petit-fils de René, qui a reçu en quelque sorte en héritage l’Algérie de la recherche linguis- tique. Il ne sera pas linguiste, lui, mais il se reliera au pays de ses ancêtres par un autre biais : celui d’Albert Camus, dont il est un des spécia- listes. Une histoire sous forme de trame fami- liale qui n’en finit pas de se poursuivre pour le plus grand bien de la recherche. Bachir Agour SIGNET Soir du Livre Le Soir d’Algérie Jeudi 20 novembre 2008 - PAGE10 Le Soir d’Algérie : Comment, s'agissant de votre lignée, l'attrait pour le monde berbère et plus pré- cisément pour la terre d'Algérie peut-il se transmettre de génération en génération ? Guy Basset : Entre René Basset et ses fils, la transmission s'est faite quasi naturellement : les fils se sont lancés dans des études de lettres et partagent avec leur père un attrait cer- tain pour la civilisation comme pour la grammaire et la littérature. Tous trois ont su communiquer dans leur famille l'intérêt de leur métier d'enseignant et de leurs champs de recherche. Je suis moi-même un représentant de la troisième génération. Je n'ai connu ni mon grand-père, René Basset, ni mon oncle, Henri, décédé peu après son père, ni mon oncle André, dont je n'ai que des souvenirs d'enfant. C'est donc indirectement par des conversa- tions avec mes tantes et avec mon père que s'est faite, pour moi, la trans- mission. Et puis il y avait les livres écrits par des membres de la famille qui subsistent toujours dans les biblio- thèques familiales et que la curiosité vous pousse à ouvrir. En décidant de faire des études philosophiques, j'avais conscience de renouer un fil lit- téraire sans vouloir chercher à me couler dans un moule familial. C'est en fait par Camus — Noce, comme les articles Misère dans la Kabylie — que l'Algérie a continué à m'intriguer. Ce n'est que peu à peu que j'ai com- mencé à valider et étoffer des souve- nirs familiaux par des lectures exté- rieures scientifiques. Mais, dans ce domaine, je ne suis qu'un autodidacte n'ayant jamais appris ni l'arabe ni le berbère. Mon père avait passé son enfance en Algérie. Il en parlait peu et avait quitté ce pays un peu après 1920. J'ai moi-même attendu 2006 et le colloque sur «Albert Camus et les lettres algériennes» pour m'y rendre. La nostalgie, la nostalgérie, selon l'ex- pression de certains, ne m'habitait donc pas mais j'étais plutôt animé de la curiosité de voir vivre un pays en marche. Quel(s) intérêt(s) les œuvres de René Basset, puis celle de ses fils Henri et André ont-elles pour les lecteurs d'aujourd'hui ? Je suis mal placé pour répondre à cette question. Leurs œuvres bénéfi- cient de ma part — c'est normal — d'un préjugé favorable, je risque donc de ne pas être objectif. Je n'oublie pas, en outre, qu'elles appartiennent au contexte de leurs époques mar- quées aussi par les ambiguïtés de l'ère coloniale. Il vaudrait mieux poser cette question à leurs lecteurs ou à des spécialistes. Les aspects pure- ment linguistiques de l'œuvre de René Basset, comme la majeure partie de celle de son fils André sont très tech- niques et m'échappent donc. Je suis très frappé cependant de l'aura dont les trois œuvres bénéficient : j'en vois la preuve dans les références que je croise dans tel ou tel article ou livre spécialisé et dans les réimpressions qui ont lieu régulièrement — plus par- ticulièrement depuis une dizaine uploads/Litterature/ les-contes-berberes-de-rene-basset 1 .pdf

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