UN JOURNAL EN POCHE I Prolégomènes 1. Stéphane Mallarmé a tenté de penser le Li
UN JOURNAL EN POCHE I Prolégomènes 1. Stéphane Mallarmé a tenté de penser le Livre, en tant qu'il serait le but de toute chose : « … tout, au monde, existe pour aboutir à un livre1 ». Lorsqu'il énonce, ainsi, cette proposition, il prend le parti de l'écrivain, authentique engagement littéraire, voire simplement scriptural. Si donc, tel, le Livre est le but de toute chose, il convient cependant d'en cerner, au moins, la forme en tant qu'il est un objet, concret et, matériel, manipulable. Comme la dalle du minuscule tombeau dont parle le poète porte, gravée, l'inscription de qui y gît, l'habitant définitif de ce lieu sinistre voué à l'évocation d'une histoire passée, le Livre, pareillement, porte sur son recto, l'inscription de celui qui, de même, y gît, à travers les mots choisis pour un quelconque récit. Car, quel qu'il soit, le Livre, assemblage de feuillets d'un texte autographe, protège les pages imprimées par le moyen d'un plat informatif moins fragile, une couverture, dont la surface offre, au moins le Titre, le nom de l'Auteur, et celui de l'Editeur. Parfois, cet espace immédiat reçoit l'agrément d'une image, dont, rare de son temps, Mallarmé ne dit mot, tant l'esprit du poète se perd, délice d'écrivain, dans les mots qu'il a tracés de sa main, dont la presse, sur le papier, hollande ou japon, transforme l'apparence pour un lecteur inconnu, à venir. Plus loin, dans ce même texte, il écrit : « Impersonnifié, le volume, autant qu'on s'en sépare comme auteur, ne réclame approche de lecteur », imprévoyant de ce qui, plus tard, transformera cet espace premier, dans les éditions populaires, dites "de poche", en sorte, efficace, d'attirer, précisément, le lecteur. 2. « … Les mots ne peuvent pas couvrir tout ce qu'ils représentent2 ». Lorsqu'il pose, sèche, cette proposition, Alfred Korzybski établit un fait simple, connu aujourd'hui de tout un chacun, mais dont la signification, avec ses conséquences dans l'usage courant, est en mesure de modifier le sens de nos propos. Ce constat est l'une des sources mêmes de la littérature qui, précisément, choisit et combine les mots, en sorte d'affiner, pour le lecteur, la corrélation entre l'écrit et ce qu'il tente de désigner, soit, de combler au mieux cet espace mal défini qui constitue ce que le mot, en tant que tel, ne peut dire, pour ce qu'il ne peut pas « couvrir tout ce qu'il représente ». 3. La laideur se vend mal3. Par le choix du titre de son livre majeur (1953), Raymond Loewy montre la mise en jeu de la forme et du contenu dans le monde commercial. La société marchande, particulièrement aux U.S.A., n'a cessé de chercher les moyens les plus efficaces afin de promouvoir la consommation, soit le développement des profits, et donc avide de trouver des solutions pour booster les ventes. L'exemple de la « reformulation visuelle » du paquet de Lucky Strike, en 1940, par le designer, et de ses conséquences sur le marché du tabac, est à ce titre, particulièrement significatif. II La Littérature populaire 1 Stéphane Mallarmé (1842-1898),"Quant au livre", 1895. In Mallarmé, œuvres complètes, Bibliothèque de La Pléiade, 1974 2 Alfred Korzybsky (1879-1950), mathématicien, sémanticien américain d'origine polonaise. Une carte n'est pas le territoire, 1950, Éditions de New-York, 1966. Plus loin, il cite l'exemple du mot moderne, dans le Manifeste du parti communiste de Marx-Engels, qui doit être entendu dans son temps, 1848, et ne concerne pas le XXe siècle, montrant l'importance des modes de lecture et de pensée. 3 Raymond Loewy (1893-1986), designer franco-américain, fondateur de l'esthétique industrielle. 1 Mis à part les brochures de la Bibliothèque bleue4, que les colporteurs diffusaient sur tout le territoire, en particulier dans les campagnes, simples recueils d'almanachs, de légendes et de conseils divers, les premières éditions de poche sont apparues au début du XXe siècle. Volumes de petit format ("de poche"), collés et non cousus, couverture souple, papiers et typographies de basse qualité, ces éditions populaires exploitaient des textes de peu d'intérêt dans le cadre du développement de la lecture. C'est à Londres que sont apparues, en 1935, les premières éditions de ce type, mais soucieuses de promouvoir des textes de bonne qualité en tous domaines : les éditions Pinguin. En France, sera créé en 1953, le Livre de Poche, édition qui prend le pari de mettre à la portée de chacun la véritable littérature. Cependant, ces ouvrages se conforment aux objectifs commerciaux, soit s'adapter à une "cible" populaire. D'où la nécessité d'inventer un produit capable d'attirer une clientèle peu habituée à l'achat de livres. C'est ainsi que Le Livre de Poche inaugure des couvertures illustrées en couleurs adaptées aux ouvrages des grands auteurs. Rappelons qu'en son temps, les années 1950, cette manière de traiter la "grande littérature" a suscité de nombreuses réactions critiques de la part d'écrivains et d'éditeurs habitués à la sobriété éditoriale des grandes maisons d'édition. Preuve, s'il en était, que le Livre et la Littérature conservaient encore un caractère élitiste (de classe ?). On peut noter à cet égard que, lorsque Gallimard, en 1945-48, s'autorisera à publier des Polars (sous-littérature, à cette époque), la couverture de la célèbre Série noire, reste sobre, ne sera jamais illustrée. L'image de l'éditeur doit persister… III Couverture Objet du Premier regard sur un livre, un texte et sa lecture possible, la Couverture, son choix, est l'élément visible liminaire qui caractérise le volume, son identité originale. Illustrée ou pas, elle est l'Image avant le Texte, et sa lecture. La Couverture, qui n'est pas là pour cacher, incite, à l'inverse, à l'ouverture, à la Découverte. Illustrée d'une image, si discrète soit-elle, la couverture engage un passage (à l'acte) de l'image au texte. Autrement dit, sa présence est instable, paradoxale même, en ce qu'elle doit, impérativement, s'imposer pour être vue, et s'annuler à l'ouverture du livre (sacrifice éditorial), au profit de ce qu'elle annonce et recouvre, le texte. La couverture de l'ouvrage développe une stratégie de séduction typiquement commerciale. Aucun auteur ne saurait y échapper… Quel qu'il soit, l'éditeur doit vendre pour éditer. L'aspect extérieur du produit doit pouvoir déclencher le désir de lecture, donc d'achat. On comprend toute l'importance de la couverture, ce par quoi le texte prend corps dans l'imaginaire du client, sa forme extérieure, qui doit être associée au contenu intérieur, le texte, comme si la forme se substituait au contenu, comme si l'image valait pour le texte. L'image choisie est destinée à offrir une bonne visibilité du produit, et au lecteur potentiel, un désir de lecture. Le marketing contemporain et les inventions du packaging, suite au travail des designers, s'avèrent à cet égard, déterminants. La difficulté du choix réside dans les exigences contradictoires5, entre la spécificité culturelle de l'objet Livre, et sa destination commerciale, car aucune image ne saurait dire pleinement un texte, quel qu'il soit, moins encore un écrit romanesque. Et la couverture ne saurait dire la totalité de ce qu'elle couvre. 4 Créée à Troyes par Nicolas Oudot, au début du XVIIe siècle. 5 Contradiction purement idéologique en ce que la culture est forcément dépendante du commerce. Mais il n'est pas correct d'associer art et argent. 2 Le premier regard sur la couverture doit inciter le lecteur potentiel à la saisie du livre, et entraîner son imagination pour "aller voir" le texte, en sorte de lire ce qu'elle semble désigner ou suggérer. En somme, la couverture c'est ce qui "laisse (à) désirer". Si sa fonction première est strictement informative – le titre de l'ouvrage, le nom de l'auteur et de l'éditeur –, la couverture a un rôle particulier dans les collections de poche. En effet, ce nouvel objet éditorial est conçu pour une large diffusion populaire, public peu attaché à la lecture, et doit donc répondre à des nécessités commerciales spécifiques, soit comporter les marques d'un objet désirable, jusque-là inusité, voire interdit. C'est donc une image couleur sur papier couché (ou demi-couché) qui sera la première caractéristique de ces couvertures. À ce titre, il apparaît que les choix iconographiques sont déterminants, qui, en ce sens, constituent une prise de parti. Pour ces collections de poche, la couverture comporte deux types d'éléments : – Textes : titre de l'ouvrage, nom de l'auteur et de l'éditeur, identiques pour tous, mais variables dans leur forme – Image, la plupart du temps en couleur, choisie en fonction de l'ouvrage L'organisation de ces deux types d'éléments est éminemment variables (forme, dimensions, disposition, gamme chromatique, etc.) en fonction des critères propres à tel ou tel éditeur. IV Le Journal d'une femme de chambre Soit le roman d'Octave Mirbeau Le Journal d'une femme de chambre6. (On supposera, au mieux, une non connaissance du roman, en sorte de tenter l'analyse des couvertures de la manière la moins "lettrée") Ce roman en livre de poche, se présente sous des couvertures très différentes selon les éditeurs : Presse Pocket (1982), Le Livre de Poche (2012) ou Folio-Gallimard (2015). Couvertures dont la signification, tant commerciale que littéraire, montre clairement différents caractères tant culturels que commerciaux. Une analyse comparative cherchera à montrer comment, pour ce même roman, la couverture choisie par uploads/Litterature/ michel-dupre-un-quot-journal-quot-en-poche 1 .pdf
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- Publié le Mar 13, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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