Cristiano Grottanelli Mircea Eliade, Carl Schmitt, René Guénon, 1942 In: Revue

Cristiano Grottanelli Mircea Eliade, Carl Schmitt, René Guénon, 1942 In: Revue de l'histoire des religions, tome 219 n°3, 2002. pp. 325-356. Abstract Mircea Eliade, Carl Schmitt, and René Guénon, 1942 This article deals with the relationship between the historian of religions Mircea Eliade and the political scientist Carl Schmitt. Eliade met Schmitt for the first time in Berlin during the summer of 1942, when the Romanian writer and scholar was an attaché of his country's Embassy in Lisbon. A few months later, Schmitt told his friend Ernst Jünger that Eliade was a follower of René Guénon. By discussing the different attitudes of Eliade and Schmitt towards Guénon's ideas, the Author tries to throw light on the history of Eliade's formative years. Résumé L'article est consacré aux rapports entre l'historien des religions Mircea Eliade et le juriste et politologue Carl Schmitt. Leur première rencontre eut lieu à Berlin pendant l'été 1942, quand Eliade était un fonctionnaire de l'ambassade de Roumanie à Lisbonne. En automne, Carl Schmitt parla d'Eliade à son ami Ernst Jünger, en le présentant comme un disciple de René Guénon. En proposant une interprétation des raisons pour lesquelles le fonctionnaire roumain et le juriste allemand s'intéressaient aux idées de Guénon, l'auteur essaie d'éclairer un chapitre peu connu de la biographie d'Eliade ainsi que la formation de ses théories et de sa méthode. Citer ce document / Cite this document : Grottanelli Cristiano. Mircea Eliade, Carl Schmitt, René Guénon, 1942. In: Revue de l'histoire des religions, tome 219 n°3, 2002. pp. 325-356. doi : 10.3406/rhr.2002.959 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rhr_0035-1423_2002_num_219_3_959 CRISTIANO GROTTANELLI Université de Modène Mircea Eliade, Cari Schmitt, René Guenon, 1942 L'article est consacré aux rapports entre l'historien des religions Mircea Eliade et le juriste et politologue Cari Schmitt. Leur première rencontre eut lieu à Berlin pendant l'été 1942, quand Eliade était un fonctionnaire de l'ambassade de Roumanie à Lisbonne. En automne, Cari Schmitt parla d'Eliade à son ami Ernst Jù'nger, en le présentant comme un disciple de René Guenon. En proposant une interprétation des raisons pour lesquelles le fonctionnaire roumain et le juriste allemand s'intéressaient aux idées de Guenon, l'auteur essaie d'éclairer un chapitre peu connu de la biographie d'Eliade ainsi que la formation de ses théories et de sa méthode. Mircea Eliade, Cari Schmitt, and René Guenon, 1942 This article deals with the relationship between the historian of religions Mircea Eliade and the political scientist Carl Schmitt. Eliade met Schmitt for the first time in Berlin during the summer of 1942, when the Romanian writer and scholar was an attaché of his country's Embassy in Lisbon. A few months later, Schmitt told his friend Ernst Jtinger that Eliade was a follo wer of René Guenon. By discussing the different attitudes of Eliade and Schmitt towards Guénon's ideas, the Author tries to throw light on the his tory of Eliade 's formative years. Revue de l'histoire des religions, 219 - 3/2002, p. 325 à 356 1. RENCONTRES 1.1. La rencontre de 'Dahlem, 1942 La biographie de Mircea Eliade, , l'historien des religions le plus fameux du XXe siècle après Frazer, est devenue un objet de recherche: important, surtout depuis sa mort en 1986. La période la plus difficile à cerner est justement celle qui précède son arrivée à Paris, comme intel lectuel en exil, à la fin de la Seconde Guerre mondiale : la période pen dant laquelle se formèrent ses idées et sa méthode. Dans la recherche sur ce sujet,1 il est possible de reconnaître trois étapes: Après quelques années de soupçons et; de tâtonnements, une deuxième période, plus riche en résultats, fut troublée par des polémiques rageuses, déclenchées par la découverte du • passé politique du * savant roumain qui ! avait épousé, vers la moitié des années 1930, la cause d'un groupe d'extrême droite, la Légion de l'Archange Michel ou Garde de fer. Nous sommes, maintenant - il me semble que l'on peut enfin le constater - au début d'une troisième période, plus paisible et plus raisonnable; Le moment, est donc venu de faire un effort pour préciser, sans hâte et sans éclats, quelques aspects des années ■ les moins . connues de la . vie , de Mircea Eliade ; de ses • rapports avec des personnages tels ; que Cari Schmitt, Ernst Jiinger, René Guenon; et de la formation de sa pensée: Dans le second volume des Mémoires de Mircea Eliade (Les mois sons du solstice; 1937-1960), l'auteur évoque comme suit sa rencontre* avec le juriste: et politologue Cari Schmitt. Je cite ici, la traduction française d'Alain Paruit :. Nous " nous ■ arrêtâmes . pour deux' jours à Berlin. L'un des attachés de presse, Goruneanu, me conduisit à Dahlem, chez Cari Schmitt: Celui-ci ache vait à l'époque son petit livre sur La terre et la mer et voulait me poser quel ques questions sur le Portugal et les civilisations maritimes. Je lui parlai de . Camoens et en particulier du symbolisme aquatique. (Goruneanu lui avait ; offert le deuxième volume de Zalmoxis, où étaient parues les « Notes sur le symbolisme aquatique ».) Dans la perspective de Cari : Schmitt; Moby Dick : constituait la plus grande création de l'esprit maritime après L'Odyssée ; il ne paraissait pas enthousiasmé par Les Lusiades, qu'il avait lues dans une tr aduction allemande. Nous bavardâmes durant trois heures ; il nous raccompa gna jusqu'au métro et, chemin faisant; nous expliqua pourquoi il considérait l'aviation comme un symbole terrestre...1. 1. Mircea Eliade, Mémoires H, 1937-1960. Les moissons du solstice, traduit du , roumain par Alain Paruit; Paris, Gallimard, 1988, p. 85. ELIADE, SCHMITT, GUÉNON, 1942 327 D'après le témoignage des Moissons • du t solstice; et plus » encore grâce ; à la ■ biographie précise d'Eliade : écrite par - Mac Linscott ■ Rio ketts2, on peut dater l'épisode du mois de juillet 1942. Eliade venait de1, Bucarest où, après une halte à Berlin, il avait passé une courte permis sion dont il avait profité pour revoir sa famille et pour se faire porteur d'un message important3, et il: rentrait, via Berlin,-, à l'ambassade de Roumanie . à Lisbonne où il remplissait ' une mission : officielle au • sein - du gouvernement Antonescu4. Je reparlerai plus lourde ces circons tances ; ce qui m'intéresse en un* premier temps, c'est de trouver des recoupements pour l'épisode décrit ci-dessus dans un texte célèbre, les Strahlungen; journal rédigé par. Ernst Junger quand il était officier de la- Wehrmacht entre 1941 et 1945: . À l'automne de 1 942,' Junger fut • rappelé : de son poste à Paris, et r envoyé sur le í front ; de ; l'est, . où il ■ resta en fonction jusqu'à \ la mi- décembre 1943. Le, 12 novembre 1942, il était en permission à' Berlin,, et dans la soirée il se rendit' à: Dahlem, à la périphérie de la capitale allemande, chez son ami Cari Schmitt, où il passa la période qui va du; soir- du 12 au 17 novembre, date * de son départ pour le front • via Angerburg et Lôtzen. Le 15 novembre, il était donc chez Schmitt, et les notes de cette journée montrent que la revue du Roumain lui passa, entre les mains.. Berlin,* 1 5 novembre 1 942 ^ Lecture de la revue Zalmoxis, dont le titre vient d'un Hercule scythe cité par Hérodote. J'y ai lu deux essais, dont l'un était consacré aux rites de l'extraction et de l'usage de la mandragore, et l'autre traitait du Symbolisme aquatique, et des rapports entre la lune, les femmes et la mer. Tous deux de Mircea Eliade, le directeur de la revue. C. S. me donne des informations détaillées sur lui et sur son maître René Guenon. Les rapports étymologiques entre les coquillages et l'organe génital de la femme sont particulièrement significatifs, comme on le voit dans le mot latin conca et dans le mot danois Kudejisk (coquillage), où Kude a le même sens que vulve. L'esprit' qui , se dessine dans cette * revue est très ■ prometteur ; au ? lieu d'une écriture logique, on essaie une écriture figurée. Ce sont des choses qui me : font 1'effeť du caviar,- des œufs de poisson; on sent la fertilité dans chaque phrase. 2. Mac - Linscott' Ricketts, Mircea Eliade," The Romanian . Roots,, 1907-1945, Boulder, Colorado and New York, 1988, vol. II, p. 1116 (cité à partir d'ici Rick etts, Eliade Г ou II).-. 3. Il s'agissait; d'après Eliade, d'un message du dictateur portugais Salazar au dictateur roumain Antonescu : voir le chapitre .18 des Moissons du i solstice ■ et Ricketts, Eliade II, p. . 1 106-1 116. 4. À propos d'Eliade à l'ambassade de Roumanie à Lisbonne, voir Ricketts, Eliade II, p. 1099-1116, et surtout le chapitre 18 des Moissons du solstice. 328- CRISTIANO GROTTANELLL С. S. m'offrit aussi un livre de De Gubernatis : La mythologie des plantes. L'auteur, a été professeur de . sanskrit ; et , de mythologie à Florence il y a soixante ans5. Eliade n'aurait certainement . pas été - content : uploads/Litterature/ mircea-eliade-carl-schmitt-rene-guenon-1942-pdf.pdf

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