1 (Par le Père RAKOTOMAMONJY Jean de Bred) DEUXIEME PARTIE 2 I)-INDRODUCTION Le
1 (Par le Père RAKOTOMAMONJY Jean de Bred) DEUXIEME PARTIE 2 I)-INDRODUCTION Les traditions orales malgaches ont mobilisé des chercheurs en sciences sociales. De nombreuses publications ont été réalisées dans ce sens sous formes de thèse de doctorat, d’article ou d’ouvrage. Ces recherches se sont souvent orientées vers l’analyse des coutumes, vers le recueil d’histoires institutionnelles et vers des études littéraires et linguistiques (autant de travaux académiques et scientifiques qui ont largement contribué à la connaissance du peuple et de la culture malgaches). Toutefois, la diversité des publications sur Madagascar laisse à désirer quand on sait la part minime consacrée jusqu’ici aux traditions musicales. Or, ces dernières s’avèrent aussi fécondes pour la bonne compréhension des dimensions culturelles d’un groupe social donné1. Dans ce sens, le chant se trouve confiné dans un rôle purement d’ornement rituel, sans trop d’importance pour la compréhension des faits. Ce qui n’est pas vrai du tout, car le chant est un élément qui contribue à l’efficacité, à l’action et à l’intelligibilité des rites. Certes, il y a bien des raisons qui expliquent cet état de choses. Notons à ce sujet, sans que la liste soit exhaustive, le manque de chercheurs qualifiés et de motivations intellectuelles en la matière, la fluidité des données littéraires dans un domaine qui évolue très vite et enfin cette tendance généralisée qui consiste à déconsidérer tout ce qui peut apparaître comme folklorique (dont les chants). Dans cette rubrique, s’y mêlent chants profanes et chants religieux, qu’ils soient d’origine malgache ou d’origine chrétienne. Car dans tous les cas de figure, ici les chants ne font pas l’objet d’une écriture musicale mais se chantent et s’écoutent. S’il y a une chose qui relève de l’oralité, c’est bien le champ. Et c’est cette dimension de l’oralité du chant qui fait qu’il n’a jamais été considéré par des générations de chercheur en sciences sociales travaillant sur Madagascar comme une thématique de recherche scientifique à prendre réellement au sérieux. D’ailleurs, si on se réfère à la littérature anthropologique, n’a-t-on pas considéré les civilisations orales des différents pays du sud, dont celles des Malgaches, comme étant la marque d’une «non-civilisation»? Cette exclusion de toute une partie de la population de la planète à la civilisation et à la culture a été un des handicaps longtemps entretenus (sciemment ou non) qui n’ont pas fait avancer les recherches sur la tradition musicale, au point de la reléguer au rang de catégorie non opérationnelle pour l’analyse du monde et pour la compréhension de l’homme intégral.. Nous appuyant sur la place des traditions musicales dans la manifestation de l’esthétique et de la communication des idées, dans sa capacité à transcender les données immédiates de la réalité pour se constituer en un univers symbolique signifiant, nous nous sommes fixé le projet d’étudier la musique zafindraony qui nous paraît intéressante en ce qu’elle exprime la vie d’une société rencontrant la foi chrétienne et la culture qui l’a transmise. A la charnière du traditionnel et du chrétien, du profane et du spirituel, du religieux malgache et du religieux chrétien, le zafindraony nous appelle à dépasser les clichés des cultures figées en nous proposant un autre monde 1 Parmi les quelques études consacrées aux traditions musicales betsileo, signalons: Lucien Xavier Michel ANDRIANARAHINJAKA, Le système littéraire betsileo, Editions Ambozontany, Fianarantsoa 1986, 988 pages. (Cette étude est particulièrement consacrée aux «isa betsileo», un genre de poèmes oraux traditionnels); Noël Joseph GEUNIER « Chansons populaires, rija betsileo » in, Bulletin du Centre de Documentation et de Recherche Asie du Sud Est et le Monde Insulindien» (CEDRASEMI), Vol. IV, N°4 (tiré à part) ; Hubert DESCHAMPS, « Folklore antesaka » in, Bulletin de l’Académie malgache, Tome XXI, 1938, pp. (113-129). Pour le cas du zafindraony, une thèse est en cours, celle de NOIRET François sur le zafindraony du Sud betsileo. On peut déjà avoir un avant-goût de cette thèse dans un article intitulé : « L’enchantement de la foi. Les chants chrétiens du pays betsileo. Madagascar » in, Aspects du Christianisme à Madagascar, Tome 4, N°4 et N°5, Janvier-Mars 1992. 3 possible, celui des dialogues culturels et des échanges spirituels…, bref un monde en perpétuelle évolution qui se donne un espace pour mieux s’affirmer dans une visibilité et intériorité originales. En tant que musique, le zafindraony ne tend pas seulement vers la quête du Beau, il est aussi dialogue avec l’invisible où parole et mélodie y paraissent structurées par une « puissance obédientielle » qui fait de lui à la fois celui à qui la parole se dit mais aussi celui de qui la réponse est attendue. C’est dans ce jeu d’appel et de réponse que réside la force interprétante du zafindraony. II)-ANALYSE SEMANTIQUE : SIGNIFICATION ETYMOLOGICO-SYMBOLIQUES A)-Sens étymologique Dans son sens étymologique, le mot « zafindraony » signifie « métis », au sens strictement biologique du terme. Aussi désigne-t-on de « zafindraony » le petit d’animal issu d’un croisement de races. Exemple : omby zafindraoñy = bœuf métis ou bœuf croisé. Généralement le terme « Zafindraony » a une connotation péjorative et ne servira jamais à désigner le métissage d’hommes. Ce serait offenser quelqu’un de lui dire qu’il est « un homme zafindraoñy » ; on dirait plutôt qu’il est un « homme métis ». On préfère donc le terme français sans changement ni traduction en malgache quand l’idée de métissage s’applique à des hommes. Par contre la connotation péjorative est maintenue pour qualifier le caractère d’un homme difficile. Ainsi, dans le Betsileo du Nord, un homme qui manifeste souvent des idées non claires volontairement entretenues au cours d’une conversation ou d’une prise de parole va être qualifié de « zafindraoñy hevitra ». Exemple : « Tsary madina fa zafindraoñy hevitra ! = Ce n’est pas étonnant, c’est quelqu’un aux arrière- pensées ! » Le zafindraony est donc un terme à coloration essentiellement biologique et animale qui véhicule une connotation péjorative une fois appliqué à qualifier les caractères humains. B)-Sens étymologico-symboliques Deux racines composent le mot « zafindraony » : Zaf(y)i- -n(dr) -Ra- -Ony Radical Consonne de liaison Article nominal Radical . Zafy = petit-fils ou petite fille .Ony = fleuve Le mot « zafy » signifie donc petit-fils et évoque des liens parentaux. Le mot « ony » avec l’article nominal Ra- peut être : un nom propre d’une personne ; un nom d’un personnage mythique ; ou encore un nom symbolique1. 1 Cette analyse du terme « zafindraony » a été les fruits d’un cercle de réflexion que nous avons organisé à Fianarantsoa en décembre 1992 et en janvier 1993, avec quelques professeurs et amis dont RAZAFIMANDIMBY Charles et RATSIMBAZAFY Félix, professeurs de philosophie au Collège Saint François-Xavier, Ambatomena, Fianarantsoa ; RAKOTOLAMBO Jean Paul et RALAMBOZAFY Albert, RAZAFIMAHARAVO Armand, professeurs de malgache du même Collège ; Père RAKAMISY Michel , ancien curé d’Ambalavao- Tsienimparihy et deux autres personnes à qui nous présentons toutes nos excuses, faute de n’avoir pas pu noter leurs noms à temps. 4 Le mot « RAONY » est encore décomposable en deux mots : « RA « et « ONY » « Ra »- est une particule nominative ou un article nominal accolé à beaucoup de noms propres malgaches pour signifier le respect qu’on doit à quelqu’un à un certain niveau de son statut social. Exemple : Pour quelqu’un qui s’appelle RASOA = Celle-Qui-Est-Belle, petite, on peut l’interpeller tout simplement SOA = La-belle ; mais mariée, elle sera appelée RASOA = Celle-Qui-Est-Belle. « Ony » signifie simplement, fleuve. Le nom « Raoñy » signifie donc « Celui-Qui-Est-Fleuve ». Dans ce sens, le zafindraoñy serait le « petit-fils de Celui-Qui-Est-Fleuve ». Il est clair qu’ici le nom propre de « Raoñy » n’a pas seulement une valeur déictique mais revêt une signification symbolique par les termes qui le constituent. On joue sur ces derniers pour dire que Raoñy n’est pas n’importe qui, il est « Celui qui est à la Source de la Vie. ». Des noms comme « Raony » (Celui- Qui-Est-Fleuve), « Raondriana », « Celui-Qui-Est-Torrent » sont des noms symboliques qui valorisent l’élément « eau » pour signifier « la vie »1 . Dans le Betsileo du Nord, « Raoñy » ou « Raoñe » est généralement un nom conféré à une femme. Là encore, nous rejoignons les intuitions de beaucoup de sociétés qui voient en la femme, la figure de la vie et de la fécondité. Mais être l’hôte de quelqu’un sans être membre de la famille, c’est aussi être raoñe de cette famille d’accueil, c’est-à-dire, un ami ou une amie de cette famille. A Toliara, dans la vallée de l’Onilahy, un mot en est proche : rañitse qui veut dire ami(e). Nous avons ici un parallélisme sémantique entre raoñe et rañitse. Dans cette perspective, le zafindraony serait donc le chant personnalisé et identifié au petit-fils ou à la petite-fille d’une amie étrangère « Raoñe » qui a contracté une alliance matrimoniale avec un membre de la famille d’accueil. Il serait le petit-fils ou la petite-fille de Raoñy ou de Raoñe, cette femme symbolique et fécondante qui uploads/Litterature/ zafindraony.pdf