1 C.T.E.L 2001-2002 Cours de LMD 110 - LMD W10 Mme Goubier-Robert Enregistremen
1 C.T.E.L 2001-2002 Cours de LMD 110 - LMD W10 Mme Goubier-Robert Enregistrement N° 1 UN SIECLE DE ROMAN EPISTOLAIRE Tout d’abord, quelques mots sur le programme. Les quatre textes retenus permettent de jalonner chronologiquement notre période : Guilleragues pour la fin du XVII° siècle, Montesquieu pour la première moitié du XVIII° siècle et l’esprit des lumières, Laclos pour la seconde moitié du XVIII° siècle et la crise des lumières, enfin Louvet pour la fin du siècle et la période révolutionnaire. Le choix du sujet – roman épistolaire – pose plusieurs questions : 1°/ Le problème du roman et de sa réception. 2°/ La question de définition du roman épistolaire et les modalités de son fonctionnement. 3°/ L’adaptation du genre aux modifications politiques de l’époque. Sur le problème du roman et de sa réception, je rappelle simplement qu’il est un genre mal reçu par la critique, au XVII° et au XVIII° siècle, bien que les lecteurs soient séduits par la fiction romanesque. On condamne généralement le roman au nom de deux critères : 1°/ Au nom du bon goût. Le bon goût, c’est à dire le goût aristocratique, privilégiait le théâtre et la poésie. Le roman, genre mal défini, souffre de son hétérogénéité et n'est pas considéré comme un genre littéraire autonome. De nombreux romanciers doivent d’abord leur gloire au théâtre et nombreux sont les auteurs qui vont chercher au théâtre une reconnaissance du public : Mercier, Rétif de la Bretonne ou Marivaux. Il faut attendre Rousseau et Diderot pour voir une remise en question de ce « bon goût ». On considère aussi que ce genre, mineur et mensonger, s’adresse à la partie la moins cultivée et la plus méprisable de la société : Les femmes, les petits bourgeois, les esprits futiles, etc… Or, les études des historiens de la littérature (cf. Alexandre Stroev, Les Aventuriers des lumières) prouvent le contraire. Quant à la littérature de colportage, destinée aux classes plus populaires, elle ne comporte pratiquement pas de romans(cf. les travaux de Darnton, Mandrou). 2°/ On condamne le roman au nom de la morale. Le roman est le laboratoire de la vie morale et permet, par sa souplesse formelle, l’intégration des nouvelles idées philosophiques(cf. les contes de Voltaire). Or, on reproche aux romanciers de peindre des passions condamnables et de contribuer au relâchement et à la corruption des mœurs. Voir, par exemple, la condamnation de Manon Lescaut ou l’interdiction du roman vers 1738. Il faut Rousseau et La Nouvelle Héloïse pour rendre au roman sa vocation morale et didactique, déjà annoncée dans la préface de Manon Lescaut. En dépit du discrédit qui pèse sur lui, le roman se développe et évolue. 2 Le roman de l’époque classique voit apparaître le récit à la première personne, sous forme de mémoires, lettres ou récits de voyage. Les lettres qui revêtent l’apparence de la plus grande authenticité, tentent en outre de répondre à l’accusation de fausseté qui pèse sur le roman. Si bien que le roman, fondamentalement fictif, se donne les allures d’une histoire vraie. Les lettres, souvent accompagnées d’un paratexte explicatif quant à leur découverte, contrent parfaitement le reproche de fiction adressé au roman. Bien que le topos du manuscrit trouvé évolue et ne trompe pas le lecteur, il fonctionne parfaitement pendant cette période. Les lettres Portugaises bénéficient du doute. Le procédé de datation orientale utilisé par Montesquieu sert à authentifier la correspondance de ses deux Persans. Laclos joue sur le procédé, mais en brouillant les pistes avec la juxtaposition d’une préface et d’un avertissement contradictoires. Quant à Louvet, il s’inscrit pleinement dans les procédés épistolaires chers à Laclos. Le roman épistolaire s’épanouit pleinement au XVIII° siècle, âge d’or du roman. Au XVII° siècle, sont publiés 1 200 romans. De 1700 à 1750, on compte 946 romans et de 1750 à 1800, on recense plus de 2 000 romans. La croissance de la production romanesque est évidente, même si elle n’est pas toujours constante et marque des périodes de fléchissement, en particulier au moment de la Révolution. De 1715 à 1761, le roman est utilisé pour l’examen des croyances religieuses et philosophiques et trace le tableau d’une société en mutation. L’avènement des lumières trouve dans le roman sa meilleure voie d’expression. L’orientalisme et l’exotisme mis au goût du jour par la traduction de Galland des Mille et une nuits stimulent l’imaginaire des romanciers. Mais à travers l’extravagance des lieux ou des situations, la réalité reste aisément identifiable, comme dans les Lettres persanes. Pendant cette période, comme pendant tout le siècle, le récit à la première personne domine dans un tiers des fictions. La première personne devient le témoin privilégié de la sensibilité et autorise un recul entre le personnage principal et l’auteur, qui ne se présente souvent que comme l’inventeur puis l’éditeur d’un texte authentique qui lui est parvenu par hasard. En 1761, Rousseau publie la Nouvelle Héloïse, révolution morale et esthétique. La bourgeoisie se reconnaît dans le système des valeurs du roman, dont le succès relance l’écriture et la lecture des romans. La crise des lumières, accompagnée d’une crise du classicisme, apparaît vers 1770 et remet en question les acquis de la raison. Le roman de Laclos témoigne du désarroi de ses contemporains. Pendant la Révolution, le roman se modifie considérablement, surtout en devenant engagé politiquement, ce que nous verrons avec Louvet et Emilie de Varmont, qui est un plaidoyer en faveur du divorce et du mariage des prêtres. En ce qui concerne l’historique du roman épistolaire, dont on fait remonter l’origine au roman Grec, je vous renvoie au premier chapitre du Roman épistolaire de Versini, texte indiqué dans la bibliographie. Je ne reprendrai donc pas ici les informations historiques qui se trouvent dans cet ouvrage. Quant à la technique du roman épistolaire, nous nous y intéresserons au fur et à mesure de l’étude de nos textes. Rappelons simplement quelques éléments : 1°/ Problème de définition. Qu’est-ce qu’un roman épistolaire ? Faut-il qu’un texte soit intégralement composé de lettres pour être considéré comme un roman épistolaire ? Peut-il être partiellement composé de lettres et, si oui, dans quelles proportions ? Les réponses des critiques diffèrent sur ce point. Dans cette incertitude, j’ai choisi délibérément de ne considérer que des textes intégralement 3 épistolaires, estimant que ceux-là seuls, sans doute, méritent pleinement cette appellation. 2°/ Le roman épistolaire peut être monophonique ou polyphonique, avec une tendance à privilégier la technique polyphonique au fur et à mesure que l’on avance dans le siècle. Guilleragues offre l’exemple d’un texte monophonique et nos trois autres textes choisissent le procédé de la polyphonie. Les quatre textes seront étudiés, bien sûr, dans l’ordre chronologique avec des synthèses partielles et finales. GUILLERAGUES Lettres portugaises Le texte parut en 1669. C’est un texte bref qui se compose de cinq lettres, écrites par une religieuse portugaise qui se nomme elle-même par deux fois Mariane. Ce sont cinq lettres d’amour écrites à son amant, un officier français rentré en France, et dans lesquelles elle exprime sa tristesse, ses plaintes, son désespoir d’avoir été abandonnée et, pour finir, sa résolution de ne plus l’aimer et de ne plus lui écrire. Le succès du texte fut très vif, d’autant que le public crut sans peine à l’authenticité de cette correspondance. On identifia l’amant comme étant Noël Bouton de Chamilly (1636 – 1717 ), qui fut maréchal de France en 1703. Chamilly avait effectivement servi au Portugal. Il y eut quelques sceptiques pour douter de l’authenticité de ces lettres, dont Rousseau, qui y voyait l’œuvre d’un homme car, disait-il, les femmes ne savent « ni décrire ni sentir l’amour même ». Le succès du texte engendra une exploitation commerciale sous forme de suites : Des réponses de l’amant qui entraînent de nouvelles lettres de Mariane. Au cours du XIX° siècle, la critique biographique établit qu’une religieuse portugaise, nommée Mariana Alcoforada ou Alcoforado, avait très certainement eu, entre 1661 et 1669, une liaison avec Chamilly qui l’avait ensuite abandonnée. La tentation était grande de désigner cette religieuse comme auteur des cinq lettres du texte. Guilleragues avait peut-être eu connaissance de cette liaison, pas si secrète que cela si l’on en croit quelques remarques que fait Mariane dans ses lettres. Pourquoi le choix d’une religieuse ? Peut-être pour des raisons biographiques, dont nous avons parlé, ou des raisons commerciales ( les amours d’une religieuse ont toujours quelque chose de scandaleux ), ou pour des raisons de vraisemblance, si l’on en croit en tout cas ce que dit Challe dans les Illustres Françaises. Il écrit : « Le papier ne rougissant pas, les religieuses s’expliquent bien plus hardiment qu’elles ne parleraient, et s’engagent bien d’avantage. (…) Les religieuses n’épargnent ni le temps, ni le papier, et donnent carrière à leur passion, qui seule les occupe faute de dissipation » ( Histoire de M. de Terny et de Mlle de Bernay ). Le choix d’une religieuse tiendrait alors à des questions de vraisemblance psychologique et matérielle. Un des problèmes que pose ce texte est un problème de cohérence dans la composition : L’ordre des lettres prête beaucoup uploads/Litterature/ cours-rationalisme-et-sensibilite-au-xviii.pdf
Documents similaires










-
29
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Jui 09, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
- Taille du fichier 0.5174MB