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Tous droits réservés © Collectif Liberté, 1997 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne. https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. https://www.erudit.org/fr/ Document généré le 24 oct. 2021 22:14 Liberté Gaston Miron par lui-même Jean Larose, André Major, Jacques Brault et Gaston Miron Hommage à Gaston Miron Volume 39, numéro 5 (233), octobre 1997 URI : https://id.erudit.org/iderudit/60692ac Aller au sommaire du numéro Éditeur(s) Collectif Liberté ISSN 0024-2020 (imprimé) 1923-0915 (numérique) Découvrir la revue Citer cet article Larose, J., Major, A., Brault, J. & Miron, G. (1997). Gaston Miron par lui-même. Liberté, 39(5), 11–55. 11 GASTON MIRON PAR LUI-MÊME Dans les pages qui suivent, nous vous proposons un entretien de Jean Larose avec Gaston Miron, mort, comme on le sait, le 14 décembre 1996. D'abord diffusé à la chaîne culturelle FM de Radio-Canada, à l'émission Littératures actuelles, en 1990, ce document a été rediffusé au cours de l'hommage que nous lui avons rendu, au même réseau FM, le 18 décembre 1996. Cet entretien - le plus complet dont nous disposons dans nos archives - constitue un autoportrait en même temps qu'une réflexion approfondie sur la démarche du poète et son engagement à la fois comme éditeur et comme militant. Signalons qu'il ne s'agit pas d'une reproduction littérale et intégrale de l'en- registrement, sa transcription nécessitant des retouches d'ordre formel, parfois même certains «resserrements» pour en rendre la lecture plus aisée. Nous vous proposons également une version remaniée des propos que son ami, le poète Jacques Brault, a tenus à l'occasion de la retrans- mission de cet entretien. ANDRÉ MAJOR 12 Jean Larose: Lettre de Gaston Miron à Claude Haeffely 1: Montréal, le 11 septembre 1957 cher Claude, U ici, c'est l'Amérique, tu te souviens. La vie aux turbines à vide, la vie succession échevelée de temps, de gestes, etc. Et moi là-dedans, toujours le même sempiternellement, aujourd'hui comme hier, tout essoufflé, à bout portant d'exis- tence, le corps en sciure de fatigue et l'âme mal encrouée au corps. Je ne crois plus qu'il en soit autrement désormais. Rimbaud disait à peu près ceci: «Je ne sais plus parler.» Cette assertion se vérifie chaque jour à mon sujet. Et pour tous ceux qui ont tenté l'expérience du verbe ici. L'effort inouï, inimaginable, que nous avons dû fournir pour nous mettre au monde. Cela nous a tout pompé, jusqu'à notre ombre. Un jour, comme c'est le cas pour moi, nous en perdons la mémoire. La mémoire martyre. Je vis depuis deux ans sous le signe de l'Amnésie, je dois produire une énergie atomique pour parvenir au simple usage de la parole. Le mal, c'est la confusion. La confusion, c'est un terrain vague sous nos pieds. Nous devons chercher nos mots à quatre pattes dans le trou-vide. Même pour nommer (même pas pour dire) les choses les plus élémentaires, les besoins les plus vitaux de notre nature, les objets qui tombent sous nos yeux. Que m'est-il arrivé? Que nous arrive-t-il? [...] P.S.: Ne remarque pas trop la syntaxe de mon article; tu sais que je suis l'écrivain de langue française qui écrit le plus mal sa langue aujourd'hui 1. À bout portant. Correspondance de Gaston Miron à Claude Haeffely. 1954- 1965, Montréal, Leméac Éditeur, 1989, p. 62-65. Reproduit avec l'aimable autorisation de l'éditeur. Tout l'entretien sera repris dans L'Écriture en question. Entretiens radiophoniques avec onze écrivains, sous la direction d'André Major, Montréal, Leméac Éditeur, 1997. 13 Gaston Miron, vous avez écrit ces lignes en 1957, et je les ai citées parce qu'elles auraient pu sortir de vous à bien des époques de votre vie puisque la situation américaine et colonisée du Québec, le sentiment d'essoufflement, de rapetissement, de corps fatigué, malade et mal aimé, le mutisme - «Je ne sais plus parler» -, l'amnésie et, enfin, la pauvreté physique et intellectuelle, tout ça, avant même de l'écrire, vous a fait à l'origine, et je dirais que votre poésie n'a pas cessé de s'enrichir à même cette pauvreté. Alors, par où commençons-nous? Par où commence le poète? Est-ce que le poète commence chez ses ancêtres cultivateurs, à l'école, avec ses maîtres, à Montréal dans la vie de bohème, auprès des femmes? Gaston Miron: D'abord, je dois dire que ce texte, comme vous venez de le signaler, est tout à fait actuel pour moi. Je vis exactement dans les mêmes conditions qu'alors. C'est encore la confusion, on le voit partout dans la société: cette ambivalence vis-à-vis de l'identité, cette indécision héréditaire à vouloir accéder à un statut de peuple dans l'histoire, etc. Et aussi toutes les consé- quences qui en découlent, tous les malentendus sur la langue et sur les droits de l'homme, etc. Et je ne cesse encore de m'épuiser non seulement dans mon esprit, mais aussi dans mon corps. Quand j'écris sur ces sujets, je suis traversé par cette situation et j'en deviens psychosoma- tiquement malade, physiquement malade, parce qu'il me semble que ce sont des choses tellement claires. Alors, elles me tuent d'être tellement claires et qu'on ne les comprenne pas. J. L.: Autrement dit, la poésie est aujourd'hui aussi impossible et aussi nécessaire que dans ce temps-là? G. M.: Exactement. Toute ma vie j'ai vécu dans le paradoxe, dans la contradiction, et vous faisiez allusion à cette pauvreté, et je m'étonne moi-même qu'ayant été si démuni face à l'écriture j'aie pu réussir à écrire une dizaine de poèmes au moins, parmi les cent et quelque 14 que j'ai écrits, qui se tiennent debout. Alors, ça m'étonne moi-même, je me dis: Mais qu'est-ce qui m'est arrivé? Qu'est ce qui m'arrive, mais dans tous les sens, même dans le sens du paradoxe, même dans le sens de la contra- diction, parce que j'ai toujours trouvé la vie absurdement belle et aussi absurdement dénuée de sens, dans les con- ditions qui sont les miennes. J. L.: Qu'est-ce qui est au départ? C'est peut-être la pauvreté? G. M.: C'est une pauvreté, je ne dirais pas sociale - on vivait relativement bien, c'est-à-dire d'une façon très modeste. Mais à Sainte-Agathe-des-Monts où je suis né, oui, il y avait des pauvres, mais quand même tout le monde s'en sortait parce qu'on avait encore un pied dans le village et un pied dans le monde rural. Donc, on s'en sortait grâce aux grands-parents qui étaient sur des terres. Sainte-Agathe, c'était un microcosme de ce qu'allait de- venir le Québec actuel. C'est-à-dire que l'hiver nous étions vraiment chez nous, on se sentait appartenir à une communauté culturelle et linguistique, et tout à coup, l'été, de 1800 habitants le village se gonflait à 5000 habi- tants, parfois 6000, et là il y avait la marque de l'étranger parce qu'avant 1940 il n'y avait presque pas de touristes canadiens-français, mais déjà un fort contingent de Canadiens anglais avait des résidences secondaires dans les Laurentides. C'était déjà une tradition chez eux. Alors, tout le village devenait de langue anglaise pratiquement, on ne parlait le français que dans les lieux des valeurs- refuges, c'est-à-dire le sous-sol de l'église, parce qu'en haut c'était en latin, à l'école et dans la cuisine. Il y avait toute la mentalité colonisée qui jouait. Mon père me disait toujours: «Faut faire attention, c'est eux qui nous donnent le pain. Tu vas voir quand tu vas être grand, tu vas apprendre l'anglais. » Enfin, c'était toute la relation dominant-dominé qui jouait à fond et j'ai été marqué par ça d'abord. Je suis né à la poésie écrite vers l'âge de quatorze ans, quand je suis parti de Sainte-Agathe pour 15 aller étudier à l'École normale de Granby, en vue de devenir un frère enseignant. J'ai donc eu une formation d'instituteur et je suis très fier d'être un écrivain-institu- teur. D'ailleurs, j'ai gardé toute ma vie, à travers ce que j'ai fait, à travers mes écrits, à travers mon animation culturelle, un sens de la pédagogie. Je pense que j'avais le talent d'expliquer très simplement des choses compli- quées, des choses structurelles, des choses économiques, à toutes sortes de publics. Vers quatorze ans, j'ai eu mon premier âge de raison poétique. J'en ai eu un deuxième dont on va parler un peu plus tard, vers vingt-deux, vingt-trois ans. Mais il n'en reste pas moins que la sen- sibilité du poète était déjà très active en tout bas âge, d'abord face à cette marque de l'étranger, face donc à la langue aussi. J'ai connu ça avant d'autres, à cause de Sainte-Agathe et de Sainte-Adèle, enfin de tout ce coin des Laurentides qui était très habité par les Canadiens anglais durant l'été - il y avait aussi parmi eux, majoritairement même, des juifs, mais à l'époque je ne faisais pas la dis- tinction, pour moi c'étaient des gens qui parlaient anglais, que je ne uploads/Litterature/ miron-g-1997-gaston-miron-par-lui-meme.pdf
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Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Nov 21, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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