TIPA. Travaux interdisciplinaires sur la parole et le langage 29 | 2013 Le fran

TIPA. Travaux interdisciplinaires sur la parole et le langage 29 | 2013 Le français parlé Peut-on écrire l’accent marseillais ? Analyse sociolinguistique de l’oral stylisé dans un corpus de littérature contemporaine Médéric Gasquet-Cyrus Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/tipa/753 DOI : 10.4000/tipa.753 ISSN : 2264-7082 Éditeur Laboratoire Parole et Langage Référence électronique Médéric Gasquet-Cyrus, « Peut-on écrire l’accent marseillais ? », TIPA. Travaux interdisciplinaires sur la parole et le langage [En ligne], 29 | 2013, mis en ligne le 20 décembre 2013, consulté le 19 avril 2019. URL : http://journals.openedition.org/tipa/753 ; DOI : 10.4000/tipa.753 Ce document a été généré automatiquement le 19 avril 2019. La revue TIPA. Travaux interdisciplinaires sur la parole et le langage est mise à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International. Peut-on écrire l’accent marseillais ? Analyse sociolinguistique de l’oral stylisé dans un corpus de littérature contemporaine Médéric Gasquet-Cyrus Introduction 1 La représentation écrite de formes (soi disant) orales ou non standard n’est pas chose rare : pour caractériser un idiolecte, un sociolecte ou un régiolecte, de nombreux écrivains ont depuis des siècles inventé des graphies singulières. Sensible aux relations complexes entre oral et écrit, F. Gadet (2003 : 29) pense qu’ « [i]l y a un travail à faire sur les marques et les stéréotypes graphiques du populaire dans différentes langues », car le phénomène n’est évidemment pas restreint au français. C’est une partie de ce travail que propose le présent texte qui porte sur la littérature marseillaise contemporaine. Au delà des pratiques habituelles des romanciers qui essaient de teinter leurs écrits d’un certain réalisme, il s’agira de voir ce que les écrivains sélectionnent comme marqueurs de l’oralité, de confronter ces procédés aux usages attestés localement et d’analyser leur signification sociolinguistique. Dans un premier temps, il conviendra d’examiner la manière dont certains écrivains ont tenté d’intégrer « l’oral » dans leurs textes. L’analyse se concentrera ensuite sur Marseille : après un recul historique qui reviendra sur l’émergence à l’écrit du « marseillais », on se focalisera sur les marqueurs traditionnels de « l’accent marseillais », mais aussi sur les tentatives plus fines effectuées par certains auteurs pour représenter des variations au sein du français de Marseille. Enfin, dans une perspective sociolinguistique, il s’agira de se demander dans quelle mesure les écrivains, à travers les procédés variables qu’ils utilisent pour styliser l’écrit avec des marques « orales », peuvent rendre compte de changements émergents et socialement significatifs dans le français de Marseille. 2 Le corpus sur lequel s’appuie cette étude est composé de textes de genres variés allant du XIXe siècle à nos jours, même si l’attention sera davantage portée sur la période contemporaine. Cet ensemble écrit, qui n’a pas été traité de manière quantitative, est mis en regard d’un corpus de pratiques orales (entretiens, conversations, énoncés) constitué Peut-on écrire l’accent marseillais ? TIPA. Travaux interdisciplinaires sur la parole et le langage, 29 | 2013 1 depuis les années 2000, qui a déjà donné lieu à plusieurs analyses (Binisti et Gasquet- Cyrus, 2001, 2003 ; Gasquet-Cyrus, 2004, 2013). 1. Les écrivains et l’oral stylisé 1.a. La littérature, entre « écrit » et « oral » 3 La problématique de la relation oral/écrit n’est pas résoluble par une simple dichotomie, surtout si celle-ci tourne au jugement de valeur entre un oral qui serait familier, fautif voire chaotique, et un écrit forcément normé, prestigieux et intelligible. Les travaux pionniers initiés par et autour de Claire Blanche-Benveniste et poursuivis notamment dans le cadre du GARS ont bien éclairé les caractéristiques de l’oral, et partant la complexité de la relation oral/écrit (Blanche-Benveniste et Jeanjean, 1987 ; Blanche- Benveniste, 1997 : 5-34 ; voir aussi Caddéo et al., 2012 : 12-15). Le statut négatif de « l’oral » par rapport à l’écrit est cependant très ancré et même – avec un facile jeu de mots graphique – très encré étant donné sa prégnance dans la littérature française. En effet, bien des parlures populaires ou rurales ont été « rendues » à l’écrit à travers de simples marques (supposées) d’« oral » (que C. Vigneau-Rouayrenc, 1991 appelle dénoteurs), conférant à ce dernier une image dégradée difficile à faire changer dans les mentalités, y compris chez certains linguistes. 1.b. De la transcription à la représentation graphique 4 Il ne faudrait pourtant pas blâmer les auteurs. Sans poursuivre les mêmes objectifs, linguistes et écrivains partagent en effet un même intérêt pour l’oralité1. Les premiers transcrivent de la manière la plus rigoureuse possible la matière sonore enregistrée dans leurs corpus à des fins d’analyse. Cependant, ils ont eux-mêmes montré l’impossibilité substantielle de transcrire fidèlement (et exhaustivement) la « langue parlée » avec les moyens de l’écrit : la multimodalité même de la communication orale prévient toute tentative de codification reposant sur la linéarité (entre autres contraintes) de l’écrit. Toute transcription – « substitut fonctionnel et non miroir » (Gadet, 2003 : 31 ; voir aussi Gadet 2008) – de l’oral est un compromis entre des besoins de lisibilité et la précision des faits phonétiques, phonologiques, intonatifs, morphologiques et syntaxiques produits et perçus. Les ambitieux travaux contemporains sur la transcription et l’annotation2 sont révélateurs de la complexité des tâches qui incombent encore aux chercheurs, et qui ne sont que partiellement résolues par les moyens technologiques. Le pari de la transcription nécessite certes une « oreille » sensible aux nuances phonétiques et aux variantes syntaxiques usitées au quotidien, et des outils performants pour traiter le signal de parole, mais aussi une réflexion solide sur l’objet à circonscrire et les moyens de le transcrire : en somme, un véritable travail théorique et méthodologique sur la langue. 5 Les restrictions techniques propres aux professionnels du langage n’ont cependant jamais empêché les écrivains de vouloir caractériser leurs personnages à l’aide de « bricolages » graphiques censés indiquer leur accent, leur milieu social ou leur origine régionale. La tentation d’oraliser les parlures dans les œuvres écrites est d’ailleurs séculaire. « Par rapport à d’autres langues, le français est une langue disposant d’un grand nombre de documents écrits datant de plusieurs siècles, lesquels nous permettent d’examiner le français parlé au cours du temps. En réalité, les dialogues modèles dans les textes didactiques remontent jusqu’au moyen français (Gessler, 1934). Peut-on écrire l’accent marseillais ? TIPA. Travaux interdisciplinaires sur la parole et le langage, 29 | 2013 2 Certaines pièces de Molière, les romans réalistes de Scarron et de Sorel et les commentaires métalinguistiques chez les grammairiens témoignent souvent du français parlé. » (Kawaguchi, 2012 : 230) 6 Un tournant fut franchi au XIXe siècle, avec la publication des Mémoires de Vidocq (1838), l’entrée spectaculaire de l’argot dans la littérature française avec Hugo (Les Misérables, 1862), et surtout les réalistes (ou naturalistes) et leur projet de « copie des langages collectifs » (Barthes, 1984 : 121). Pourtant, Zola ou Maupassant ne firent guère plus que « colorer » leurs dialogues, en conservant à leurs personnages une syntaxe standard (Portet, 1994). De plus, l’imitation a souvent « été déléguée par nos romanciers à des personnages secondaires, à des comparses, chargés de “fixer” le réalisme social, cependant que le héros continue de parler un langage intemporel, dont la “transparence” et la neutralité sont censées s’accorder à l’universalité psychologique de l’âme humaine » (Barthes, 1984 : 121). Céline fut l’un des premiers à réellement bouleverser ce mode de représentation, notamment dans Voyage au bout de la nuit (1932), mais aussi dans d’autres œuvres, examinées dans plusieurs travaux (Latin, 1988 ; Rouayrenc, 1994 ; Vigneau- Rouayrenc 1991). 7 D’autres auteurs se sont essayé à des graphies « oralisantes » qui ne se limitent pas aux idiolectes des personnages mais qui investissent toutes les formes du récit : Mac Orlan, Cendrars, Queneau3, Ramuz, Poulaille, Beckett, Tardieu dans le domaine francophone, et bien sûr Joyce avec Ulysse (1922), sans compter les poètes : Desnos, Prévert, Michaux, Novarina, Luca4… Il faut ajouter le corpus étudié notamment par les créolistes qui cherchent dans des documents historiques des XVIIe et XVIIIe siècles (journaux, chroniques, récits, romans) des marques potentielles du français parlé à l’époque où les colons ont permis la genèse des créoles (Chaudenson, 2003 : 146sq), et toute une partie de la littérature dite « francophone » dans laquelle des auteurs de différentes aires du monde (Maghreb, Afrique subsaharienne, Amérique du Nord, Benelux) jouent eux aussi avec les graphies pour caractériser des variantes diatopiques ou diastratiques. 1.c. Oral stylisé et oralité 8 Sans disposer des moyens techniques et du recul des linguistes, et sans recours à l’API, nombre d’écrivains s’essaient donc, sous différentes modalités et avec des motivations diverses, à la représentation de « l’oral » à l’écrit. Rejetés à juste titre par le GARS pour toute transcription rigoureuse, ces « trucages orthographiques » (Blanche-Benveniste, 1997 : 28) n’en sont pas moins utilisés en littérature. Appelé mimologie (Genette, 1976), mise en scène scripturale (Siblot, 1991), mise en scène littéraire de la parole ordinaire (Gadet, 2003 : 30) ou oral stylisé (Kawaguchi 2012), ce procédé instable intéresse les linguistes sur de uploads/Litterature/ peut-on-ecrire-l-x27-accent-marseillais.pdf

  • 32
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager