COLLECTION FOLIO Valery Larbaud Mon plus secret conseil… Gallimard Valery Larba

COLLECTION FOLIO Valery Larbaud Mon plus secret conseil… Gallimard Valery Larbaud naît à Vichy en août 1881. Son père, qui a bâti sa fortune sur l’exploitation des eaux minérales de Saint-Yorre dans l’Allier, meurt quand il a huit ans. Enfant unique, solitaire et rêveur, sa santé fragile le contraint à faire des cures. Quand il a dix-sept ans, pour le former aux affaires familiales, sa mère lui fait faire un tour d’Europe avec l’administrateur de l’entreprise, mais s’il aime les voyages, il n’a guère de goût pour le commerce. Grâce à sa fortune, il peut mener une vie de dandy cosmopolite et commence à écrire. En 1908, il publie Poèmes pour un riche amateur sous le pseudonyme d’Archibald Orson Barnabooth qu’il présente comme un richissime Sud-Américain et grand écrivain dont il publiera les Œuvres complètes (journal, poésies, etc.). En 1911 est publié le roman Fermina Márquez, inspiré de ses amours adolescentes. Enfantines, nouvelles qui mêlent l’esprit d’enfance à un délicat érotisme, paraît en 1918, suivi en 1923 par trois courts romans, dont Mon plus secret conseil… Grand lecteur de littérature étrangère, parlant plusieurs langues, il traduit Samuel Butler, James Joyce (Ulysse), Italo Svevo… Lorsqu’il ne sillonne pas l’Europe, il séjourne à Vichy où se succèdent les grandes figures littéraires de l’époque comme André Gide. En 1935, il est terrassé par une attaque cérébrale. Devenu aphasique, il est contraint de passer plus de vingt ans cloué dans un fauteuil et ne peut plus écrire. En 1948, il doit vendre les propriétés familiales et cède sa bibliothèque de plus de quinze mille volumes en viager à la ville de Vichy. Il meurt le 2 février 1957. Écrivain, traducteur, lecteur, voyageur, Valery Larbaud a décrit une Europe aux multiples aspects géographiques et humains mais unie par l’art et la littérature. Découvrez, lisez ou relisez les livres de Valery Larbaud : FERMINA MÁRQUEZ (Folio no 225) A. O. BARNABOOTH. SON JOURNAL INTIME (L’Imaginaire no 98) AMANTS, HEUREUX AMANTS, précédé de BEAUTÉ, MON BEAU SOUCI…, suivi de MON PLUS SECRET CONSEIL… (L’Imaginaire no 298) AUX COULEURS DE ROME (L’Imaginaire no 368) ENFANTINES (L’Imaginaire no 8) JAUNE BLEU BLANC (L’Imaginaire no 259) SOUS L’INVOCATION DE SAINT JÉRÔME (Tel no 290) Mon plus secret conseil et mon doux entretien, Pensers, chers confidents d’un amour si fidèle, Tenez-moi compagnie et parlons d’Isabelle… TRISTAN L’HERMITE (Les Amours) À Édouard Dujardin auteur de Les Lauriers sont coupés (1887) a quo… I Palazzo Ristori, Vomero, Napoli. « Et si je la ramenais à son mari ? » Ça, c’est du monologue de théâtre, une de ces choses qu’il se surprenait à dire, ou même seulement à penser, pour des spectateurs imaginaires. Comment a-t-il pu retomber dans un pareil enfantillage ; un homme avec charge d’âme, et au milieu d’une si grave crise sentimentale ? C’est pour que mon ange gardien l’aille répéter à l’ange gardien d’Irène, sans doute ! Comment pourrait-il ramener Isabelle à son mari ? Il faudrait qu’elle y consentît ; mais passons sur cette impossibilité. Le mari dirait : Je ne vous connais pas ; je ne connais plus Madame ; le divorce a été prononcé. Dirait-il cela ? Rien n’est prévisible. On peut imaginer le voyage, monter, en gare de Naples, dans le Paris-Rome ; arriver à Paris, gare de Lyon. La grille du jardin des Plantes. Vous passerez par le boulevard Saint-Michel et vous arrêterez devant le bureau de tabac de la place Médicis. Enfin, chez nous, non, chez moi, rue Berthollet. Il faudrait y coucher. La dernière nuit passée ensemble ! Oui, mais soutenu par cette pensée : je la ramène à son mari ; je ne l’abandonne pas, et je fais une chose surprenante, romanesque et morale. Le lendemain matin : une voiture chargée de ses bagages ; la gare de l’Est ; les rames de wagons brun-rouge, plutôt : couleur de chocolat (ce sont les troisièmes ; pourquoi a-t-on choisi cette couleur ? Qui en a eu l’idée ? Voilà une de ces choses qu’on ne saura jamais). Nous arrivons ; dans une ville du réseau de l’Est. Et s’il a été nommé ailleurs ? depuis quatorze ou quinze mois qu’elle n’a plus entendu parler de lui… Enfin, nous voici à la porte de son appartement. Monsieur est sorti. Attendrons-nous ? Reviendrons-nous ? Ou bien il est chez lui. À la servante : « Dites à Monsieur que M. Lucas Letheil désire lui parler. » C’est peut-être la même servante, celle qui était là avant le départ de Madame. Elle la reconnaît : « Oh, Madame ! » Ou bien ce n’est pas la même, et on entre sans incident, la reconnaissance remise à l’instant d’après, quand le mari ouvrira la porte du salon et qu’il la verra. L’imaginer vieilli, attristé, — non, c’est absurde. Absurde aussi l’image de la grande scène où il pardonnerait, la tenant serrée entre ses bras, puis disant à Lucas : « Monsieur, vous êtes un galant homme. » Ça ne se passe jamais comme ça. Plus vraisemblable serait une scène violente et vulgaire, une retraite honteuse vers le palier ; des portes s’entrebâillant aux autres étages. Non, il est fonctionnaire ; il a une situation à faire respecter, une dignité à garder. Ce serait une mise à la porte énergique, rapide et polie ; un souvenir intolérable. Oh, assez, de cette rêverie de collégien pendant l’étude du soir ! Elle est aussi sotte, aussi humiliante que toute cette lamentable histoire de ses relations avec Isabelle. Enfin, dans huit jours… mettons quinze… tout cela sera oublié, le sillage même effacé. Libre ! libre de toute cette médiocrité, de tout ce péché ; et la Vie princière recommencera, pour tout de bon cette fois-ci… « Et si je la ramenais à son mari » : c’est aussi indigne de lui, Lucas Letheil, aussi bassement sot que s’il avait tendu le poing dans la direction de cette porte derrière laquelle il y a la chambre où Isabelle dort. Car elle dort. Après l’abominable querelle, — la dernière ! — elle s’est endormie, croyant sans doute que cela se terminerait comme d’habitude. Elle pense même que cela s’est mieux terminé que la dernière fois, la nuit du Mensonge. Elle verra bien que non. C’est même parce qu’il a pris cette résolution qu’il n’a pas voulu acheter une semaine de tranquillité au prix d’une action brutale. Cette situation insupportable va prendre fin ; et, sans doute, ramener Isabelle à son mari serait un heureux dénouement à cette comédie sans intérêt. Plus tard il songerait : « J’avais à peine vingt-deux ans ; une femme, je ne sais plus comment, s’était fourvoyée dans ma vie ; elle eût été aimable, sans les crises de fureur auxquelles elle était sujette. Elle était divorcée. Eh bien, je l’ai ramenée à son mari, et ils vécurent heureux. Il y a des hommes qui brisent des ménages ; moi, j’ai rompu un divorce… » Oui, cette fin rendrait acceptable le souvenir de cette histoire ; mais telle qu’elle était, et avec la fin qu’elle allait avoir, ce serait bien, de toutes les aventures de sa jeunesse, la dernière qu’il irait chercher pour se la raconter. Isabelle serait pour lui une de ces femmes qui ne comptent pas dans la vie d’un homme, et dont le nom ne représente qu’une erreur, des ennuis, du temps perdu, une déception. Quelque chose comme ce vêtement du grand tailleur, — notre tout premier effort d’élégance, — essayé souvent, payé cher, et qui n’allait pas bien, que nous n’avons mis que deux ou trois fois, dont nous avons longtemps encombré une armoire, par esprit de bonne volonté, par un sentiment voisin de ce qu’on appelle le sentiment du Devoir, et que nous avons fini par donner, mais avec une sorte de remords. Isabelle ne lui allait pas bien. Sa fraîcheur, l’éclat de son visage, ses manières réservées, son esprit, l’avaient trompé. En réalité, elle était faite pour être la femme d’un bourgeois, d’un industriel par exemple, mais non pas la maîtresse d’un homme tel que Lucas Letheil, qui était… quoi donc ? Oh, bien des choses ; mais avant tout et surtout, quelque chose de plus rare, de plus haut dans l’échelle sociale qu’un grand seigneur ou qu’un milliardaire : un poète. Et c’est pour cela qu’une fin poétique, ou au moins joliment comique, aurait convenu à cette affaire manquée. Si elle avait eu un enfant de son mari, il aurait existé un élément de réconciliation, la chose n’aurait pas été aussi désespérément impossible. Mais non : cela allait finir maladroitement, sottement… Je m’étais trompé de porte ; je n’ai pas osé m’en aller tout de suite ; à la fin, j’ai filé honteusement… Non ; c’est une vue extrême des choses. Son départ, tout à l’heure, ne sera pas une fuite. Je suis libre. Célibataire et libre. J’ai envie d’aller, seul, faire une excursion en Sicile. Qui peut m’en empêcher ? J’y vais. Et dans une heure, le jour étant levé, je prends un train pour Messine. J’aime les départs au uploads/Litterature/ mon-plus-secret-conseil-by-valery-larbaud-larbaud-valery.pdf

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