LITTÉRATURES ESSAIS O n commémore, on commémore. Les magazines mettent Sartre e
LITTÉRATURES ESSAIS O n commémore, on commémore. Les magazines mettent Sartre en couverture tout en se demandant s’il faut le brûler ou en affirmant qu’il ne suscite plus que l’indifféren- ce, quand ce n’est pas les deux en même temps. Bref, ce mort insup- porte encore beaucoup. Pour l’affi- che de l’exposition de la Bibliothè- que nationale de France, on a choisi un Sartre sans son habituelle cigaret- te à la main, comme s’il risquait de précipiter encore une fois la jeu- nesse dans le vice ou au moins dans la transgression. L’œuvre, Dieu soit loué, reste à l’index. Mais comme elle est vouée à l’oubli, on se conten- te d’appeler médiatiquement au relevé des fameuses « erreurs de Sartre » qui la disqualifient. En février 1940, Jean-Paul Sartre, jeune écrivain prometteur, mobilisé en Alsace dans cette « drôle de guerre » qui n’éclate pas, s’interro- ge sur sa génération : « Y a-t-il eu avant la guerre beaucoup de jeunes gens plus solides que nous n’étions ? Plus solides que Nizan, que Guille, qu’Aron, que le Castor [Simone de Beauvoir] ? Nous ne cherchions ni à détruire ni à nous procurer des exta- ses nerveuses et insensées. Nous vou- lions patiemment et sagement com- prendre le monde, le découvrir et nous y faire une place. (…) Ceux d’en- tre nous qui voulaient changer le monde et qui furent, par exemple, communistes, le devinrent raisonna- blement, après avoir pesé le pour et le contre. Et ce que je me rappelle le mieux, ce que je regretterai toujours, c’est l’atmosphère unique de force et de gaîté intellectuelles qui nous enve- loppait. On a dit que nous étions trop intelligents. Pourquoi trop ? » (Car- nets de la drôle de guerre.) Oui, formidable génération intel- lectuelle, dont cette année marque le centenaire. Certes, Sartre la domi- ne, mais qu’on n’oublie pas Geor- ges Canguilhem, Daniel Lagache, ses camarades de promo- tion. Et Paul Nizan, bien sûr, fauché par une balle alle- mande en 1940, avant d’avoir pu tenir toute sa place ; et Raymond Aron qui, une fois Nizan et Camus disparus, resta en dialogue avec Sar- tre. Y eut-il, en effet, y a-t-il aujour- d’hui des jeunes gens plus solides, plus travailleurs, plus appliqués qu’ils le furent ? A travers Sartre, c’est à toute une génération que l’on voudrait ici rendre simplement hommage, fût-ce pour la contester. Elle a puissamment contribué à éclairer le monde. On n’est jamais trop intelligent. Ou bien l’intelligen- ce continue-t-elle d’offenser ? Mais celle de Sartre opère-t-elle encore pour notre temps ? Jim Crace ; Hubert Mingarelli ; « Parti-pris » : Philippe Djian, Ysé Aillaud page X Michel Onfray et Régis Debray, variations sur Dieu ; Monique Canto-Sperber page XI RENCONTRES Sartre, cent ans de liberté Un siècle après sa naissance, en 1905, l’ombre portée du « petit homme », comme l’appelaient ses amis de jeunesse, demeure considérable. Metteurs en scène de théâtre et philosophes disent son actualité ainsi que celle de ses deux grands contemporains, Paul Nizan et Raymond Aron jacques de potier/paris-match LIVRES DE POCHE Gérard Berreby et l’aventure des éditions Allia ; Armand Farrachi et « L’Art de la Fugue » page XII FANTASTIQUE Mais qui s’acharne ainsi sur le Frère Médard ? « Les Elixirs du diable » d’E. T. A. Hoffmann, chef-d’œuvre absolu du roman noir page IX Véronique Bizot « Une manière impressionnante de mêler le vraisemblable et l'absurde,la douleur et le cynisme,la cocasserie et la noirceur.» Bernard Pivot de l'Académie Goncourt, Le Journal du Dimanche Les sangliers © David Balicki Stock NOUVELLES a Michel Contat DES LIVRES VENDREDI 11 MARS 2005 L'être et le Net D e toutes les figures de Jean- Paul Sartre – le penseur, l’auteur, l’homme d’action et d’engagement –, c’est celle de l’écrivain que la Bibliothèque natio- nale de France (BNF) a choisi de pri- vilégier. « D’une part, Sartre est d’abord un homme de l’écriture. Tout au long de sa vie, il n’a jamais cessé d’écrire, sauf à la fin lorsqu’il est deve- nu aveugle. D’autre part, la BNF pos- sède un fonds exceptionnel de manus- crits », explique Mauricette Berne, commissaire de l’exposition. La présentation suit ce chemin d’écriture, par étapes chronologi- ques, depuis la jeunesse jusqu’à l’aboutissement, L’Idiot de la famille, publié en 1971. Elle laisse aussi place aux œuvres d’artistes qui ont inspiré Sartre, notamment Le Tintoret, ou à ses proches, com- me Giacometti ou Wols. Dès l’entrée à l’Ecole normale supérieure, en 1924, le jeune hom- me noircit des carnets. Il correspond avec Simone Jollivet (la Camille des Mémoires de Simone de Beauvoir), future compagne du metteur en scè- ne Charles Dullin. Elle contribue à engager Sartre dans l’aventure du théâtre. Dans une lettre de 1926, pré- sentée à la BNF, il lui écrit : « J’ai sur- tout l’ambition de créer, (…) je ne peux pas voir une feuille de papier blanc sans avoir envie d’écrire quel- que chose dessus. » A la même pério- de, le normalien décide d’ensei- gner la philosophie pour avoir le loisir de se consacrer à l’écriture : « Cette profession secondaire m’of- frirait le monde intérieur qui serait le sujet même de mes ouvrages litté- raires. » Il résume ses ambitions : « Je veux être Spinoza et Stendhal. » En 1939-1940, il rédige quinze carnets de son journal de guerre. Plusieurs des sept qui subsistent sont exposés, montrant une écritu- re serrée couvrant chaque centimè- tre du papier précieux en temps de guerre. A la Libération, Sartre, qui a publié La Nausée et les pièces de théâtre Les Mouches et Huis clos, fait déjà partie du Tout-Paris des lettres. Son choix d’une littérature « engagée » apparaît dès le pre- mier numéro de la revue Les Temps modernes, paru en 1945. Une large sélection des œuvres qui témoignent d’un engagement sur les questions raciales et colonia- les est présentée dans l’exposition. En 1945, les Etats-Unis invitent une douzaine de reporters fran- çais. Sartre y part pour le quoti- dien Combat d’Albert Camus, et aussi pour Le Figaro. A la une de ce journal, le 16 juin 1945, on peut lire le début de sa série « Retour des USA, ce que j’ai appris du pro- blème noir ». Il devient membre du comité de patronage de la revue Présence africaine, fondée en 1947. Plus tard, la guerre d’Algérie lui donne l’occasion de radicaliser ses positions en faveur des cou- rants indépendantistes. Une photo montre son appartement de la rue Bonaparte plastiqué en 1962 par l’OAS pour la deuxième fois. Plusieurs documents des années 1950 n’éludent pas l’adhésion qua- si aveugle de Jean-Paul Sartre au Parti communiste français, jusqu’à la rupture en 1956, après l’écrase- ment de l’insurrection à Budapest. Bon nombre de photos témoi- gnent des voyages de Sartre et Beauvoir sur des lignes de front de l’époque : ils sont aux côtés de Che Guevara à Cuba, en 1960, ou à Gaza en 1967. L’engagement pour la paix au Proche-Orient amènera la publication en 1977 dans Les Temps modernes des actes d’un colloque réunissant intellectuels palestiniens et israéliens chez le philosophe Michel Foucault. espaces à part Tout au long de l’exposition, la participation de Jean-Paul Sartre à la vie théâtrale est présentée dans des espaces à part, qui, entourés de tentures rouges, font penser à des loges. On y voit des films de ses pièces, des éditions originales, des livrets de représentations. Dans un texte inédit extrait des archives de Charles Dullin, il expo- se sa conception de l’enseigne- ment de l’art dramatique, axée sur le travail de l’acteur. La BNF présente aussi un entre- tien inédit, recueilli en 1967 pour la télévision canadienne par Madelei- ne Gobeil Noël et Claude Lanz- mann. En une heure, ce document (édité à présent en DVD) constitue une introduction vivante aux grands thèmes de l’œuvre de Sartre. En exposant de nombreuses piè- ces du fonds Sartre, Mauricette Berne espère que l’événement sus- citera une curiosité qui permettra de « faire ressurgir des manuscrits disparus ». Il n’existe par exemple plus aucune trace du manuscrit ori- ginal de L’Etre et le néant. Catherine Bédarida e Sartre, jusqu’au 21 août. Bibliothè- que nationale de France, quai Fran- çois-Mauriac, Paris-13 e. Tél. : 01-53-79-59-59. e Un catalogue qui suit l’itinéraire de l’exposition est publié (BNF/ Galli- mard, 292 p., DVD inclus, 48 ¤). L’HÉRITAGE de Sartre et son cortège de questions hantent la sphère médiatique. Et, par natu- re, les titres oscillent inévitable- ment entre dénonciation et hagiographie. La Toile, quant à elle, est plus froide. Elle est préoc- cupée de l’auteur et ne semble pas prise dans l’emballement du centenaire de la naissance de l’écrivain. Le fidèle et imperturba- ble destrier Google, qui d’habitu- de se montre prompt à délivrer des réponses « dans l’actualité », n’en fournit aucune. Il se conten- te, excusez du peu, de 814 000 références multilingues. Quant à Technorati, moteur de recherche pour les blogs, il recen- se quelque 5 272 notes, dont la dernière, au moment de notre connexion, uploads/Litterature/ sartre-jean-paul-sartre-cent-ans-de-liberte-le-monde-des-livres-vendredi-11-mars-2005.pdf
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- Publié le Mar 17, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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