L a m b e rt - L u c a s L I M O G E S Federico Bravo A n a g r a m m e s Sur u
L a m b e rt - L u c a s L I M O G E S Federico Bravo A n a g r a m m e s Sur une hypothèse de Ferdinand de Saussure La construction que ce livre se donne comme objet d’étude est à la fois une théorie du texte et une théorie du langage. Si l’anagramme est une figure du langage, c’en est aussi une concevabilité. Né, comme une fulgurance de la pensée, de la contemplation médita- tive, quasiment flottante, dans laquelle Ferdinand de Saussure s’était abîmé par un jour de désœuvrement de l’année 1905 devant une inscription latine, le projet anagrammatique prend sa source et son sens dans la théorie qu’il alimente et qui l’alimente. Quatre années durant, Saussure se lance à corps perdu dans une quête d’une intensité exceptionnelle avant de replonger avec la même d é t e rmination dans un silence étourdissant. Cent ans après l’arr ê t définitif de ses re c h e rches, le présent travail, qui se veut avant tout un hommage à son œuvre et à sa pensée, dresse un bilan rétro s p e c t i f et prospectif de la re c h e rche sur et autour de l’anagramme. Federico Bravo a poursuivi des études de linguistique et de philologie romane à l’Université de Navarre et à l’Université de Bordeaux. Il est p rofesseur à l’Université Michel de Montaigne - Bordeaux III où il enseigne la linguistique et la sémiotique. Il dirige le GRIAL – Gro u p e I n t e rd i s c i p l i n a i re d’Analyse Littérale –, centre de re c h e rche de l’EA 3656. 280 pages 30 euros ISBN 978-2-35935-036-4 Federico Bravo Anagrammes Sur une hypothèse de Ferdinand de Saussure Deuxième tirage revu et corrigé par l’auteur. Couverture : Henry Lerolle, La Lettre, © Musée des Beaux-Arts de Pau ; photographie de Jean-Christophe Poumeyrol. © Limoges, Éditions Lambert-Lucas, 2011 ISBN : 978-2-35935-036-4 À la mémoire de Ferdinand de Saussure, en respectueux hommage. Remerciements à Marc Arabyan, Julien Barret, Myriam Bernède, Anne-Marie Capdeboscq, Alain Chevrier, Stanislas Dehane, Nadine Ly, Maria del Carmen Martinez, Matías Múgica, Bernadette Rigal-Cellard, Marie-Claire Rouyer Daney, Natacha Vas-Deyres, Paul Veyret. INTRODUCTION CURIEUX LINGUISTE … si je savais seulement deux mots de sanscrit, je me réfuterais moi-même… Ferdinand de Saussure, lettre du 17 août 1874 à Adolphe Pictet (Mejía Quijano 2008 : 325) La construction que ce livre se donne comme objet d’étude est à la fois une théorie du texte et une théorie du langage. Si l’anagramme est une figure du langage, c’en est aussi une concevabilité. Né, comme une fulgurance de la pensée, de la contemplation méditative, quasiment flottante, dans laquelle Ferdinand de Saussure s’était abîmé par un jour de désœuvrement de l’année 1905 devant une inscription latine, le projet anagrammatique prend sa source et son sens dans la théorie qu’il alimente et qui l’alimente. Quatre années durant, Saussure se lance à corps perdu dans une quête d’une intensité exceptionnelle avant de replonger avec la même détermination dans un silence étourdissant. Cent ans après l’arrêt définitif de ses recherches, le présent travail, qui se veut avant tout un hommage à son œuvre et à sa pensée, dresse un bilan rétrospectif et prospectif de la recherche sur et autour de l’anagramme. Rétrospectif, il retrace la voie parcourue depuis la publication en 1964 de l’étude pionnière sur Les anagrammes de Ferdinand de Saussure par Jean Starobinski au Mercure de France, puis en 1971 de son ouvrage inégalé Les Mots sous les mots, monument d’intelligence, de finesse analytique et de clairvoyance intellectuelle que les Éditions Lambert-Lucas ont eu l’heureuse idée de rééditer en 2009, jusqu’aux récents travaux de spécialistes comme Francis Gandon, auteur d’un admirable Saussure lecteur de Lucrèce, modèle d’enquête scientifique, de transdisci- plinarité et de déontologie de la lecture, en passant, pour ne citer qu’eux, par la formalisation sémiotique élaborée dans les années soixante par Julia Kristeva, extension sémanalytique des postulats saussuriens d’une stupéfiante modernité, ou encore la lumineuse 12 ANAGRAMMES inflexion psychanalytique que Jean-Michel Arrivé donne aux écrits de Saussure mettant en lumière les fils qui les relient à la découverte freudienne. Prospectif, ce livre tente, plus modestement, d’ouvrir la voie à de nouvelles approches, de jeter des ponts avec d’autres disciplines, en esquissant par exemple une lecture des anagrammes à l’épreuve des neurosciences et des dernières avancées en matière de physiologie et de psychologie cognitive de la lecture ; il s’efforce d’apporter des compléments d’enquête pour contribuer à une meilleure mise en perspective – historique mais aussi biographique – des recherches de Saussure, ou simplement il énonce quelques hypothèses suggérées par la lecture des hypothèses du maître genevois susceptibles de contribuer à la mise en lumière de nouveaux principes d’analyse que ce soit dans le domaine linguistique, dans le domaine poétique ou dans le domaine sémiotique. Irréductible aux statistiques et au calcul des probabilités, l’hypo- thèse saussurienne s’énonce et se lit, mieux que comme une modéli- sation inachevée, comme une construction en mouvement, comme une démarche analytique qui trouve dans le texte qu’elle prend pour objet les fondements de sa propre théorie, une théorie toujours sur le fil du rasoir, qui fascine pour les perspectives d’analyse qu’elle ouvre autant qu’elle exaspère pour les certitudes qu’elle dérange et surtout pour celles qu’elle refuse de livrer à qui, comme Saussure lui-même, cherche à en établir la preuve irréfutable : il est probable d’ailleurs que l’hypothèse saussurienne tire son exceptionnelle puissance expli- cative de son statut d’hypothèse vouée à le rester indéfiniment. La seule certitude en la matière est l’étendue disciplinaire du projet, l’hypothèse de l’anagramme appelant des rapprochements dont le champ d’action s’étend au-delà des frontières de la linguistique : elle est la découverte d’un linguiste qui se donne pour objet d’étude la poésie saisie à travers les mécanismes psychosémiotiques à l’œuvre au cours de l’opération d’encodage et de décodage, autrement dit, l’hypo- thèse de l’anagramme est, tout à la fois, l’œuvre d’un linguiste, d’un poétologue, d’un lecturologue et d’un psychologue, d’où la nécessité de diversifier les approches et de croiser les regards disciplinaires. C’est ce que – sans prétendre avoir épuisé les angles d’attaque ni même, pour ceux qui ont été retenus, avoir su les exploiter avec toute la compétence requise – nous avons essayé de faire dans ce travail, organisé en quatre chapitres tour à tour d’inspiration linguistique (Chapitre I : « Le dispositif : entre foi et loi »), neuroscientifique (Chapitre II : « Ferdinand de Saussure à l’épreuve des neuro- sciences »), psychanalytique (Chapitre III : « … là où Saussure attend Freud ») et sémiotique (Chapitre IV : « Pour une sémiologie des figures sonores »). Gageons qu’à défaut d’offrir une lecture nouvelle des thèses de Saussure, la volonté transdisciplinaire qui a présidé à l’élaboration de INTRODUCTION 13 ce livre aura permis de porter sur elles un regard différent et aura contribué, même minimement, au décloisonnement de savoirs qui, aujourd’hui encore, ne se savent pas complémentaires, à commencer par la linguistique, discipline qui, dédiée à l’étude de la communi- cation humaine, a parfois tant de mal à communiquer avec les autres domaines du savoir. CHAPITRE PREMIER LE DISPOSITIF : ENTRE FOI ET LOI Mais cette lettre comment faut-il la prendre ici ? Tout uniment, à la lettre. Jacques Lacan, « L’instance de la lettre… », Écrits, Paris, Le Seuil, 1966, p. 251. Dans une lettre datée du 14 juillet 1906, Ferdinand de Saussure, après plusieurs mois de recherches consacrés à l’étude du Saturnien – ce vers énigmatique qui n’obéit à aucun schéma connu de la métrique classique et dont il croit être enfin parvenu à percer le mystère –, écrit dans un état de fébrilité : […] je puis vous annoncer que je tiens maintenant la victoire sur toute la ligne. J’ai passé deux mois à interroger le monstre, et à n’opérer qu’à tâtons contre lui, mais depuis trois jours je ne marche plus qu’à coups de grosse artillerie […] c’est par l’Allitération que je suis arrivé à tenir la clef du Saturnien autrement compliqué qu’on ne se le figurait. Tout le phéno- mène de l’allitération […] qu’on remarquait dans le Saturnien, n’est qu’une insignifiante partie d’un phénomène plus général, ou plutôt abso- lument total. La totalité des syllabes de chaque vers Saturnien obéit à une loi d’allitération, de la première syllabe à la dernière ; et sans qu’une seule consonne […] une seule voyelle […] une seule quantité de voyelle, ne soit scrupuleusement 1 portée en compte. Le résultat est tellement surprenant qu’on est porté à se demander avant tout comment les auteurs de ces vers […] pouvaient avoir le temps de se livrer à un pareil casse-tête : car c’est un véritable jeu chinois… (Starobinski 1971 : 20-21) À l’euphorie de la découverte succéderont l’incertitude, le décou- ragement et même – on le devine en parcourant la correspondance du maître avec son disciple et confident Antoine Meillet – une forme de lassitude qui, malgré l’état d’avancement uploads/Litterature/ oa-anagrammes-sur-une-hypothese-bravo.pdf
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- Publié le Jan 24, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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