Clio. Femmes, Genre, Histoire 25 | 2007 Musiciennes Femme, musique et Islam. De

Clio. Femmes, Genre, Histoire 25 | 2007 Musiciennes Femme, musique et Islam. De l’interdit à la scène Aline Tauzin Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/clio/3062 DOI : 10.4000/clio.3062 ISSN : 1777-5299 Éditeur Belin Édition imprimée Date de publication : 1 avril 2007 Pagination : 133-153 ISBN : 978-2-85816-900-9 ISSN : 1252-7017 Référence électronique Aline Tauzin, « Femme, musique et Islam. De l’interdit à la scène », Clio. Histoire‚ femmes et sociétés [En ligne], 25 | 2007, mis en ligne le 01 juin 2009, consulté le 01 mai 2019. URL : http:// journals.openedition.org/clio/3062 ; DOI : 10.4000/clio.3062 Ce document a été généré automatiquement le 1 mai 2019. Tous droits réservés Femme, musique et Islam. De l’interdit à la scène Aline Tauzin 1 La musique est femme. Certes, une telle affirmation n’est pas l’apanage des sociétés arabo-musulmanes, elle est présente dans les trois monothéismes et même au-delà. Mais en terre d’Islam, ses conséquences en sont poussées jusqu’à leur terme logique. Ce qui va donc nous retenir ici, c’est le sens à donner à cette équivalence posée par le dogme musulman entre musique et féminin, l’exclusion de l’un et de l’autre du champ du religieux et les évolutions, telles qu’elles s’ébauchent dans la période contemporaine, quant à la place des femmes dans ce même champ et par le biais de la musique 1. 2 Pour rendre compte de la méfiance professée par les docteurs de la Loi à l’endroit de la musique, puis de son bannissement de la sphère sacrée, on invoque souvent la défense des bonnes mœurs, dont l’Islam, dès ses débuts, se serait fait le champion. Le nouveau monothéisme a certes dénoncé, de la période préislamique, la Jâhiliya c’est-à-dire l’ignorance, la rencontre qui s’y faisait de la musique, de l’alcool et de la fornication. En effet, les qaynât, des esclaves-chanteuses installées dans les cités commerçantes de la Péninsule arabique, avaient en ce temps coutume de recevoir les voyageurs et de les régaler à la fois de leurs chants, de leurs charmes et du vin qu’elles leur servaient. Mais l’argument se révèle notoirement insuffisant pour rendre compte de la double exclusion mentionnée plus haut. Le lien entre musique et féminin se situe ailleurs. L’examen des discussions qui ont vu s’affronter, tout au long des siècles, les deux courants, canonique et mystique, de l’Islam, de même que le traitement fait par nombre de sociétés arabo- musulmanes de la question du genre et de l’éventuel passage d’un sexe à l’autre, revendiqué par certains de leurs sujets, s’avère autrement plus fructueux. 3 La présence de la musique dans le rituel religieux a d’emblée fait problème pour l’Islam. Dès les tout débuts de celui-ci, le dogme s’est montré très réticent à son endroit, au point de préférer l’interdire, tandis que, à l’opposé, le soufisme – la mystique musulmane – en faisait son moyen privilégié d’accès au divin. Le point fondamental sur lequel se sont opposé ces deux courants peut se résumer ainsi : le dogme, d’un côté, prône une relation Femme, musique et Islam. De l’interdit à la scène Clio. Femmes, Genre, Histoire, 25 | 2007 1 à Dieu fondée sur la hiérarchie et l’obéissance aux commandements édictés par Lui, et la mystique, de l’autre, se voue à la recherche de l’anéantissement dans cette même figure divine. 4 Le Coran ne condamne pas formellement la musique. Les hadiths, les Dits du Prophète, qui ont force de loi à l’égal du Livre saint, soutiennent à son propos des positions contrastées. Pour ce qui est de l’Islam sunnite, celui qui nous occupe ici, c’est dans les quatre écoles juridiques qui l’organisent et inscrivent la croyance dans les organisations sociales que le rejet est le plus marqué. Tenons-nous en au droit malékite, en vigueur dans la quasi totalité du nord de l’Afrique. Mâlik, son fondateur, disait à propos du chant : « Ne le pratiquent chez nous que les pervers ». Raconter qu’il jouait du luth équivalait à le calomnier2. Al-Qayrawânî, théoricien postérieur de cette même école, a écrit, dans un texte toujours de référence : « Il n’est pas licite de chercher à écouter des choses injustes ou vaines, quelles qu’elles soient, ni de tirer jouissance des propos d’une femme qui n’est point licite pour toi, ni d’écouter la musique et le chant profanes, ni de réciter le Coran avec des accents cadencés comme dans le chant profane. Le Livre d’Allâh a trop de majesté pour qu’on se permette de le réciter autrement qu’avec une grave componction et dans des conditions telles qu’on soit persuadé qu’Allâh en sera satisfait et l’aura pour agréable et en portant toute son attention à cette pieuse récitation »3. 5 La langue arabe elle-même porte la marque de telles prises de position. Ainsi, la cantillation du Coran s’y nomme-t-elle communément tartîl, un terme dont Kazimirski précise, dans son dictionnaire, qu’il signifie le fait de « lire, déclamer le Coran distinctement, d’une voix douce et en appuyant sur chaque mot », la racine verbale dont il dérive ayant le sens d’ « agencer, disposer avec ordre (son discours, ses paroles) ». Un autre mot, tajwîd, lui aussi d’un usage fréquent, se rattache à une racine verbale signifiant « faire bien ou dire bien quelque chose ». Autant de dénominations qui affirment la nécessité d’un discours ordonné garantissant la compréhension du message divin et empêchant l’attention du croyant de s’en laisser détourner. 6 Les positions, canonique et mystique, irréconciliables, ont conduit à des affrontements, dont la teneur avait aussi, indéniablement, un contenu politique. Le plus célèbre d’entre eux s’est clos sur la mise à mort, au Xe siècle, de Hallâj, figure emblématique du soufisme, emprisonné pour avoir proclamé son union consubstantielle avec Dieu. Mais le désir de rapprochement des deux positions n’en a pas disparu pour autant. Il a perduré à travers les siècles, plus justement sous la forme d’une tentative, toujours renouvelée, jamais tout à fait abandonnée, de réintroduire la musique dans le champ du sacré. Al-Ghazzâli en est l’illustrateur le plus fameux, qui vécut au XIe siècle et tenta de départager, dans son œuvre, les pratiques musicales licites de celles qui ne l’étaient pas, de même que les instruments de musique licites de ceux qui ne l’étaient pas. A l’opposé, d’autres penseurs se sont acharnés à condamner la musique dans sa globalité, depuis les fondateurs des quatre écoles mentionnées plus haut jusqu’aux fondamentalistes de la période contemporaine. 7 L’extrême méfiance des théologiens vis-à-vis de la musique tient, en réalité, à sa féminité, qu’ils ont parfaitement repérée et n’ont eu de cesse de dénoncer. A les lire, le risque, inhérent à l’écoute et à la pratique musicales, est bien celui d’une féminisation des sujets qui s’y adonnent, féminisation qui aurait pour conséquence inéluctable l’effondrement de sociétés dont le trait majeur est d’être construites sur la patrilinéarité et la patriarcalité, autour du principe masculin. Femme, musique et Islam. De l’interdit à la scène Clio. Femmes, Genre, Histoire, 25 | 2007 2 8 L’histoire de l’origine de la musique, telle que l’ont rapportée – et façonnée à l’aune de leurs présupposés - ces mêmes théologiens des débuts de l’Islam, illustre clairement un tel enjeu4. Au début, disent-ils, la musique était féminine et collective. Puis, après la Révélation coranique, et à travers toute une série d’étapes, elle est devenue masculine et individuelle. Elle a été créée par deux femmes dont le surnom, les Deux Sauterelles, suffit à signaler ses effets désastreux sur ceux qui s’y livrent. En effet, pour les peuples du désert, ces insectes sont terrifiants : ils se multiplient à la faveur de pluies par ailleurs ardemment souhaitées car elles vont permettre aux terres brûlées par le soleil de reverdir, et parviennent, en quelques heures ou quelques jours, à engloutir les jeunes pousses d’herbe, les feuilles à peine dépliées, et à rendre le paysage à cette terrible aridité qu’il venait tout juste de quitter. Les Deux Sauterelles, à suivre les récits laissés par les chroniqueurs, ont eu des actions aux résultats tout à fait antinomiques. Capables du pire comme du meilleur, par la simple modulation de leur chant, elles ont, selon les cas, sauvé une tribu de la mort et provoqué l’extinction d’une autre. Ainsi, Tabarî rapporte, par exemple, que l’un de ces groupes, menacé par une grave sécheresse, envoya une délégation d’hommes à la recherche d’hypothétiques pâturages. Or, cette dernière s’est très vite laissée captiver par le chant des deux femmes, oubliant l’objet de son voyage et entraînant la mort de ceux qui attendaient. Mas‘ûdî, de son côté, relate que cette même tribu fut sauvée par les chants de ces deux femmes, qui eurent au contraire pour conséquence de faire tomber la pluie salvatrice5. 9 De ces mythes d’origine, on retiendra deux choses. La musique a à voir avec la vie et la mort. Elle avait, du reste, dans ses tout débuts, partie liée avec des cultes de fécondité. Et, parce qu’elle est pratiquée par des femmes et a des effets antinomiques, elle signale l’ambivalence du féminin. Mais revenons aux chroniqueurs. Progressivement, nous disent-ils, la fonction de la musique s’est affadie, elle a perdu de uploads/Litterature/ musique-femmes.pdf

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