CECI N’EST PAS UN ROMAN DE HOUELLEBECQ par Olivier Véron Dans « Houellebecq et
CECI N’EST PAS UN ROMAN DE HOUELLEBECQ par Olivier Véron Dans « Houellebecq et le spectre du califat1 » Jean Birnbaum reconnaît l’importance de Bat Ye’or non seulement pour donner une assise histo rique au roman Soumission, mais pour tous ceux qui ont osé mettre en cause les instances politiques dans la gigantesque tentative d’acclimata tion de l’islam en Europe, et alors que celle-ci vient de donner un signe de régression sanglant. Il voit bien que « Houellebecq dit quelque chose » sur l’islam et que « son discours n’a guère à voir avec un éloge de cette religion », tandis que le pays (dans la fable) est « voué à passer sous l’emprise musul mane ». Dans un organe de presse qui comme un baromètre est capable de fixer presque officiellement ce qu’il est permis de dire, il faut avouer que cela signale une avancée assez considérable dans le débat public. C’est encore un peu tôt pour modifier la réponse à la fameuse question posée en 2002 par Jean-Claude Milner, Existe-t-il une vie intellectuelle en France2 ? – mais gageons que ce n’est pas seulement la déconfiture de la presse « de centre gauche » (comme dit Houellebecq) et des partis de gouvernement, le succès incoercible de Zemmour, Finkielkraut ou Le Pen, ni le sang dérangeant à nouveau l’idylle tant désirée avec l’umma qui expliquent ce réveil assez brutal de l’intelligence d’un peuple, mais une authentique réminiscence des responsabilités qui sont les leurs dans le for intérieur de quelques « maîtres de la fonction parlante3 ». À force ils se rappellent que « c’est du sang juif » et pas seulement qui se trouve sur l’autel des sacrifices humains apparemment exigés pour maintenir l’avenir d’une illusion4. C’est avec une sorte de discrétion que le romancier donne ses sources (Chesterton dont les paysages et les visions rythment le roman est si gnalé à la volée5) et comme d’autres journalistes attentifs, il fallut que le responsable du Monde des Livres remarque que dans Soumission, le nom de Bat Ye’or était écrit une fois : « À l’opposé de l’ancienne lignée islamo phile, Houellebecq reprend à son compte une vision hostile et beaucoup plus récente. Quiconque en est familier reconnaîtra ici les mots-clés et les arguments d’une littérature politique désormais très répandue, et dont la figure phare est explicitement citée par l’écrivain. » « Figure phare », Bat Ye’or voit ainsi négligemment assimiler l’austère et rigoureux travail d’une vie à la « lit térature politique » qu’il a pu inspirer. Anticipant à peine elle a certes « décrit les peuples du Vieux continent comme les nouveaux dhimmis d’une Europe contemporaine rebaptisée “Eurabia”, abdiquant ses racines chrétiennes et livrant ses juifs pour mieux complaire à ses maîtres musulmans6 », mais c’est après avoir passé trente ans à étudier en historienne la condition des Juifs et des chrétiens sous l’islam7. Or Jean Birnbaum et ses confrères voudraient (faire) croire qu’elle n’est qu’une propagandiste – une « com municante » – et qu’elle aurait elle-même forgé et répandu dans le cou rant des « mots-clés », des « arguments » et la « formule8 », le « concept9 », le 1. Jean Birnbaum, « Houellebecq et le spectre du califat », Le Monde du 8 janvier. 2. Verdier, 2002. 3. Pierre Boudot, Les mandarins sont revenus, chassez-les ! [1979], Les provinciales, 2014. 4. Léon Bloy était hyper casher, tout comme Augustin Czartorisky. 5. G. K. Chesterton, L’Auberge volante, traduit et présenté par Pierre Boutang, L’Âge d’Homme, 1990. 6. Birnbaum, art. cité. 7. Bat Ye’or a commencé son travail après l’expul sion des Juifs d’Égypte par Nasser en 1956, cf. Les juifs en Égypte, Édi tions de l’Avenir, 1971 ; Le Dhimmi : Profil de l’opprimé en Orient et en Afrique du Nord depuis la conquête arabe, Éditions Anthropos, 1980 ; Les Chrétientés d’Orient. Entre jihad et dhimmitude, VIIe-XXe siècle, Préface de Jacques Ellul, Éditions du Cerf, 1991 ; Juifs et chrétiens sous l’islam : Les dhimmis face au défi inté griste, Berg international, 1994, etc. 8. Birnbaum, art. cité. 9. Lisbeth Koutchoumoff, « Dans Soumission, Michel Houellebecq cauchemarde et nous avec », Le Temps, Genève, 3 janvier 2015. 10. Jean-Yves Camus, « Le monde manichéen d’Eurabia », Le Monde du 29 mai 2012. 11. Lisbeth Koutchou moff, Le Temps, art. cit. 12. Laurent Joffrin, « Soumission, Le Pen au Flore », Libération, 2 janvier 2015. 13. Christophe Kantcheff, « Soumission, de Michel Houellebecq : la conver sion pour les nuls », Politis, 15 janvier 2015. 14. Aude Lancelin, « Houellebecq: visionnaire ou pervers ? », Le Nouvel Observateur n°2618, 8 janvier 2015. 15. « Avertissement parapsychique relatif à un événement à venir », dit le dictionnaire du CNRS. Pierre Assouline, « Michel Houellebecq, subversif et irresponsable comme jamais », La République des livres, 5 janvier 2015. 16. Cf. l’avertissement de son éditeur : « Qui peut craindre la recherche ? » http://www.lesprovinciales. fr/-Qui-peut-craindre-la- recherche-.html 17. Observatoire du monde juif, bulletin n°4/5, déc. 2002, pp. 44-45. 18. Ibid. 19. Ibid. 20. Document de l’APCEA (collection Bat Y e’or). 21. Jean-Yves Camus, « Le monde manichéen d’Eurabia », article cité. 22. Pierre-André T aguieff a rappelé que le best-seller international de Jimmy Carter, Palestine : la paix, pas l’apartheid, Paris, l’Archipel, 2007, avait été recom mandé, lui, par Ben Laden, lequel interpellait le peuple américain avec une logique pas très différente de celle de J.-Y . Camus dans l’article cité : « Vous menez une guerre perdue et sans espoir. […] Le temps est venu de vous libérer de la peur et du terrorisme idéologique des néo-conservateurs et du lobby israélien » ; cf. Pierre- André T aguieff, La nouvelle propagande anti-juive, PUF, 2010, p. 169. 23. Jean-Yves Camus, « La réponse viendra en sor tant du déni », Le Temps, Genève, 9 janvier 2015. « néologisme10 » permettant de « rebaptiser » l’Europe. Cette semaine-là les journaux parlèrent à son propos d’« élucubrations11 », de « thèses abra cadabrantes12 », de « fantasmes13 », de « hantises14 », Pierre Assouline lui concéda des « prémonitions15 ». Ils oublièrent que ce n’est pas elle qui a fabriqué la situation, et lorsqu’elle la décrit cela ne relève pas d’abord de la sacro-sainte liberté d’expression, mais de la rude tradition d’in vestigation qui constitue notre héritage gréco-hébraïque16. Ils répètent l’erreur qui consiste à croire ou à prétendre que la connaissance est la cause des maux qu’elle énumère, et que Bat Ye’or aurait imaginé ou in venté le mot « Eurabia » pour désigner cette politique incroyable qu’ex posent le roman de Houellebecq et Le Monde désormais. Quel chemin ! depuis l’article publié en 2002 dans une modeste revue, « Le dialogue euro-arabe et la naissance d’Eurabia17 », où Bat Ye’or revenait sur ce mot inventé par la très officielle et efficace Association Parlementaire pour la Coopération Euro-Arabe (APCEA) de l’Union européenne : « Eura bia est le titre d’une publication éditée [en 1975] par le Comité Européen de Coordination des Associations d’Amitié avec le Monde arabe » – et c’est aussi le nom dont s’affubla ce Comité lui-même dessinant « la nécessité d’une entente politique entre l’Europe et le monde arabe comme base aux accords économiques18 ». Fondée en 1974 par le député britannique Christopher Mayhew et le député français Raymond Offroy, présidée par un ancien du Foreign Office, Robert Swann, l’APCEA comptait 350 membres au début des années quatre-vingt et 650 en 1994 traversant « dans sa tota lité l’échiquier poli tique européen19 ». Ce n’est pas une invention roma nesque, mais la base de ce qui deviendra « le Dialogue Euro-Arabe ». « Vu le caractère discret de son travail, qui s’effectue en grande partie dans les couloirs des assemblées, il est souvent difficile d’attribuer clairement à l’association tel ou tel succès », expliquait la brochure publiée par l’AP CEA à l’occasion de son vingtième anniversaire (1994) et qui présentait son action. « Cependant, si on relit certains communiqués publiés à l’issue de réunions de son Comité Exécutif ou à l’occasion de l’une ou l’autre visite en les replaçant dans leur contexte historique, on peut se rendre compte à tout le moins qu’elle joue constamment un rôle d’avant-garde20 ». L’APCEA don nait ensuite quelques exemples pour illustrer cette approche qui défi nit à peu près, « à tout le moins » la méthode adoptée par Bat Ye’or elle-même pour décrire les développements du Dialogue Euro-Arabe. Il ne faut donc pas négliger ce fait : Cassandre juive Bat Ye’or n’invente rien. Un de ses accusateurs, un chargé de mission auprès du conseiller international de la mairie de Paris, Camus Jean-Yves, caricaturiste pas très comique de Charlie Hebdo qui se présente comme « spécialiste », s’employait il y a trois ans à déblayer partout « la peur d’Eurabia » ravivée par les horreurs d’Anders Breivik. Dans un article du journal du soir21 il dénonçait l’« idéologie », la « construction intellectuelle », la « théorie », la « notion », le « concept », et même l’« obsession » uploads/Litterature/ n087-pdf.pdf
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- Publié le Fev 10, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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