DA VID HUME n° 609 La présente édition reprend deux essais : « La délicatesse d
DA VID HUME n° 609 La présente édition reprend deux essais : « La délicatesse du Goût et la vivacité des Passions », paru dans Essais moraux et politiques de David Hume, en 1764 chez J. H. Schneider, à Amsterdam (tome I, seconde édition, pp. 1-9), et « Dissertation sur la Règle du Goût », publié chez le même éditeur en 1759 dans l’ouvrage intitulé Dissertations sur les Passions, sur la Tragédie, sur la Règle du Goût, dans le le volume intitulé Œuvres philosophiques (tome IV , pp. 92-155). Les textes originaux (« Of the Delicacy of Taste and Passion », in Essays Moral and Political, sans nom d’auteur, Edimbourg, Alexander Kincaid, pp. 15-22 et « On the Standard of Taste, Dissertation IV », Andrew Millar, pp. 217-256) ont paru pour la première fois en anglais respectivement en 1741 et en 1757. L’orthographe a été modernisée. Pour Eliza. Au goût si délicat. Notre adresse Internet : www.1001nuits.com © Mille et une nuits, département de la Librairie Arthème Fayard, octobre 2012 pour la présente édition. ISBN : 978-2-755-50516-0 Table des matières Couverture Page de titre Page de Copyright Table des matières David Hume La Règle du goût La délicatesse du goût et la vivacité des passions Dissertation sur la règle du goût Christophe Salaün La mort du Beau et la naissance de l’esthétique David Hume Ma vie Repères bibliographiques DA VID HUME La Règle du goût La délicatesse du goût et la vivacité des passions Il y a des personnes qui ont les passions extrêmement vives. Sensibles à l’excès à tous les accidents de la vie, si la moindre prospérité leur cause une joie immodérée, la plus légère traverse les accable et les désespère : un bon accueil, un petit service suffisent pour vous concilier leur amitié ; mais une ombre d’injustice excite leur ressentiment : les honneurs et les marques de distinction leur causent des transports qui passent toute imagination, mais le mépris ne les afflige pas moins vivement. Il n’y a point de doute que le plaisir et la douleur ne fassent sur les personnes de cette humeur de plus fortes impressions que sur les tempéraments froids et flegmatiques ; je crois cependant qu’il n’y a personne qui ne préférât ce dernier caractère, si le choix était en son pouvoir. Nous ne sommes guère les maîtres de notre destinée, et c’est sur les esprits sensibles que le malheur frappe ses plus rudes coups : il s’empare de toutes leurs facultés, il émousse jusques au goût pour ces biens communs, dont la jouissance bien réglée fait la partie la plus essentielle du bonheur. Comme les plaisirs vifs sont de beaucoup plus rares que les grandes peines, les esprits sensibles en ont d’autant plus d’épreuves à soutenir. Pour ne pas dire que les fortes passions nous font commettre des imprudences et des indiscrétions, et faire de fausses démarches qu’il est souvent impossible de redresser. Il y a une délicatesse de goût qui ressemble beaucoup à cette vivacité des passions, et qui nous rend sensibles à la beauté et à la laideur, comme l’autre à la prospérité et à l’adversité, aux bons offices et aux injures. Que l’on présente à un homme de goût un poème ou un tableau, il sentira, pour ainsi dire, dans chaque partie de cet ouvrage, si les coups de maître qu’il y remarque le ravissent et le transportent ; rien n’égale le désagrément et le dégoût que lui causent les endroits négligés ou mal traités : si une conversation assaisonnée de raison et de politesse est pour lui le plus grand des plaisirs, les grossièretés et les impertinences sont pour lui le plus rude des supplices. En un mot, la délicatesse du goût et la vivacité des passions produisent les mêmes effets, elles élargissent toutes deux la sphère des biens et des maux, et nous donnent toutes deux des peines et des plaisirs inconnus au reste des hommes. Cependant, malgré cette ressemblance, je crois que l’on conviendra généralement que la délicatesse du goût est une chose très désirable et qui mérite d’être cultivée ; au lieu qu’un homme qui a les passions vives est à plaindre, et doit faire des efforts pour les adoucir. Les biens et les maux de la vie ne sont guère en notre disposition ; mais nous pouvons choisir nos lectures, nos récréations, nos sociétés. Les philosophes qui ont voulu rendre le bonheur tout à fait indépendant des choses de dehors ont tenté l’impossible ; cependant tout homme sage doit tâcher de trouver son bonheur dans des objets qu’il a le pouvoir de se procurer ; et la délicatesse du goût lui en fournit les plus sûrs moyens. Ceux qui ont le talent de sentir le beau sont plus heureux, par ce sentiment, qu’ils ne pourraient l’être en satisfaisant leurs appétits : une belle poésie, un raisonnement bien conduit a pour eux des attraits que n’ont point tous les plaisirs dont le luxe le plus prodigue pourrait les enivrer. Il serait difficile de déterminer quelle est, dans la constitution primitive de l’esprit, la liaison entre la délicatesse du goût et la vivacité des passions ; mais il me paraît qu’il y en a une très étroite. Les femmes, qui ont les passions plus vives que nous, ont aussi plus de goût pour tout ce qui sert à embellir : c’est à elles à juger d’un habit et d’un équipage, et à régler les bienséances : ces sortes de beautés font plus d’impression sur elles que sur nous ; et si l’on réussit à flatter leur goût, on est sûr de leur plaire. Mais quoi qu’il en soit de cette liaison, je suis persuadé que rien n’est si propre à réprimer l’effervescence des passions que la culture du goût – je dis de ce goût fin et sublime, qui nous met en état d’apprécier le caractère des hommes, les ouvrages de génie, et les productions des beaux-arts. Le goût pour ces beautés communes qui frappent les sens est toujours proportionné aux degrés de sensibilité du tempérament, au lieu que dans les sciences et dans les arts libéraux la délicatesse du goût n’est en effet autre chose que la force du bon sens, ou du moins en est inséparable. Pour juger d’un ouvrage de génie, il y a tant de vues à combiner, tant de circonstances à confronter, il faut une si profonde connaissance de la nature humaine, qu’à moins d’avoir un entendement bien exquis, on ne fera jamais rien de passable dans ce genre. Et c’est une nouvelle raison pour nous engager à cultiver les beaux-arts. Notre jugement se fortifiera par cet exercice : nous nous formerons des idées plus justes de la vie humaine ; plusieurs choses qui contristent ou réjouissent les autres nous paraîtront trop frivoles pour y faire attention, et nous perdrons peu à peu cette excessive sensibilité, cette grande vivacité qui nous est si fort à charge. Mais peut-être ai-je été trop loin en disant que le goût des beaux-arts éteint les passions, et nous donne de l’indifférence pour ces objets qui sont si fort recherchés des autres hommes. En y réfléchissant plus mûrement, je trouve que ce goût augmente plutôt notre sensibilité pour les passions douces et agréables, et qu’il n’étouffe que les passions grossières et féroces. …Ingenuas didicisse fideliter artes, Emollit mores, nec finit esse feros . À cela, je conçois deux raisons très naturelles. Premièrement, rien n’est plus propre à adoucir l’humeur que l’étude des beautés, soit de la poésie, soit de l’éloquence, soit de la musique, soit de la peinture : cette étude donne au sentiment une certaine élégance que sans elle personne ne saurait acquérir ; ces arts excitent de douces et de tendres émotions ; ils retirent l’esprit du trouble des affaires, lui inspirent le désintéressement, répandent des charmes sur la méditation, nous font aimer la vie tranquille, et nous plongent dans cette douce mélancolie, qui de toutes les dispositions d’esprit est la plus favorable à la naissance de l’amour et de l’amitié. En second lieu, la délicatesse du goût contribue à l’amour et à l’amitié, en bornant notre commerce à un nombre choisi de personnes, et en nous rendant indifférents pour les grandes sociétés. Rarement les gens du monde, quelque esprit qu’ils aient, sont en état de discerner les caractères et de remarquer ces différences fines, ces gradations imperceptibles qui rendent un homme si préférable à un autre homme : le premier venu, pourvu qu’il ait du sens commun, leur suffit ; ils lui parlent de leurs plaisirs et de leurs affaires avec la même franchise qu’ils en parleraient à tout autre ; ils le quittent avec la même légèreté, et trouvant d’abord de quoi le remplacer, ils ne s’aperçoivent pas de son absence. Mais, pour me servir des expressions d’un célèbre Français, le jugement ressemble à une horloge : « Les horloges les plus communes et les plus grossières marquent les heures ; il n’y a que celles qui sont travaillées avec plus d’art qui marquent les minutes . » Un homme uploads/Litterature/ la-regle-du-gout-david-hume-pdf 1 .pdf
Documents similaires










-
37
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Aoû 08, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
- Taille du fichier 0.6081MB